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Escapade à Chandigarh - l’étoile indienne du Grand Corbu 19-20/12/06
Le 20/11/06

Dans le train, pour la première fois

Levés à 4 h, partis à 5 h, dans le train à 6 h... Ahh, que la vie du voyageur est dure ! Dans le train, bondé, mais pas assez à mon goût vue la température en chute, un spectacle régulier commence à se roder à chaque arrêt. Vendeurs de chai et de sandwichs frits envahissent le wagon, leurs plateaux en équilibre sur une main tandis que l’autre leur sert à se frayer un passage dans la foule. Des enfants aussi entre 2 et 5 ans se font une place dans le couloir central en jouant du tambour et formant un cercle pour que la plus petite qui ne sait pas encore parler, mais est peinturlurée comme un arbre de Noël, fasse des roulades avant sous les regards amusés du public frigorifié. Les contreforts de l’Himalaya approchent et le climat change. Les passagers, qui entrent au fur et à mesure dans le train en métal dont ni les portes ni les fenêtres ne ferment et dont le toit est recouvert de ventilateurs utiles par de fortes chaleurs, changent peu à peu de tenue. Les châles apparaissent et les bonnets fleurissent. Les saris s’accompagnent de gilets. Par contre, les pieds nus restent de rigueur... étrange.

À peine arrivés, la ville nous échappe...

Après 4 heures de route, nous arrivons à Chandigarh, la ville nouvelle dessinée par Le Corbusier dans les années 50, pour devenir la nouvelle capitale du Penjab. La première impression est un peu décevante après tout ce qu’on nous en a dit en cours d’architecture à l’école. La ville nous échappe, les avenues sont si larges qu’on est arrivé au centre sans même avoir eu l’impression de pénétrer les faubourgs. La densité caractéristique des villes européennes est absente ici, et il nous faut faire appel à d’autres références urbaines pour nous repérer. L’autre chose qui nous « déçoit » c’est le premier rapport avec la vie quotidienne : nous sommes loin de l’Inde telle qu’on la décrit dans tous les magazines. Ici point de vache dans les rues. Les prix ont brusquement doublé, l’alcool est autorisé presque partout et notre hôtel soi-disant « budget », est aussi cher qu’un palace yéménite.

À peine débarrassés de nos sacs à dos qui deviennent de plus en plus lourds chaque jour qui passe, nous ressortons direction le « secteur 17 », le centre-ville donc, où se trouve l’office du tourisme, histoire de trouver une carte correcte de la ville et de connaître les modalités de visite des bâtiments officiels dessinés par le Grand Corbu.

Une ville verte et muette

Notre visite débute par le Rose Garden, le plus grand jardin de roses asiatiques soi-disant... hum à cette saison les roses ne sont pas foison, mais c’est le week-end et les saris des jeunes filles les remplacent avantageusement sur la pelouse. Nous traînons, mon médicament pour le mal de voiture m’endort une fois de plus. Je crois que je vais arrêter cette drogue qui gâche la plupart de nos journées comprenant un trajet.

Pour ne pas nous perdre, nous décidons d’aller tout droit vers le nord, direction le Capitole - le cœur politique de la ville, un monument d’architecture en soi. Mais nous ne traversons que jardins et pelouses sur des kilomètres... Que cette ville est étrange ! Nous sommes en réalité au cœur de la coulée verte qui irrigue la ville d’espaces de loisirs. Que cette ville capitale est loin de nos imaginaires européens !

Au cœur de cette coulée, nous tombons sur les musées de la ville. Comme d’habitude, nous ne voyons pas passer l’heure et nous nous laissons absorber par les documents d’archives qui retracent l’incroyable conception de la seule ville planifiée d’Inde...

Lorsque nous sortons enfin, les brises-soleil monumentaux des bâtiments en béton sculpturaux jouent avec les premiers rayons du soleil couchant.

Le grand Capitole au coucher du soleil

Ni une ni deux, nous sautons dans un cycle-rickshaw pour atteindre le fameux capitole. Le jeune homme peine sur la pente continue à 1 pour cent qu’il doit gravir sur plusieurs kilomètres d’avenues. Il nous dépose devant un barrage de militaire. L’entrée au Capitole est bien surveillée. Mais nous passons finalement. La lumière de la fin du jour éclaire les toitures courbes et le rythme rigoureux de l’architecture corbuséenne. Les herbes folles poussent autour des bâtiments et les bassins ne sont pas remplis d’eau... Dommage. Le temps est un peu figé ici, mais la magie opère encore. Plus loin, la sculpture de la main ouverte, symbole de l’ouverture culturelle de la ville tourne lentement sous la brise fraîche du soir. De manière assez surréaliste, des femmes en costume traditionnel traversent l’esplanade avec de gros ballots d’herbe coupée sur la tête...

On rentre lorsque la lune apparaît.

Chandigarh la moderne, Chandigarh la cosmopolite

Chandigarh la capitale animée nous accueille enfin. Sur la place centrale du secteur 17, on tourne un Bollywood. La foule est dense autour des projecteurs. Des snacks comme on n’en a jamais vu nous tendent les bras : mélange de riz soufflé, cacahouète, cornflakes, hachis de tomates, oignons, persil et petite sauce pimentée sont distribués dans des coupelles en alu. Délicieux. Une idée de l’occident pour eux comme je ne l’ai encore jamais vue ! L’ambiance de shopping de nuit sous les arcades de bâtiments construits pour se protéger du soleil féroce de l’Inde et de la mousson me fait penser au front de mer de Royan... Architecture internationale que celle des années 50. Architecture moderne encore. Un pub nous accueille. La première bière pour Manu depuis le départ ! Un évènement apparemment... :)

Vivre à Chandigarh

En partant de l’hôtel ce matin-là, l’envie nous a pris de nous perdre un peu afin de comprendre enfin comment vivait cette ville. Notre hôtel étant sur la périphérie du secteur 22, nous avons décidé de quitter les grandes avenues pour nous enfoncer au cœur de notre « quartier ». 1.2 km par 900 m : c’est la taille d’un secteur, soit la dimension « idéale » de l’unité de vie imaginée par Le Corbusier. Chaque secteur a ses logements sociaux, ses écoles, ses petits commerces, et ses temples bien sûr.

Au premier coin de rue, nous sommes tombés sur l’un d’entre eux. Un temple bouddhiste. Il devait être 9 h du matin et le lieu était déjà animé. Autour d’un arbre centenaire, des femmes en sari tournaient et marmonnaient je ne sais quelle litanie incantatoire. Des colliers d’œillets oranges pendaient aux branches basses et tout un ensemble d’offrandes religieuses jonchait le sol. À l’entrée du temple, et devant notre hésitation visible à pénétrer à l’intérieur de l’enceinte, compte tenu de notre ignorance notoire des pratiques religieuses hindoues, un homme nous a gentiment invités à entrer. Nous avons enlevé nos chaussures et posé nos pieds nus sur le marbre glacé de ce matin de novembre. À l’intérieur du temple, quelques personnes éparses, certaines assises, mais la plupart en mouvement. Après observation, le trajet le plus commun consiste à gravir les escaliers de l’entrée en sonnant la cloche pour prévenir les dieux de son entrée, s’avancer à pas lents vers leurs statues en plastique situées sur le mur opposé à l’entrée. Se prosterner, marmonner quelque chose, déposer une offrande, se faire offrir un cadeau (pomme, banane, orange) par le gardien du temple (ils sont 3 prêtres à temps plein, de 5 h du matin à 9 h du soir 7/7 jours à accueillir les fidèles), et ressortir à reculons en baisant chaque marche à la descente en arrière.

Ici, les gens sont extrêmement sympathiques, et, devant notre timidité, les cadeaux affluent ; nous ressortons avec de lourds colliers de fleurs orange fluo au cou, des fruits pour nous sustenter tout au long de la journée et de nouveaux clichés sourires dans notre appareil... Cette ville que nous trouvions un peu impersonnelle hier est bien vivante, il n’y a pas de doute ! Nous continuons notre exploration le long des rues calmes du secteur 22. Les petites maisons accolées en r+2, offrent une variété de façades infinie, mais forment un ensemble homogène. Les écoles primaires et les terrains de sport ponctuent les rues résidentielles. L’impression de sécurité ici est grande, les gens ont l’air calme et détendu. Heureux en somme, et pourtant nous sommes lundi matin. Rien à voir avec Paris !

Nous profitons d’un passage souterrain pour passer du secteur 22 au secteur 17. Un restaurant de fortune en plein air judicieusement placé à la sortie du passage nous offre un petit déjeuner épicé, tandis qu’un petit « vieux fou » au visage très très expressif nous fait son show après s’être installé face à nous.

Chandigarh au futur, vous le voyez comment monsieur le Grand Urbaniste en chef ?

Nos autorisations dûment complétées par les personnes habilitées, nous filons vers le secteur 9 afin de rencontrer l’architecte en chef de la ville. Mais elle est « busy » à cette heure et ne sera disponible que dans l’après-midi. Ce n’est pas grave. N’ayant peur de rien, nous demandons à rencontrer le directeur du département d’urbanisme de la ville. L’attente est un peu longue, mais finalement le voilà. Over booké, ce monsieur à la moustache sérieuse et au bureau immense recouvert de piles de dossiers nous reçoit l’air crispé. Je me lance avec une série de questions un peu générales sur la ville aujourd’hui et les plans futurs. Je table sur le passé innovant de la ville en matière d’urbanisme pour prendre une leçon d’urbanisme durable ou expérimental, mais il n’en sera rien. Les senior urban planners qui se sont succédés depuis 1958 à ce poste très convoité ont surtout fait dans la conservation. La ville de Chandigarh est pourtant confrontée, comme énormément de villes en Inde à une explosion démographique insensée... mais il n’existe même pas de plan général de conurbation. Les villes satellites de Chandigarh se développent sans concertation avec la capitale et l’on envisage à peine des solutions de densification interne, alors que les bidonvilles fleurissent aux abords de secteurs sauvegardés... -bref-

La Haute Cour de Justice, tient haut le flambeau de l’architecture corbuséenne

La ville est toujours fascinante et nous décidons de retourner au Capitol Secteur 1, afin de visiter la « High Court » de l’intérieur grâce à nos autorisations spéciales (délivrées aux architectes touristes en gros). Après de multiples aller et retour pour dégoter une énième permission, pour prendre des photos celle-là, nous parvenons enfin à déambuler dans ce tribunal de grande instance à l’architecture puissante. La lumière pénètre de partout, les formes sont ultra-modernes, les inventions architecturales nous accueillent à chaque nouvel espace. Sur le toit, que de grandes paraboles hyperboliques en béton recouvrent afin de créer un effet Venturi (courant d’air permanent) pour prévenir la surchauffe du dernier plancher, nous rencontrons Sunny, un jeune greffier. La discussion est intéressante, nous apprenons que les Chandigarhiens sont très très fiers de leur ville et que pour rien au monde ils ne la quitteraient. En effet, tous les indicateurs de santé d’éducation et de richesse semblent au vert ici...

Dans quelle mesure l’architecture et l’urbanisme de cette ville créée de toutes pièces pour accueillir les réfugiés pakistanais au moment de la sécession ont-ils influé sur ce développement économique et social exceptionnel ? J’ose croire que son influence n’est pas nulle, et que l’agencement d’une ville peut faire beaucoup pour le bien-être de ses habitants...

Sunny nous entraîne dans les coques du toit qui sont en béton creux, exploration, exploration, quand tu nous tiens !

Anti Corbu ; le pamphlet artistico touristique

Mais le soleil jaunit déjà, et nous devons nous enfuir vers l’autre curiosité « mondiale » de la ville : le Rock Garden. L’œuvre secrète et « anticorbuséenne » d’un militaire à la retraite. Un jardin immense sur plusieurs hectares, tout en circonvolutions, mosaïques, sculptures naïves, et architecture « gaudiesque ». Les vues sont courtes, les chicanes nombreuses et les effets de surprises multiples. Des petits cailloux en plafond, des sacs de jute comme coffrage de poteaux en béton, etc. Le contraste est total avec l’architecture moderniste et la ville nous séduit une fois de plus.

Narinder, notre vieux sikh sympa

Au moment où le soleil se couche et où nous décidons de nous restaurer à la sortie de cette œuvre plastique en plein air, nous rencontrons Narinder. C’est un vieux sikh sympa même s’il semble un peu étrange de prime abord. (La religion sikhe est apparue en opposition au système de castes hindoues au 16e siècle - les sikhs sont reconnaissables au turban qu’ils portent dès leur plus jeune âge afin de protéger leurs cheveux qu’ils ne se coupent jamais... c’est étrange, ici ce sont les hommes qui se couvrent la tête !).

Il nous offre un petit dépliant en français sur Chandigarh et une petite rose... houlala que veut-il nous vendre celui-là ?? Nous restons un peu sur la défensive, malgré ses « I want you to be happy and cheerful ! » all the time. Mais ce vieux monsieur a connu Le Corbusier, du temps où il travaillait au Capitole en tant que « gratteur », et, ça, ça me fascine. Il nous montre plusieurs articles sur lui, décrivant son parcours, en tant que « bon samaritain » pour les touristes architectes de passage à Chandigarh. Il nous emmène ensuite dans un hôtel dessiné par Corbu où il nous offre un thé... Hum, méfiance, méfiance. Que se passe-t-il ? Serions-nous de retour au Yémen ?

Un cœur gros comme ça

Oui apparemment, parce que sa gentillesse n’a pas de limites. Nous lui parlons du temple de ce matin et il décide de nous emmener dans son temple sikh pour nous montrer la différence. Là-bas, après quelques instants passés à écouter les litanies de prêtres sur le « holy book » nous allons rendre visite à ses amis hindous du temple d’à côté où nous sommes reçus avec le même enthousiasme que le matin. Nous retournons ensuite dans le temple sikh où la « messe » s’est achevée et où le repas rituel est distribué. Grâce à Narinder, nous y prenons part. Assis sur une natte au sol, le repas composé de naans que nous trempons dans une sauce épicée ressemble un peu à un repas yéménite. Tout en ayant un peu peur qu’il ne nous demande beaucoup d’argent pour tout ça, nous continuons de suivre Narinder parce que sa bonhomie et sa gentillesse un peu naïve nous font un bien fou après la défiance que nous avions instaurée à l’encontre des Indiens suite à notre expérience delhisienne... Il nous accompagne encore sur quelques kilomètres en poussant son vélo - il a 70 ans - tout en regrettant de ne pouvoir nous inviter chez lui, dans le secteur 34, trop loin du centre pour nous... Il nous quitte sur une grande embrassade émue : « my grand daughter ! I hope you are fine and you become a great architecte : i will pray for you every day ! » Je suis émue en retour... qu’avons-nous fait pour mériter ça ?? Nous promettons de lui envoyer quelques photos. Inch Allah, cette fois nous parviendrons à le faire !



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