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Un jour gris à Jodhpur, la ville bleue 04/12/06
Le 04/12/06

Attente épicée dans l’aube grise

Ce soir, nous quitterons Jodhpur pour Jaisalmer, la ville aux portes du désert. Dès l’aube, nous décidons donc de partir à la chasse aux billets de train. Le petit déjeuner dans un boui-boui sale aux abords de la gare est assorti à la couleur du jour nouveau : gris et sans relief.

Et l’attente qui suit lors de l’achat de notre billet semble se prolonger indéfiniment... la journée commence petitement. C’est qu’en Inde acheter un billet, c’est un peu plus compliqué qu’à la SNCF... (si si, c’est possible). Il y a en effet trois files devant le guichet unique derrière lequel bâille une jeune Indienne indifférente aux mouvements de foule que son indolence crée. En outre, le caractère spécial des Indiens, pinailleurs et suspicieux, et en tous points opposé à celui de leurs anciens compatriotes anglais, ne facilite pas la tâche déjà complexe de départ. Il est en effet prévu que la file des femmes, celle des étrangers, et celle des « citoyens indiens » alternent à l’arrivée au guichet... Mais derrière le guichet, le désordre et le mécontentement qui règne est fantastique, et alors même que la salle d’attente est immense et vide, c’est dans moins de 3 mètres carrés que se pressent en resquillant une vingtaine d’Indiens dont les commandes sont parfois surprenantes (le couple devant nous a acheté 30 billets d’un coup, déboursant ainsi une somme qui nous a semblé astronomique, tout en poussant et repoussant sans arrêt l’ordre de la file pour de multiples réclamations).

De retour vers la vieille ville, un magasin-snack chargé de « gâteaux confiseries » de toutes les formes attire notre œil. Les piles de galets, cubes et autres patatoïdes oranges, jaunes et blancs recouverts de feuilles d’argent contrastent avec les paranthas fades, mais trop relevées de tout à l’heure... Après de nombreuses hésitations et quelques imbroglios en indien avec le caissier tout aussi apathique que la guichetière précédente, notre choix final se révèle un peu décevant. Loin des jus de fruits du Yémen, les canettes qu’on nous sert à prix d’or sont aussi artificielles que celles d’un Leader Price de banlieue. L’espèce d’éponge jaunâtre imbibée d’un jus salé et légèrement épicé qu’on nous sert dans l’habituelle coupelle en feuille de lotus séchée nous déçoit également... Puis, la bien connue confiserie serpentine : en sucre dur fourrée au sucre liquide... La cuisine indienne est variable, et nous apprenons une fois de plus à nos dépens que plus la devanture est soignée à l’occidentale, moins la saveur risque d’être au rendez-vous.

une vieille ville si contemporaine

Nous décidons alors de nous perdre pour provoquer les surprises et réveiller cette matinée figée dans la lumière grise d’une aube qui n’en finit pas de se lever... Dans le quartier à dominante résidentielle dans lequel nous nous enfonçons, les ruelles s’emplissent peu à peu. Les portes s’ouvrent et nous apercevons les intérieurs de ces maisons pauvres, toutes surélevés par rapport à la rue d’au moins 50 cm... C’est que le tout-à-l’égout est à l’air libre dans toutes les rues indiennes (des vieilles villes en tout cas) et dégouline en deux rigoles le long des façades souvent décrépies. De simples pierres minces étroites, mais solides, fichées en porte-à-faux dans le soubassement des maisons, comme sur les murs corses de Nocario, servent de tremplin à la petite dalle d’entrée... Aériens, ces escaliers-paliers font une concurrence sévère dans mon esprit avec les images de loft minimaliste et luxueux que tout architecte chérit dans sa tête... La modernité architecturale de l’Inde traditionnelle me déconcerte parfois...

Les dieux à la lessive

Un temple animé attire nos regards au détour d’une allée piétonne plus commerciale que les autres. À l’intérieur, une cour entourée d’un portique simple sur un côté abrite en son centre un magnifique jardin au cœur duquel la statue de Shiva, le dieu bleu si je ne me trompe, est représentée de manière plus humaine que d’habitude... Mais c’est sous les arcades que se portent rapidement notre attention : un prêtre reconnaissable à son large tatouage crème en pigment naturel sur le front est agrippé à une statue de marbre... Il frotte et frotte et colle... mais quoi ? Nous sommes lundi, et comme tous les lundis, c’est l’heure du grand nettoyage des dieux : on les astique comme on ferait de l’argenterie, et pour les faire briller encore plus on les recouvre de feuilles d’argent (les mêmes, il me semble, que celles que nous venons de voir dans notre pâtisserie du matin)... Well, why not !

Plus loin sur la sculpture de pierre en forme de motte-pénis qui accompagne toujours la statue de Shiva, un prêtre fait couler sans discontinuer des jarres et des jarres de lait frais... Dans un réceptacle en forme de lampe à huile à la base de la sculpture, le lait s’écoule et jaillit ensuite en un flux brillant. Les croyants, après avoir déposé leur offrande, s’être inclinés devant la statue de pierre et avoir été bénis d’un bindi rouge de pigment naturel sur le front par le prêtre, passent leur main sous le « robinet de lait » et s’en enduisent le front et les cheveux, avant de repartir l’air pénétré de toute cette spiritualité ruisselante...

Je me demande comment les Indiens gèrent leur emploi du temps pour qu’à chaque heure du jour les temples soient toujours ainsi emplis de dévots...

Purdah et moucharabieh

Nous ressortons dans la lumière froide du jour... Le fort de Jodhpur, qui hier soir resplendissait au soleil couchant, apparaît aujourd’hui du pied de la ville comme un gâteau compact et massif perché sur un rocher inaccessible. Mais comme la passion de l’histoire nous tient encore ( !), nous grimpons... Par bonheur, l’accueil, puis la visite sont impressionnants de qualité : le guichetier est extrêmement courtois et souriant - à l’anglaise, et l’audio guide en français est fascinant d’histoires et d’anecdotes qui s’entremêlent les unes dans les autres. Bref un niveau de qualité « international », comme ils disent, qui contraste sérieusement avec nos rencontres du matin... L’Inde des touristes n’est pas celle des Indiens...

Le fort de Meranghar, cette ville-palais derrière les murailles est un bel exemple d’architecture de la région de Marwar, qui comme la plupart des provinces du Rajasthan, a su faire fructifier l’alliance entre les traditions mughales musulmanes des envahisseurs et celles ancestrales de maharadjahs locaux. Le palais comme celui de Jaipur est fascinant par la finesse de son architecture sculptée, dont les rideaux de pierre sont si fins qu’on se demande comment ils tiennent encore après toutes ces années de vent et de moussons supportées. Aux fenêtres, d’élégantes canopés de pierre effilées, comme il semble pourtant impossible de le faire avec du grès, protègent de la lumière intrusive ces fenêtres toutes de pierre grillagée... Mais ces rideaux de pierre ciselée ne sont pas qu’esthétiques et leur rôle dans l’inextricable entrelacement des mondes masculin et féminin est fondamental.

Le rôle des femmes du palais jusqu’à l’indépendance était en effet ambigu. Consignées au Purdah, c’est-à-dire à ne pas être vues par un autre être masculin qu’un homme de leur famille, les femmes du harem avaient cependant droit au chapitre en matière de discussion politique... mais seulement en privé. Toutes les cours de réception, les salles de conseil, et de réunions ont donc été conçues de manière à être « surveillables » depuis des balcons dissimulés derrière des moucharabiehs, des galeries suspendues ou dissimulées dans des murs, des fenêtres à persiennes inclinables... le tout relié par un réseau de couloirs et d’appartements qui se superposent dans le dessin au domaine des hommes.

Cette architecture me fait tourner la tête : tous les points de vue sont pensés pour que l’espace vive dans toutes ces dimensions, et les inventions architecturales qui soutendent ce mode de vie musulman à l’indienne me fascinent...

Un diseur de bonne aventure au palais

Empreinte de l’atmosphère de ces lieux, je succombe dans la dernière cour à l’attraction mystique du palais : le diseur de bonne aventure. Comme partout en Inde où la spiritualité et la superstition s’entremêlent au quotidien, le liseur de lignes de la main sévit dans le palais depuis des temps immémoriaux... Aujourd’hui pourtant ce n’est plus au maharadjah qu’il s’adresse pour prédire l’avenir, ou valider les actions politiques, mais au touriste à qui il vend le bonheur de demain...

L’attente est tout aussi longue que celle des billets de train, mais bien plus excitante... La consultation est rapide - j’ai choisi l’option économique pour ne pas froisser l’esprit rationnel de mon homme qui assiste à la consultation à mes côtés. Dans un anglais très rapide et teinté d’un fort accent indien, le diseur de bonne aventure décrit mon caractère assez précisément avant de me donner des dates clefs dans ma carrière... :) Tout est censé aller pour le mieux dans le meilleur des mondes après un petit changement d’orientation à 30 ans ! À noter : il me conseille de préférer les grandes entreprises internationales et le travail à l’étranger aux petites agences franchouillardes... Je sors à la fois enchantée, dubitative et troublée de cette visite. Il n’a rien dit d’inquiétant pourtant - qui se permettrait de ruiner le séjour d’une petite touriste pour quelques roupies ?? - Mais tout de même, cette idée de pouvoir prévenir l’avenir me perturbe, et l’idée de la mort -qu’il m’a annoncée a 82-83 ans ( !) me poursuit jusque dans le tombeau de marbre dédié aux femmes d’un des maharajahs de la dynastie des Marawar, à quelques centaines de mètres du fort. L’angoisse de la mort de mes proches m’y fait pleurer soudain de longues minutes... nous sommes si loin de vous après tout... Peut-être aussi que ce jour gris qui n’en finit pas est responsable de cette hémorragie lacrymale ? En tous les cas, c’est promis, j’arrête les diseurs de bonne aventure !

Épices et falbalas

Plus tard, une balade dans les bazars autour de « clock tower » (comme son nom l’indique, une tour du style anglais et bigbenesque qui indique l’heure) nous amène dans des échoppes d’épices, comme il y en a beaucoup dans la ville. De belles boutiques, avec les sachets alignés, les étiquettes en français ou en anglais... et des prix exorbitants ! Aussi cher que cela pourrait être chez un honnête marchand d’épices parisien. Mais la joie du marchandage ne nous a pas abandonnée et, finalement, en parcourant les épiciers qui vendent en vrac, on finit par rassembler rapidement, et pour bien moins cher, les ingrédients nécessaires à une infusion, que l’on a goûté chez un marchand précédant : le thé au safran (2 graines de cardamome, 5 écorces de cannelle et 1 « brin » de safran à faire bouillir pendant 5 minutes avant de servir chaud et surtout sans sucre cette fois...)

Plus tard, un marchand de jus de fruit nous rappelle les saveurs perdues du Yémen... Mmmm, un jus d’ananas (sans eau ajoutée, heureusement...) Assis dans la petite boutique qui comporte une banquette et 2 chaises en plein air, un Indien qui parle français, et qui a l’air à l’aise dans la vie, vient nous raconter sa vie. Il nous narre avec emphase son histoire impossible avec une Française. Il enchaîne sur une légende à suspense dans un temple de Jaisalmer. La soirée s’étire... mais pour faire bref et couper court à tout suspense insupportable, la légende raconte l’histoire d’un sadou (un vagabond mystique) qui doit prouver à la cour du maharajah de Jaisalmer qu’il est réellement sagou... Pour cela, il fumera devant l’assistance médusée, un kilo de cannabis en une seule inspiration ! Le maharajah lui demande alors « comment as-tu pu fumer autant, d’un seul coup, ce narguilé de cannabis ? Où est le cannabis ?? Où est la fumée ?? » Pour toute réponse, le sagou, assis par terre en tailleur, soulève sa jupe, d’où une énorme fumée s’échappe et vient tacher d’une large trace noire, encore visible, le plafond royal !

C’est par ce biais détourné qu’on apprendra que Jaisalmer, où notre train de nuit nous mènera bientôt, possède un lac, un palais taché de suie, et des sadous mystiques, fumeurs de drogue...

Retour à la normale

Malheureusement, la gentillesse de ce conteur drôle est un peu intéressée : il a du textile indien à vendre... Heureusement, notre stoïcisme face à sa séduction verbale aura raison de ses tentatives commerçantes et nous réussirons à nous quitter en bons termes... Enfin presque : après lui avoir demandé de nous conseiller un petit endroit où se restaurer à l’indienne, il nous a conduits et installés avec force, sourire et insistance dans un petit boui-boui lugubre, aux plats surépicés et bien trop chers pour la qualité... Well, il aura tout de même réussi à faire profiter à un de ces amis de sa gouaille commerciale, ce joyeux type !

Mais le temps passe. Et il est l’heure d’aller prendre notre train de nuit ! Bonne nuit les petits !



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