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Inde, une esquisse.. 1/3 (Entre démesure et mur de verre)
Le 31/12/06

Premières impressions : Entre démesure et mur de verre

L’arrivée en Inde a été dure pour nous, il faut bien l’admettre. Peut-être que les nombreux récits et images d’une Inde mythique, « si différente, si choquante, si mystique », dont notre imaginaire a été nourri bien avant notre départ, ont-ils fini par produire une attente trop forte ?

Peut-être devrait-on prévenir le voyageur avant son départ que la confrontation entre cette attente démesurée et la réalité contrastée et pragmatique qui l’attend dans ce pays en pleine mutation risque de le mener à une déception certaine ?

Peut-être devrait-on avoir le courage de faire enfin le récit d’une Inde éloignée de l’image d’Épinal (ou de Bollywood), que les voyageurs fiers de leur exploit nous ressortent dans tous leurs diaporamas cybernétiques et avoir enfin la force d’admettre que derrière la puissance des couleurs, de la multitude et des sens, les nuances de ce pays « en voie de développement », sont infinies... même si elles peuvent nous faire un peu peur.

Mais peut-être, tout simplement, est-ce parce que « l’Inde prend du temps », que c’est après 6 semaines de voyage que je commence à peine à comprendre ce qu’il peut y avoir derrière l’image « cliché contraste » de l’Inde.

L’Inde de nos premières impressions, celles qui frappent et qui s’imprègnent sur la pellicule, peut donc servir de cadre à l’ébauche complexe et encore si incomplète de cette Inde que je commence non pas à aimer mais à pouvoir vivre enfin sans la mépriser, la juger, ou l’adorer.

La multitude

En arrivant à l’aéroport, c’est avec émotion que mon compagnon de route m’a chuchoté à l’oreille, après que nous ayons demandé notre chemin à un guichetier de change : « Tu te rends compte : nous venons de parler à notre premier milliardième de l’Inde !... »

Pensée étrange que celle d’un chiffre qu’on ne peut pas se représenter - qui a déjà compté jusqu’à 1 milliard ?...

Au delà de la multitude, la densité...

Cependant, au-delà du décompte mathématique, la notion de densité peut permettre de comprendre les conséquences que ce chiffre, rapporté à la surface, non moins abstraite, du territoire, impose au pays en matière de condition de vie.

La densité urbaine est terriblement variable dans les villes indiennes, à la fois dans le temps et dans l’espace. Mais, de manière générale, il est impossible d’imaginer, avant d’y mettre le pied, la vie qui est capable de grouiller dans ces grandes villes, et c’est souvent au cœur d’une foule compacte de corps petits et malingres que nous nous frayons un chemin. Quelle que soit la taille des avenues que les Anglais leur ont laissées en héritage, les Indiens savent en effet se charger sans problème de les faire vivre avec animation ! L’urbanisme de Perret ou de Haussmann ne fait pas peur ici. L’activité informelle intense, qui colonise l’espace public de la façade jusqu’à la rue en s’inventant le plus souvent un trottoir pris sur la chaussée, prouve en effet ici, à Calcutta, Chandigarh ou New Delhi qu’il est possible de créer d’immenses espaces publics et de réussir à les faire vivre, sans que la voiture ne s’en mêle.

Une matière vivante

C’est que la multitude est non seulement impressionnante par sa densité, mais l’est aussi par sa variété infinie. De nombreuses autres catégories, que l’on recense rarement dans les foules urbaines du monde occidental, y figurent également : enfants, vieillards et les animaux, qui sortent des cages aseptisées dans lesquelles le monde occidental les confine, loin de l’agitation de la ville. Et grâce à eux soudain, le cycle de la vie s’affiche au grand complet et la société tout entière nous semble brusquement à la fois compréhensible et réellement en vie ! (par contraste la société urbaine occidentale me semble donc « castrée » : les femmes sont « contraceptisées », les chiens sont ramassés par la SPA et castrés, les animaux de tout poil cantonnés aux appartements clos ou à la campagne.) Au cœur de la foule urbaine, des enfants par milliers se frayent donc leur chemin chaque jour, qu’il s’agisse pour eux de s’agripper aux habits de touristes pour leur arracher une pièce de monnaie ou plus simplement de travailler. Ici, lorsqu’on n’est pas de la bonne caste, c’est en effet très tôt qu’on est employé, tout comme au Yémen d’ailleurs, à couper des cailloux en petits morceaux, à porter des sacs de ciment, ou à tenir le magasin de papa. Et puis, très présents aussi, les chiens et leurs chiots (si mignons et si nombreux !!), les chèvres et leurs chevreaux (au nez étrangement busqué), les vaches, buffles, taureaux, et leur progéniture sacrée, squattent courent, broutent et aboient dans les rues grouillantes des villes indiennes.

Les textures de la foule urbaine

La rue est donc une matière vivante, faite de couleurs, de senteurs et de bruits :

-  La matière des tissus des femmes, leurs couleurs aux nuances infinies et le chatoiement des étoffes en soie, en Georgette ou en coton brodés d’or et d’argent,
-  la violence colorée des tatouages en pigment rouge sur tout les fronts et le flashy de l’orange religieux, omniprésent, les habits des sadous, les décorations peintes et collées toutes en or des innombrables temples,
-  les consistances approximatives des trottoirs de terre battue ou d’asphalte défoncés sur lesquels des hommes et des enfants nus se lavent avec un baquet à la « fontaine » tout en déversant des litres d’eau savonneuse qui se mêlent aux déchets que les vaches n’ont pas eu le temps de fouiller,
-  la surface sale des murs de quais de gare sur lesquels on a craché du jus de bétel rouge qui laisse de manière vive sur l’asphalte noir des traces couleur sang brillantes,
-  la persistance de l’odeur des déchets en décomposition partout dans la rue, étouffée par moment par celle des épices puissantes qu’on utilise exprès pour couvrir le goût naturel des fruits et légumes du marché, celle des centaines de stands de cuisine partout dans la rue, de riz aux lentilles, de thali aux puris, de pains crêpes aux œufs, de cornets de corn-flakes aux oignons et au piment, de samoussas aux fritures répétées, ainsi que tous les crépitements de cuisine et cris de vendeurs qui vont avec,

font la matière de cette foule si « dense ».

Une foule insaisissable

Une foule vivante, donc, mais une foule insaisissable surtout, dont le mouvement perpétuel étourdit celui qui par mégarde s’y égare... - surtout s’il s’appelle E. Battesti :) :) :)- Dans un mouvement pressé, des corps se frottent aux corps, des roues s’entrechoquent, des capots embrochent des pare-chocs. La foule se déplace dans un mouvement confus, sans cesse secouée de soubresauts internes - expression de la volonté individuelle de chacun de ses composants, qui font tout qui est en leur pouvoir, pour couper, doubler, traverser, ralentir pour tenter d’infléchir le flux général face à leurs besoins propres.

-  Des vélos avec 4 bouteilles de gaz au guidon et au porte-bagage, tentent de ne pas s’arrêter pour ne pas perdre l’équilibre.
-  Les mobylettes familiales qui transportent la mère et l’enfant en amazone slaloment avec prudence dans le seul but de faire parvenir tout le petit monde intact à destination.
-  Les cycles rickshaw peinent souvent avec de lourds chargements qui dépassent de plusieurs mètres le gabarit du fragile vélo à trois roues, qu’il s’agisse d’un frigo, d’un déménagement ou d’immenses tiges filetées d’aciers qui égrènent des étincelles sur l’asphalte, plusieurs mètres derrière le cycliste en sueur...
-  Les buffles sur l’autoroute traînent souvent derrière eux des charrettes antiques remplies de quelques tonnes de briques moulées à la main ou de sacs de sable mal refermés, tout en tentant de garder le rythme au milieu des bus qui les doublent avant de piler net pour récupérer un passager sur le bord de la route.

Ahhh, la foule des couleurs, des odeurs, des chocs et des pare-chocs que l’on pourrait observer des heures durant si elle ne nous emportait pas dans son flux à chaque fois !

Mais cette foule-là, si dense et si puissante pour les sens n’est pas, pour qui se souvient de la folie du ramadan sanaaïte si désagréable en soi. Car plus que la foule, c’est la pression d’une nouvelle classe sociale, ou devrais-je dire d’une nouvelle « caste » gravitant autour, et au cœur de cette foule, qui est capable à elle seule de multiplier par dix le stress du voyageur débutant. Il s’agit bien évidemment de la « caste » des travailleurs du tourisme.

La « caste » des travailleurs du tourisme

Composée de mendiants qui mentent et s’agrippent à vous sur des mètres, d’enfants loués dans les bidonvilles voisins pour la journée pour apitoyer le porte-monnaie du jeune occidental compatissant, de mutilés « on purpose », de faux sans-abris qui font l’aller-retour depuis leur village tous les jours jusque dans la rue des hôtels de touristes, d’enfants abusés au quotidien par leurs proches et qui ont appris à vendre leur affection contre de l’argent, de vendeurs-voleurs à la sauvette, de conducteurs de cycle-rickshaw agressifs, d’hôteliers avides et sans scrupules, de faux guides, de prêtres, et agents civils en tous genres, prêts à inventer tous les malheurs du monde pour vous détourner de votre route (« non l’hôtel, que vous cherchez, a brûlé, est plein, n’existe plus, non je ne connais pas le Taj Mahal ( !), etc.), cette foule agressive, oppressante, et avide, qui demande une attention de tous les instants, constitue donc un mur de verre efficace entre le voyageur naïf et l’Indien « authentique » qui lui, n’est pas pressé de nous croiser.

L’Indien « authentique » contrairement au Yéménite ou au Moyen-Oriental ne semble pas, en effet, posséder de véritable culture d’accueil, et ce quel que soit son origine sociale ou sa caste. Qu’il vienne des quartiers populaires (entre les gares et les centres-villes) ou bourgeois (où les mêmes standards et valeurs protectionnistes et individualistes qu’en Europe semblent primer avec le même consumérisme dans les mêmes magasins, mêmes aspirations carriéristes individuelles, mais plus de success-stories que chez nous...), l’Indien authentique cherche à améliorer son karma et à développer le plus possible ses capacités individuelles. [cela dit, nous avons rencontré de très charmants Indiens, parfois, au hasard du voyage, mais surtout dans les zones rurales... voir article « Sunderbans ou la nature retrouvée »]

Suite : Inde, une esquisse... 2/3 (Entre religion et superstition)



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