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En bus dans l’Himalaya
Le 24/11/06

le bus de l’Himachal Pradesh

Ce petit séjour dans les contreforts de l’Himalaya, dépaysant à plus d’un titre, nous a permis de vivre notre première véritable expérience de voyage en bus. Le bus de l’Himachal, plus encore que le bus indien, est une expérience extrême en soi. S’il existe des formules « deluxe » pour les touristes en « haute saison », au mois de novembre seul le bus « local » qui permet de passer d’une ville à l’autre sur l’unique route de la vallée permet de gagner les villages les plus reculés (sauf si bien sûr, on accepte de se prêter au jeu des tours operators qui, à Shimla, insistent pour louer à tous les Européens de passage une voiture avec chauffeur à des prix défiants toute concurrence...)

Le premier bus du type « himachalien », dans lequel nous sommes, monte à Chandigarh pour rejoindre Shimla, la station d’été de la haute société britannique de Delhi. Cela nous a permis d’appréhender les conditions climatiques dans lesquelles nous allions effectuer notre voyage. Encore tout au charme de la douceur automnale de Delhi, nous nous n’étions pas préparés psychologiquement à ce type de froid. Si ni les fenêtres ni les portes d’un bus himachalien ne ferment, il faut aussi savoir que le plancher a de grandes chances d’être constellé de trous d’air. Par malchance dans ce premier bus, c’est sous notre siège que le plancher avait décidé de percer... Le sac de Manu ne suffisant pas combler l’infiltration d’air, nous avons compris que dans ces conditions-là il allait falloir sortir les grands moyens. Bonnets, écharpes, foulard, et pull n’y faisant rien, c’est avec le duvet que nous nous sommes ensuite emmitouflés pour essayer de survivre jusqu’à l’arrivée.

Une arrivée qu’il faut mériter

...parce qu’il faut bien comprendre que ce ne sont pas les kilomètres qui font la distance, mais le temps qu’on met à les parcourir : durant les quelques jours que nous avons passés dans la Sutjey Valley et le Kinnaur, il nous aura en effet fallu en moyenne 5 h pour faire 90 km... (Pour effectuer 700 km aller et retour depuis Chandigarh et jusqu’à Delhi, nous avons donc passé plusieurs jours complets, mais par intermittence dans cette carcasse de métal ambulante, mais tellement vivante :)

Mais pourquoi une telle lenteur ? C’est que le paysage est féroce, et même si la route ne flirte qu’avec les 3000 m, tout en redescendant régulièrement desservir une ville au fond de la vallée à 900 m d’altitude, force est de constater que l’effet est garanti.

Une route étroite suspendue dans le vide

Mince bandeau d’asphalte ou de caillasse cahoteuse, la route accrochée à flanc de montagne donne constamment sur un précipice. Si par malchance le précipice est à gauche (ici on roule à gauche depuis les Anglais), et que vous-mêmes êtes assis sur la banquette de gauche à la fenêtre, la seule vue qu’il vous sera donné d’apercevoir durant votre trajet est celle d’un vide abyssal. Ne cherchez pas la route : il est impossible de l’apercevoir. Le chauffeur-virtuose roule en effet à 10 cm du bord en permanence - soit moins que le débord de carrosserie sur la roue - réduisant parfois brusquement cette marge de sécurité à 0, lorsqu’un autre bus essaie de le croiser... La route ne faisant que 3 ou 4 mètres de large en moyenne, il est donc fréquent que les accidents aient lieu. C’est ainsi que sur la première partie du trajet, étant assise à la fameuse fenêtre de gauche, j’ai pu contempler plusieurs voitures, 4x4-taxis, écrasés au fond du ravin... Hum ça donne envie de continuer !

D’effondrements de falaises en chantiers improvisés

Mais si l’étroitesse de la route était le seul élément de danger, avec un peu de dextérité il aurait été possible à n’importe quel chauffeur expérimenté de mener son bus à bon port. Malheureusement, il arrive fréquemment que la route soit « en chantier »... En chantier de quoi me direz-vous ? Et bien d’effondrement ! Nous avons en effet souvent pu observer le bord déchiqueté de la route côté ravin, signe que la falaise la supportant venait de s’effondrer partiellement. Pour seule protection des panneaux « drive slowly » encadrent ces parties de route, que nous traversions en fermant les yeux et en invoquant tous les dieux de notre connaissance (on a de la chance depuis qu’on est en Inde, des dieux ils en ont 80 000 000... Allah tout seul n’aurait pas fait le poids là-bas, je pense...).

Toujours sur chantier, il est possible d’observer depuis sa fenêtre, confortablement installé, des hommes et des femmes, maigres et vêtus de loques accroupis sur la chaussée en construction. S’ils ne sont pas en train de casser des pierres avec des masses de fortune, c’est un pied dans le vide qu’ils ont pour mission d’empiler ces pierres équarries qui serviront à construire le contrefort capable de prévenir à terme de nouveaux effondrements. D’autres, par deux, sont chargés de déblayer la route. Le premier qui a pour mission d’enfoncer la pelle dans le tas de sable ou de cailloux est le plus souvent aidé d’un second qui tire une corde attachée à la base de la pelle. L’effort, ainsi partagé, est restreint et la cadence accélérée. Il n’est donc pas rare de voir des femmes pelleter elles aussi... Leurs bâches bleues agrippées à la falaise qui leur servent de tente sont les signes d’un campement itinérant qui se déplace de zone d’effondrement en zone d’effondrement. Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui vivent sur le bord de ce précipice, en plein hiver, pour une bouchée de pain, ne bénéficient bien évidemment pas des infrastructures sanitaires de base, et il n’est pas rare, lorsqu’il fait un peu plus soleil, sur le coup de midi, d’apercevoir ces hommes à la peau sombre (ils doivent être intouchables) se laver quasiment tout nu à grande eau glacée sur le bord de la route, à 10 cm de la carrosserie des bus endiablés...

Nous avons appris plus tard que cette route est d’ailleurs l’une des plus dangereuses de l’Himalaya. Heureusement que nous ne le savions pas avant de partir !

Le bout du monde est fortement peuplé...

Mais le bus himachalien, ce sport extrême - dont on n’oserait rêver dans les plus grands parcs d’attractions européens - se pratique, malgré sa dangerosité, à plusieurs. Voir même à beaucoup. Les bus à banquette que nous avons pris, et dont la capacité normale doit être de 50 passagers (10 banquettes de 2 passagers et 10 de 3 passagers), contenaient en effet souvent bien plus de 80 passagers. La raison en est simple : le bus himachalien n’a pas d’arrêt fixe. Il s’arrête dès qu’on lui fait signe, un ouvrier, une femme chargée d’un lourd ballot, un groupe d’écoliers pour 2 km, ça monte et ça descend : entre le bus de ville et le car au long cours.

Heureusement pour tout le monde, ce n’est pas au chauffeur de prendre en compte toutes ces sollicitations impromptues. S’il devait se tourner sans arrêt pour repérer les mains levées ou distinguer les cris d’arrêt des conversations bruyantes, ce n’est pas 1 mais 10 bus qui se retrouveraient au fond du précipice chaque année ! (je ne connais pas les statistiques au fait...)

Le poinçonneur des lilas

Le chauffeur de bus, protégé de la foule par une sorte de cage métallique ouverte, est assisté par les services spécifiques d’un poinçonneur de billet. Notre poinçonneur des lilas (il avait une doudoune violette les deux fois qu’on l’a aperçu) a donc une responsabilité plus importante qu’il n’y parait. Si sa tâche première est de repérer les nouveaux arrivants dans le bus, et de leur vendre les billets adéquats en fonction de leur destination, il lui faut ensuite observer constamment le bord de la route pour repérer d’éventuel voyageur qu’il serait dommage de ne pas embarquer, compte tenu de la fréquence relativement faible des bus dans le froid montagnard. Une fois repéré, le voyageur est signalé au chauffeur par un violent coup de sifflet qui signifie « arrêt immédiat ». La porte s’ouvre alors que le bus est encore en marche, le passager courageux saute sur le marchepied en ayant lancé son sac au préalable à l’intérieur, et s’agrippe à la barre métallique tandis que le bus redémarre au signal d’un double coup de sifflet « départ immédiat ». Dans les villages, lorsque le bus doit manœuvrer dans la foule et les animaux, le sifflet sert d’avertisseur de recul. Pour en revenir au poinçonneur des lilas, il est important de noter que les qualifications que requièrent ce job sont relativement élevées. Le poinçonneur ne vend en effet pas des billets à tarif unique ou encore à prix fixe en fonction des destinations : il vend des billets à tarif variable en fonction du nombre de kilomètres que le voyageur a l’intention d’effectuer. Il doit donc constamment calculer mentalement la distance à la destination annoncée depuis l’endroit où le voyageur est monté, alors même qu’il ne l’atteint parfois, ce voyageur, que de nombreux kilomètres après sa montée, une fois qu’il est parvenu à traverser l’allée centrale encombrée de sacs et de gens entremêlés. Une fois la distance calculée, il doit la convertir en roupies et la traduire en billets marqués de 4, 5, 10, 20, 50 roupies qu’il additionne et tend enfin au voyageur contre monnaie sonnante et trébuchante. La dextérité de ce poinçonneur au physique bollywoodien et son agilité de singe sautant d’un bout du bus à l’autre m’ont, il faut bien l’avouer, un peu fascinée...

Voyage intérieur

Mais le bus himachalien c’est avant tout un paysage à double sens. Un paysage intérieur et extérieur à la fois, une scène de vie évolutive, qui nous renseigne sur les contrées qu’on traverse. Si le paysage de montagne est évidemment impressionnant et varié, si les terrasses, qui nous rappellent celles du Djebel Haraz, succèdent aux collines bleutées de Shimla, avant que les neiges éternelles ne s’affichent sur des milliers de mètres de dénivelé, à l’intérieur du bus aussi, le paysage vaut le détour. Ainsi, tout au long de notre trajet depuis Shimla jusqu’à Kalpa dans le Kinnaur, nous avons vu petit à petit la mode changer.

Costumes...

Côté homme, des vestes de costume style mao en feutre beige ou gris ont peu à peu remplacé les pulls de fortune et les doudounes occidentales des Shimlasiens. Les bonnets se sont eux aussi transformés en toques de feutre au rabat de velours vert.

Les femmes, quant à elles, portent elles aussi et tout comme dans le djebel Bura, leur costume traditionnel au quotidien. Et quelle classe ! Inspiré du sari, il est composé du même tissu clair et épais que le costume sobre des hommes. Les plis de la grande étole de feutre se portent à l’arrière, affichant un dernier pli brodé de motifs « incas » colorés. Une veste verte en velours cintrée, comme on pourrait en porter à Paris dans le Marais, se porte ensuite sur la robe-étole-sari. La même toque que celle des hommes et un châle en laine gris, brodés des mêmes motifs que la robe viennent ensuite compléter la tenue de ces femmes polyandres (ah ah, on en reparlera plus tard de ça !).

bijoux...

Les bijoux eux aussi évoluent. Les points rouges peu à peu disparaissent du front, - au même rythme que les saris - et d’autres ornements en or les remplacent. Dans le Kinnaur, toutes les femmes de 17 à 77 ans portent une sorte de « boucle d’oreille de nez » : souvent en or et bien en vue sur l’aile droite de leur long nez fin, ces boucles d’oreille de nez sont de la même taille que les points entre les yeux (environ 0.5 cm de diamètre) et délicatement ouvragés. Les boucles d’oreille en or assorties se font, elles aussi, plus marquées. Souvent à 2 ou 3 par oreille, elles sont parfois reliées entre elles, du haut de l’oreille jusqu’au lobe par une chaînette dorée.

choux-fleurs, chips et sourires

Les vendeurs de « snack » qui, comme dans le train, font irruption de manières impromptues aux arrêts les plus importants, font eux aussi évoluer l’offre. Des pois chiches pimentés dans un cornet de journal généreusement offert accompagnés d’une cuillère en papier journal pliée elle aussi, succèdent aux sandwiches frits dès la première étape de montagne. Le chou-fleur frit continue par contre son ascension jusqu’au Kinnaur tandis que nous craquons finalement pour des guirlandes de paquets de chips (un peu moins pimentes que le reste - ouf) qui ornent les échoppes de passage. Ces paquets de chips nous servent en effet et de manière assez amusante, d’altimètre. Si à 900 m, ils ressemblent à ceux que l’on peut acheter en France, dès que l’on passe les 2000 m, à cause de la différence de pression, ils commencent à gonfler de manière inquiétante. Vers 3000 m, ils sont durs et prêts à exploser au moindre choc... il est temps de les ouvrir !

Les visages mats, aux traits réguliers de ces femmes ridées par le soleil, sont agréables à regarder. Étrangement, les sourires se font de plus en plus nombreux et chaleureux au fur et à mesure que les conditions climatiques se font difficiles. Je me rappelle d’une vieille femme rayonnante, qui, après avoir à escalader le marchepied du bus avec un énorme sac de 50 kg (que Manu a eu du mal déplacer par la suite), n’a pas trouvé de place assise, mais a tout de même continué de sourire et de plaisanter de plus belle, heureuse simplement d’avoir pu grimper dans ce bus...

Himalaya, je vous aime

De ce bus dans lequel nous avons dormi, nous avons mangé, nous avons eu peur et nous avons ri,
de ce bus dans lequel nous sommes sortis tout courbaturés, éreintés, malades et frigorifiés,
de ce bus que nous avons failli ne pas rattraper à un arrêt, fascinés par trop de choux-fleur frits,
il nous reste la sensation d’être allés au bout du monde, un monde tout en plis et en virages, un monde qui s’épure au fur et à mesure que le ravin se creuse et que les neiges éternelles approchent...



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