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Udaipur ou plongée au coeur de la douceur de l’Inde 8-10/12/2006
Le 10/12/06

Une ville dans la brume

Arrivée triste dans la ville noire de ce matin d’hiver... Nous avons perdu la partie de notre Lonely Planet dépecé pour ces deux semaines dans le Rajasthan. Perdu dans le désert le Rajasthan !

Un rickshaw nous aborde et, pour une fois, nous ne protestons pas : nous le laissons nous guider à travers les ruelles tortueuses de la ville que nous découvrons encore endormie. Il nous dépose, heureux de sa trouvaille et tout excité par la commission certaine qu’il touchera, dans une guesthouse sur les hauteurs de la vieille ville... Par chance, c’est une bonne pêche pour nous aussi : cette guesthouse qui s’appelle Palace View possède une vue imprenable sur toute la ville d’Udaipur - LA ville fantasmagorique qui a servi de décor au film James Bond « Octopussy ».

Notre premier lever de soleil sur la terrasse est magique : les collines perdues dans la brume laissent émerger l’astre solaire qui rosit la ville en douceur. Les lacs tapis au pied du Palais rayonnent entourés d’une nature encore présente au cœur de la ville. Un jeune Espagnol pompier et bouddhiste finit son yoga au point du jour et nous entamons la conversation... Vipassana, un nom dont il faudra se souvenir, me dit-il, si, un jour, il se trouve que j’ai besoin de faire de la méditation pour calmer mes nerfs à vif !

Magie des Maharajas

La découverte du cœur historique et du Palais somptueux du maharadjah d’Udaipur nous laisse rêveurs. Pour une fois, nous avons pris un guide... Les anecdotes sont foules, mais l’essence du lieu nous échappe et, une fois la visite terminée, nous retournons dans le palais, nous imprégner de l’atmosphère architecturale et observer les détails qui nous ont échappés. Sur ce coup-là, Emmanuel et moi, nous nous sommes bien trouvés ! Je ne pensais pas que quelqu’un d’autre puisse passer autant de temps dans un musée sans s’ennuyer. :)

Comme à l’accoutumée donc, les visiteurs nous dépassent allègrement, alors que nous nous attardons devant des toiles anciennes retraçant la vie quotidienne des maharadjahs de l’époque. Le palais tout de marbre a été construit en plusieurs siècles et étapes successives, et portent l’empreinte de plusieurs styles distincts. Toutefois, comme à Jaipur et Jodhpur, c’est la figure des moucharabiehs, destinés à conserver les femmes du harem dans la discrétion du Purdha qui me fascine. Ces motifs géométriques et transparents de marbre sont inusables et leur beauté contemporaine est toujours indéniable.

Le marbre pour tous

Mais le marbre n’est pas réservé qu’au maharadjah du Palais dans cette ville magnifique... En effet, si l’un des revenus principaux de la ville d’Udaipur est le tourisme, la puissante industrie de marbre et de zinc n’a pas disparu pour autant. Le marbre se pose ici comme ailleurs la terracotta ou l’enduit, et la maison dans laquelle nous avons élu domicile en est recouverte. Notre chambre, donc, est comme le reste de la maison, habillée de marbre. Au sol, sur les appuis fenêtres et sur les étagères-alcôves qui servent d’armoire. Le marbre, loin de ce que j’imaginais, n’est donc pas si froid s’il est bien posé et intégré sans prétention à l’aménagement intérieur d’une chambre : sa translucidité apaise au contraire et permet des subtils jeux de lumière qu’aucune autre matière ne saurait égaler (quoique l’albâtre peut-être)... Well well, j’y penserais pour mes prochains clients fortunés !

Home sweet home

Cette guesthouse dans laquelle nous retournons épuisés après notre immersion de plusieurs heures dans les temps reculés de maharadjas, est en réalité la résidence principale d’un couple de médecin/femme au foyer, dont les deux enfants sont en âge de quitter le foyer. Le premier est en effet déjà en fac de médecine à Kota tandis que le second - qui rêve de devenir architecte !- est sur le point de partir... Ils se sont donc décidés à convertir leurs quelques chambres désormais vides, en résidence de passage pour backpackers en manque de chaleur familiale... Et ils font vraiment tout pour qu’on se sente « at home ». Le soir lorsque nous rentrons le père crie même du haut des escaliers « welcome home ! », tandis que le matin sa femme se fait fort de nous apporter le thé sur la terrasse alors que nous guettons les premiers rayons du soleil... Ils nous parlent d’eux et de leur vie quotidienne et, malgré les relations d’argent qui ne manquent pas de nous stresser par moment (elle nous pousse un peu à la consommation de « cuisine maison » !), nous parvenons enfin, après 2 mois de voyage, à nous sentir comme à la maison...

Couleurs mouillées en fanfare

En fin d’après-midi, alors que les couleurs se réchauffent rapidement, nous filons rejoindre un coin du lac où le soleil est réputé se coucher dans toute sa splendeur. Il tient sa promesse ce soir encore, et comme le matin nous imprègne du sentiment d’être ici dans un lieu vraiment spécial. Sur le lac, des palais flottants accrochent les reflets rougeoyants de ses derniers soupirs, tandis qu’au loin, les collines noires s’effacent, une fois de plus dans la brume.

Les échos d’une fanfare joyeuse nous tirent soudain de notre rêverie. De loin, il me semble que c’est le défilé du 14 juillet qui s’avance dans le crépuscule tellement le volume sonore devient impressionnant. Nous nous approchons alors de la petite route qui ceinture le lac et nous nous trouvons nez à nez avec une toute petite fanfare répartie de part et d’autre de la chaussée délimitant une sorte de piste de danse mouvante sur laquelle une trentaine de femmes et d’hommes en tenue de gala se trémoussent joyeusement...

Mais la véritable surprise est venue d’un coup d’œil jeté en arrière : c’est un énorme éléphant qui suit cette petite troupe, d’un pas nonchalant, balançant sur son dos dans un siège en argent tel qu’on en voit dans de vieux films indiens, un couple entre deux âges qui sourit légèrement... C’est leur 25e anniversaire de mariage qu’ils célèbrent ainsi, en toute modestie, dans cette ville des mille et une nuits.

Massage et mobylette

Plus tôt dans l’après-midi, le dos broyé par le voyage en bus, j’avais demandé à la maîtresse de maison de m’indiquer un bon masseur dans le quartier. Ni une, ni deux, elle m’avait envoyé sa « copine », charmante, qui m’avait promis un créneau en début de soirée, si je le voulais bien. De retour à la « maison », ma masseuse m’attend donc, et nous filons toutes les deux sur sa mobylette à travers les rues pentues et tortueuses de la vieille ville. Je n’en mène pas large : je suis en effet assise en amazone derrière elle, et malgré le petit marchepied prévu à cet effet sur tous les deux-roues indiens, je manque plusieurs fois de perdre l’équilibre...

Sa boutique est toute petite, et des plus sommaires : le sol est en ciment sale, et la « table de massage » recouverte d’une couverture type « plaid »... Je ferme les yeux... Par chance, le décor ne préfigurait pas de ses qualités thérapeutiques...

Et un massage ayurvédique plus tard, les cheveux pleins d’huile comme ceux bien lissés des femmes à tresses qui m’entourent sur le seuil, je grimpe sur la mobylette de son père cette fois, qu’elle a appelé à la rescousse après avoir senti mes frémissements de peur de tout à l’heure. À trois sur sa mobylette, moi en sandwich entre ces deux Indiens rodés à la conduite dangereuse de ce pays, je vis enfin la sensation de la moto familiale qui convoie de jour comme de nuit des familles entières des 3, 4 ou 5 personnes, femmes et enfants en sus, dans les ruelles, routes et autoroutes de l’Inde...

Je me suis endormie très vite à peine arrivée dans ma chambre sous le regard un peu jaloux de mon « mari » de voyage...

À vélo en Suisse indienne

Cette ville nous plaît et nous avons décidé de nous y poser un peu. Ce matin, nous louons des vélos pour découvrir les alentours : la ville est relativement peu accidentée et la circulation semble réduite. Nous serions fous de ne pas en profiter !

Le tour du lac nord-est irréel. Nous avons à la fois l’impression d’être au bord du lac Léman... tout en ayant, enfin et pour la première fois, l’impression d’être entièrement et totalement en Inde. Les femmes en sari coloré et mouillé lavent le linge sur les berges et nous tentons d’apercevoir les quelques hardes que nous avons données à laver le matin même à notre logeuse... Peine perdue : les quantités industrielles de tissus qui passent entre leurs mains ont toutes les couleurs et toutes les formes... sauf celles de nos habits européens... Tant pis, nous ne verrons pas nos habits, mais aurons tout de même eu la satisfaction de voir leur laverie !

Le temple en haut de la colline

Un temple en haut d’une montagne nous appelle. La montée est dure, car aucun souffle d’air ne vient nous rafraîchir. La brume à cette heure-ci encore est diffuse : elle semble capter toute la chaleur du soleil et nous en envelopper. Mais la vue est imprenable et la présence de ce lieu de culte en hauteur contribue à rendre la montée « différente ». Comme d’autres fidèles qui sont venus déposer leur offrande, nous nous posons pour discuter en regardant le paysage... Mais nous, contrairement à eux, nous ne disposons ni des noix de coco ouvertes par le prêtre ni des grains de riz soufflés et autres sucreries que la divinité rend en échange de l’offrande de fleurs, de noix de coco, de riz et autres sucreries, à peine déposée...

Découvrir la douceur des franges de la ville indienne

La journée se poursuit en vélo, doucement, entre les bords du lac où sévissent les lavandières, et les franges de la ville qui nous happent dans leur vie tourbillonnante. En cherchant à faire le tour du second lac, nous nous sommes en effet perdus dans un quartier résidentiel « middle class », un quartier comme on n’en voit jamais sur les parcours tout tracés que les « guide book » « must see » nous concoctent en Inde. Sans guide, nous retrouvons en fait les charmes du voyage en Inde où le guide que nous possédions alors, plein d’erreurs et de non-dits, nous avait permis de nous perdre dans la vie quotidienne de ce pays si différent.

Il est intéressant d’observer que l’architecture résidentielle de ce quartier « middle class » qui correspond chez nous aux pavillons de banlieue est ici presque moderne (au sens noble du mot). Faites de volumes simples qui évoluent sous la lumière et de détails inspirés de l’histoire architecturale du lieu, ces maisons aux formes cubiques ornées de fenêtres en moucharabieh, se déclinent en plusieurs couleurs le long de rues résidentielles moins calmes que celles de nos banlieues-dortoirs, mais moins dangereuses que les rues de la vieille ville.

Les enfants que nous croisons portent les uniformes de leur école... C’est le début de l’après-midi et certains y retournent. Des femmes passent, des légumes à la main, tandis que des ouvriers réparent une conduite d’eau au fond d’une tranchée creusée dans la rue. Parmi eux, des femmes et des enfants s’affairent, autour du mortier...

Nous tournons plusieurs fois avec nos vélos dans ces rues aérées avant de nous arrêter dans un restaurant de quartier près de la rue principale où un businessman finit seul son déjeuner à une table dans la pénombre. Le lieu est à nous. La cuisine grasse est plus raffinée qu’à l’accoutumée. Pour un peu, on se prendrait pour des habitués, dans les canapés usés d’un coin de la salle, affalés à côté de l’« air conditionner »... Ici, le mur de verre n’existe pas et ça fait un bien fou.

Courses de vitesse, briques et sourires

Sur la route, plus tard et plus loin, un enfant fait la course avec moi... je perds bien sûr, mais le contact est là, réel et précieux. Nous lui demandons notre chemin pour rejoindre le lac sacré... mais il nous détourne de notre but initial en nous expliquant que la voie rapide qui contourne ce lac est bien trop longue à cette heure du jour pour nos petites jambes et nos vélos sans vitesse. Un autre homme se joint à la conversation et se propose de nous guider à travers les rues résidentielles et pourtant animées d’un autre quartier.

Forts de nos 3 semaines en Inde, nous sommes prêts à lui donner de l’argent, pour le remercier de ce service... mais non. Ici, il n’en est pas question. On a le droit de demander son chemin comme partout dans le monde... L’Inde sans touristes est normale, et accueillante. Cool !

Il nous abandonne - après nous avoir maintes fois répété le chemin à suivre - sur une route longeant un terrain vague. Un homme piétine avec assiduité un tas de boue : des piles de briques séchées au soleil l’entourent et deux femmes en arrière-plan s’affairent à un moulage qu’on devine...

L’après-midi s’achèvera plus tard sur un ghât, un livre à la main, les pieds presque dans l’eau - si ce n’est la peur des crocodiles dont on nous a dit qu’ils existaient encore dans ces eaux - tandis que le soleil se couchera sur le palais de marbre face à nous, dans un feu d’artifice de couleurs mouillées.

Escapade anachronique

Le lendemain, c’est à l’arrière de la vieille ville de se décider à nous livrer ses secrets au cours d’une escapade pleine d’anachronismes : les forgerons forgent des poutres de métal que les usines débitent au kilomètre chez nous, d’autres artisans frappent avec régularité des pots en fer afin de les former, les tailleurs taillent des costumes sur leur machine à coudre à pédale, les imprimeurs pressent les piles de pamphlets ou les pages vierges des cahiers d’écoliers qui seront plus tard assemblées, les faiseurs de couettes font des couettes, les repasseurs repassent avec leur fer en fonte empli de braise... et nous passons. Pour une fois, nous nous sentons les seuls Européens dans cette ville à découvrir la complexité de ce pays entre anachronisme et leadership technologique...

C’est finalement en sleeper bus que nous quitterons Udaipur, comme nous y sommes arrivés. Dans un décor plus « année 50 » que la première fois, des femmes, des enfants et des maris sont affalés à 4, 5 ou 6 sur les banquettes individuelles tandis que nous nous partageons royalement notre double banquette surélevée. Les bras, les têtes et les jambes s’entremêlent, les sourires jaillissent des petites bouilles lorsqu’elles accrochent mon regard de fille blonde, joufflue et à lunettes du haut de sa banquette secouée...

La nuit sera courte, puisque, comme aime à le souligner Emmanuel, le sleeper, c’est comme la diligence : pas d’amortisseur ni de vitesse... juste le charme désuet de voir défiler le paysage en panoramique du haut de sa couche...



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