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Daya Dan
Le 27/12/06

Mère Teresa

Travailler bénévolement pour les orphelins de Mère Teresa à Calcutta... Une idée presque naturelle, mais pourquoi au fait ? Pourquoi ici et maintenant plutôt qu’ailleurs et plus tôt ou plus tard ?

Peut-être parce qu’auréolée de son prix Nobel, la défunte est, de fait, encore un phare médiatique suffisamment puissant pour rayonner jusqu’au bout de la planète ?

Peut-être aussi que « la Cité de la Joie » de Dominique Lapierre, qui décrit Calcutta comme l’endroit le plus misérable de la planète, stigmatise encore cette ville comme celle étant la plus en demandé de charité (et cela même après qu’elle ait mis en place de nombreuses politiques de gestion du flux d’émigrés à l’origine de cette vague de misère) ?

Peut-être que tant d’amis ayant déjà donné de leur temps à Calcutta aux Missionnaires de la Charité, les MC’s nous semblent presque familiers ?

Peut-être aussi que de toutes les organisations, celle des Missionnaires de la Charité, est une des plus flexibles et ouvertes à l’aide spontanée du voyageur en manque de charité ?

Peut-être enfin tout simplement parce que c’est Noël et que tout seuls dans cette ville immense où nous n’avons pas d’amis, la chaleur promise par la réunion de toutes ces âmes chrétiennes nous attire inévitablement...

En tout cas, c’est grâce à tous ces petits « peut-être » que nous sommes, un jour de décembre, allés frapper à la porte de la Mother House (maison mère) afin d’y proposer notre aide.

Un peu sceptique devant le nombre élevé d’étrangers venus de tous les continents, et présents dans la petite salle commune du couvent, j’ai demandé timidement à une sœur si on avait besoin de nous ici. Sa réponse nous a pour le moins déconcertés : « no actually we don’t really need you, but we don’t refuse any volunteer, so feel welcome ! » (« Non, en fait nous n’avons pas vraiment besoin de vous, mais nous ne refusons personne, alors soyez les bienvenus ! »).

Well well well... let’s see what it’s all about !

Un jeune Américain, en volontariat pour neuf mois chez les MC’s nous a alors expliqués dans un français presque parfait le cadre dans lequel nous allions évoluer ainsi que les caractéristiques des neufs établissements dans lesquels nous pouvions travailler ici.

La présentation générale de Calcutta et des comportements que nous devions adopter pour notre sécurité nous ont un peu interloqués au premier abord... Que cherchent-ils à faire au juste ? À nous faire croire que c’est la jungle ici ? Qu’hors la maison sainte, point de salut ? Nous sommes à Calcutta depuis plusieurs jours déjà et en Inde depuis plus d’un mois et nous commençons à faire la part des choses entre le mythe et la réalité... M’enfin, ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde ici, et surfer sur la peur des voyageurs qui débarquent dans l’inconnu est peut-être un moyen efficace de parer à tout désastre dont ils pourraient être tenus pour responsables.

Il faut dire qu’en travaillant au quotidien avec des thématiques comme les leurs, il y a de quoi devenir pessimiste et schizophrène : ce n’est pas en effet dans les mouroirs, les hôpitaux pour grands blessés, les orphelinats pour enfants handicapés, les foyers pour femmes répudiées, ou ceux pour femmes « illégitimement » enceintes et les orphelinats pour enfants abandonnés qui vont de paire, que la folie optimiste concernant le boom économique de l’Inde est à chercher !

Après quelques minutes de concertation mal assurée, et pas très surs d’être capables de laver un mourant ou de masser un grand brûlé, nous nous sommes finalement décidés pour Daya Dan : l’orphelinat des enfants handicapés de 6 à 12 ans.

Daya Dan

À Daya Dan, une cinquantaine d’enfants, handicapés à des degrés divers, vivent sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée, une grande salle de jeu, où un magicien faisait son show le jour de notre arrivée, donne sur des salles de classe. C’est ici que ceux du premier étage, qui sont retardés ou simplement physiquement handicapés peuvent avoir accès à l’éducation qui leur garantira peut-être un avenir. Savoir lire et écrire est un bien précieux en Inde lorsqu’on est handicapé, et permet d’éviter une vie de mendicité et d’errance certaine... Cependant, nous sommes vite prévenus : la plupart des enfants de Daya Dan ne sortiront de la maison qu’en cercueil. Leur espérance de vie est très très courte...

Au deuxième étage, où les volontaires de courte durée travaillent le plus souvent, des enfants plus lourdement handicapés occupent une trentaine de lits. Les handicaps sont divers et variés et il faut souvent plusieurs jours ou semaines afin de comprendre qui souffre de quoi et ne pas confondre les traitements ou les jeux appropriés à chacun. Si certains sont en effet gravement handicapés sur le plan physique (tétraplégie, myopathie, paralysie partielle, épilepsie, cécité, etc.), d’autres supportent un handicap qui ne les affecte « qu’intellectuellement ». Les enfants peuvent ainsi être soit un peu retardés, soit trisomiques ou autistes, soit... euh étranges...

Des massis, s’occupent d’eux au quotidien. Ces femmes indiennes employées à temps plein 7 j/7 et 24h/24, font les « trois-huit » dans ce foyer qui vit à un rythme intense. Ici, toutes les corvées ménagères sont faites à la main... et plusieurs fois par jour. Ainsi au réveil, c’est l’ensemble des draps, habits et couches des enfants qu’il faut envoyer à laver à la main pour les faire ensuite sécher sur la terrasse avant la nuit.

Tout comme les couches en tissu (composées d’un triangle noué sur le ventre et d’une épaisse couche passant entre les jambes), les habits ne sont pas nominatifs. Les enfants sont changés et habillés en fonction de leur sexe, point barre. Certains volontaires se trompant parfois sur la taille, quelques petites filles ont alors soudain l’air de géant dans leur robe de bébé, tandis que d’autres garçons ressemblent plus à des clowns efféminés dans leurs habits pastel dépareillés... Mais de manière générale, ça fonctionne bien. La gestion du linge est efficace, et bien plus écologique qu’elle ne le serait si on utilisait des couches jetables !

C’est sœur Christina des MC’s qui est responsable de la gestion de l’orphelinat de Daya Dan (don d’un généreux bienfaiteur en 88), située dans les quartiers nord de Calcutta. Son travail consiste essentiellement à superviser le travail éducatif, tout en s’occupant un peu de l’intendance. Elle préside également les deux prières quotidiennes et distribue quotidiennement médicaments, bonbons, biscuits et autres ballons ! Sa présence est moins rude que celle des massis : Sister Christina est souriante et généreuse et semble là pour apporter la paix.

Quant aux volontaires, venus de Corée du Japon et d’Espagne en force, mais aussi d’ailleurs en Europe et aux USA, ils sont là pour « donner un peu d’amour »... Facile à dire ! Mais moins facile à faire quand on débarque sans autre formation sur la petite enfance que d’avoir, une fois dans sa vie, fait des ondulations de cheveux aux nièces préférées de mon cher et tendre avec un fer à friser d’anniversaire !

Toutefois, en suivant les gestes des autres volontaires et en s’appliquant à poser des questions discrètes dès qu’on est dans le doute, on apprend vite.

On apprend à lever les enfants, à vérifier discrètement s’ils sont mouillés ou secs, à changer les couches en tissu aux pliages complexes, à habiller ces petits corps raides et peu dociles. Mais aussi, pour leur permettre d’aller dans la grande salle commune entre les patios, à mettre dans leurs chaises à roulettes les enfants paralysés et lever simplement la barrière de métal du lit des autres. À faire des câlins-visite sur la hanche à ceux qui ne peuvent pas bouger, à courir la main dans la main avec ceux qui n’en peuvent plus de rester allongés, à chanter (faux) des berceuses sur des airs de Piaf qui vous passent de manières incongrues par la tête, à faire rire des bébés, à tenir la tête d’une petite myopathe en la changeant de chaise, à nourrir coûte que coûte un enfant qui recrache sa plâtrée de riz aux légumes sur vos habits tout propres, à laver 50 bavoirs d’un coup ou marcher pieds nus, sans hurler, dans une cuillerée de nouilles recrachées, à gonfler des ballons percés et à faire exploser des briques de jus de fruits vides en sautant dessus, à caresser, masser, porter, secouer, faire danser, enchanter, faire rire et faire dormir tous ces petits enfants de Daya Dan...

Les enfants de Daya Dan

Les enfants de Daya Dan sont uniques ! Et pas toujours dans le bon sens du terme. Si les premiers jours ici m’ont paru difficiles, c’est en effet essentiellement à cause d’eux. Leurs mains sont souvent humides de bave, leurs pantalons sentent le pipi au réveil, leur odeur est particulière, et pour tout dire pas très agréable... Leur agressivité peut en outre en dérouter plus d’un et leur insensibilité première à vos avances est parfois décourageante.

Mais les jours ont passé, et petit à petit, ils m’ont apprivoisée et aujourd’hui, l’idée de les quitter pour ne plus jamais les revoir m’emplit soudain d’une tristesse que je n’aurais jamais pu imaginer en arrivant...

Alors, pour ne pas les oublier, et pour faire en sorte qu’ils existent encore longtemps dans ma mémoire, j’ai décidé de glisser ici quelques lignes sur chacun de ceux qui ont rendu mon séjour à Daya Dan si spécial...

-  Dipti que j’aime - je ne sais pas pourquoi - si fort, et avec qui j’ai vécu des câlins si doux, si longs et si beaux que j’en pleure encore. Ses petites mains qui m’attrapent le visage, son rire qui éclate quand le rythme de la chanson s’accélère et qu’elle saute sur ma hanche, ses petits bras tout tendus vers moi dès que je m’approche de son lit en lui disant bonjour (Heya miss Dipti, how are you today ? !) Dipti qui sait manger tout seule, mais qui jette son assiette par terre et que j’ai passé des heures à faire manger. Mes habits n’y ont pas survécu... Dipti à qui j’ai chuchoté tout à l’heure : « see you in another life miss » en espérant vraiment l’y retrouver...

-  Lucy épileptique dans son lit à côté, raide comme un morceau de bois. Quand on la change, il suffit de soulever l’orteil pour que jusqu’à la nuque tout le corps suive ! Lucy si raide qu’il faut être à deux pour la faire entrer dans sa chaise... Lucy qui mord la cuillère si fort qu’il est impossible de la sortir de sa bouche crispée... Lucy aussi, dont chacun des sourires inter-crise est plus rayonnant que celui de n’importe quel autre enfant !

-  Lilly qui m’a cassé le dos à force de la relever après ses sprints endiablés, Lilly l’hyperactive, miss dodue qui galope après ses calories de manière si maladroite que j’ai toujours préféré lui donner la main pour l’accompagner dans sa course dans les couloirs autour des patios - de peur qu’elle ne tombe. Lilly qui court, s’assied, se couche, se tourne, re-court, re-s’assied, re-se couche, se relève et recommence ! Lilly aussi que des gros câlins d’une demi-heure, affalée sur ma poitrine généreuse (je comprends maintenant à quoi elle sert celle-là, après que tous ces enfants se soient blottis contre !), font baver de sourires extatiques...

-  Megha, ma petite myopathe si belle, si intelligente... mais si autoritaire ! Megah qui sait diriger son monde depuis son petit fauteuil roulant en dictant leur conduite aux sœurs, aux « massis » et aux « aunties ». Megha qui maîtrise l’hindi, le bengali, et l’anglais, qui traduit et fait l’interprète entre ses confrères handicapés et nous, les « aunties » et les « uncles », qui luttons pour comprendre leurs cris. Megha qui ne renonce pas à la vitesse malgré son immobilité, qui est de toutes les sorties et de toutes les courses : j’ai fini en sueur deux soirs de suite après avoir sprinté comme jamais dans les couloirs étroits qui entourent les patios du deuxième étage... Mais nous avons rattrapé Nissa... et Megha, une fois de plus, a eu ce qu’elle voulait !

-  Nissa, une crevette acrobate, qui s’agrippe au cou, au dos, aux cheveux... qui s’agrippe partout et ne lâche jamais prise. Nissa qui hurle de joie à chaque nouvelle idée, mais qui ne maîtrise pas sa force. Nissa qui griffe les joues, qui mord les fesses (si si) et qui bondit sans arrêt (j’ai failli y perdre ma langue d’un coup de tête sous le menton d’ailleurs). Nissa, une petite retardée mentale, pas si à plaindre que ça finalement, parce qu’avec son énergie, c’est à parier qu’elle parviendra à faire quelque chose de sa vie, la miss énergie !

-  Leema, une grande fille de douze ans, aux yeux bridés, au regard qui louche et au nez épaté, une miss aux cheveux longs (elles ne sont que 4 à partager ce privilège à l’étage), coquette, mais maladroite, qui s’est étalée tout son henné sur sa robe de noël en descendant sa culotte au milieu du salon. Leema qui a peur du père Noël et peut retarder toute une procession si elle a décidé que non, elle n’irait pas. Leema, ma grande trisomique préférée, capricieuse comme pas deux, mais si douée en photos (cf. les photos de groupes où je figure !!)

-  Rajni avec son sourire qui lui mange tout le visage et ses jambes de crabe. Rajni, toujours heureuse et jamais capricieuse. Rajni si douce et docile, et dont le regard émerveillé, ne peut que séduire. Rajni avec qui j’ai passé une bonne partie de la magique soirée de Noël, assise sur mes genoux pendant la pièce de théâtre et assise debout-assise-debout-assise-debout pendant la messe de minuit !

-  Pia, qui n’est pas belle et qui ne dit rien, si souvent seule dans son coin... mais qui ronronne comme un gros chat quand on lui caresse le dos ! Pia qui peut se balancer d’avant en arrière assise en tailleur sur le tapis et ne lâcherait pour rien au monde ma main dans la sienne... sa petite main si souple et si sèche, presque déjà ridée, dont les doigts peuvent se tourner en tous sens. Pia et son air si concentré sur les autres, et ce qui l’entoure alors même que je ne suis pas certaine qu’elle les aperçoit avec ses yeux qui convergent l’un vers l’autre. Pia, qui mange toute seule avec application, sans jamais s’arrêter, tout en salissant méthodiquement ses joues, son cou, ses mains, ses bras, son bavoir, la table et les enfants qui l’entourent !

-  Helena, un sac d’os à la garçonne, sur qui les robes à volant font vraiment incongru ! Helena qui hurle d’un ton rauque en guise de réponse à toute amorce de conversation, mais qui aime tant découvrir de nouvelles vues... Helena qui commence à saisir les rythmes musicaux de Pablo pourtant, et qui se révèle plus douée que d’autre en espagnol ! Helena la casse-cou, toujours sur la rambarde du patio, ou en train d’enjamber les barreaux d’un lit à l’autre...

-  Rocky, la plus excitée de toutes... et pourtant si handicapée ! Au lit ou sur sa chaise, la miss se débat en passant du rire aux larmes avec une facilité déconcertante. Rocky, qui m’a rouée de coups de pied les mauvais jours, a pourtant un vrai point faible... que, malheureusement, je ne viens que seulement de découvrir : les chatouilles-massages sur les cuisses qui la font s’étouffer de rire !

-  Robindo, monsieur le myopathe en pleine crise d’adolescence (il a 16 ans, mais en parait 6), qui refuse de manger avec moi et me défie sans arrêt du regard. Robindo, mon échec cuisant... Mais si j’étais restée plus longtemps monsieur, nous serions devenus amis, je te le garantis !

-  Backnesh, le bébé de la maison, tellement fragile avec son tout petit corps et sa si grosse tête... un amour de bébé qui rigole comme je ne croyais pas qu’il serait possible de rire à cet âge-là ! Backnesh, le premier bébé que j’ai pris dans mes bras, cajolé et aimé...

-  Angeli, toute fragile dans sa poussette, Angeli qui ne grandira jamais et qui à 6 ans ressemble encore à Backnesh... Angeli qui ne m’a jamais souri...

-  Pauline, la plus âgée... qui ne pourra jamais marcher. Nous avons eu peu de contacts, mais son regard d’autiste qui s’ouvre depuis peu au monde m’a souvent bouleversée.

-  Sonu, qui ne s’est jamais levé et ne se lèvera jamais. Sonu avec qui tout contact est impossible. Sonu qui, avec cinq autres de ses camarades (tétraplégiques ?), mange dans la cuisine avec les missas sans que jamais réellement nous ne puissions leur apporter quoi que ce soit... Sonu, emblème du handicap maximum, Sonu au regard triste, et que je n’ai pas eu le courage d’approcher... « Pour lui dire quoi ? Que ça ira mieux demain ?... » Devant Sonu au regard vide, qu’on gave comme une oie à la cuisine, et qu’on change de couche trois fois par jour comme on le ferait d’un mannequin... Sonu qui m’a fait douter du bien-fondé la mission.

Et puis ceux et celles dont le prénom s’efface peu à peu de ma mémoire :

-  miss émerveillée qui riait tout le temps en applaudissant avec force devant tout ce qui l’émerveillait : et chaque sourire l’émerveillait !

-  miss dodue, très dodue et très grande, donc très lourde... un cauchemar pour la changer chaque jour : elle se trempe systématiquement toutes les nuits à 15 ans. Miss dodue qu’il faut aussi amuser tout le temps sinon elle devient très vite très, très, très agressive et mord avec violence : je ne l’ai jamais fait manger, ouf !

-  le frère de Megha un myopathe aux bras si fins qu’un marqueur est plus épais, un garçon très cultivé, très intelligent... à maints égards similaire à sa sœur. L’autoritarisme en moins, mais le besoin de se faire valoir en plus. Il n’était pas à mon étage, mais je l’ai découvert dans l’ambulance lors de la soirée de Noël.

-  mon garçon handicapé préféré, avec qui je n’ai partagé que la marche aux chandelles de Noël. Qui chantait des cantiques en hindi ou bengali dans la rue, tout en tenant sa bougie, la flamme vacillante, à bout de bras... Un petit bout d’homme dynamique et curieux, mais qui avait besoin de mes deux mains pour se sentir rassuré ce soir-là...

-  et tous les autres...



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