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Varanasi, India at last !
Le 18/12/06

Au point du jour

Nous avons découvert Varanasi, un peu comme Aden, Taez, ou Udaipur... Ces villes dans lesquelles on débarque au cœur de la nuit après des heures de route qui nous déconnectent un peu de l’espace-temps dans lequel la vie quotidienne se déroule.

Une gare animée à 5 h du matin, des rues bondées d’un marché improvisé qui se mettait en place sur l’étroit terre-plein central de l’avenue menant droit à la vieille ville. Cette ville vivante et bruyante d’une vie qu’on ne comprenait pas, cette ville sainte dont nous avions entendu parler depuis des années, nous a séduits, dès la sortie même de notre train de nuit !

Ville sainte entre toutes, fondée par les Dieux dans la nuit des temps, Varanasi, respire en effet une atmosphère particulière, faite d’effervescence, de mysticisme (un peu superstitieux, mais pas trop finalement), de gravité et de joie. Nous avons laissé nos sacs dans la petite chambre d’une guest house de la vieille ville dont le patio très végétalisé contrastait terriblement avec l’étroitesse sombre de la ruelle qui nous y a conduits. Tout de suite après, le mythe Varanasien nous a emportés en son coeur...

La brume sur le Gange

À travers les ruelles entortillées de la vieille ville, nous avons donc suivi quelques ombres pressées qui semblaient toutes se diriger dans la même direction, comme aimantés par une force invisible. Des chants ou des bruits dans cette atmosphère de point du jour résonnaient en effet à travers la brume épaisse qui baignait les tranchées creusées au cœur de la ville dense. Soudain, d’un marché fumant du chai qu’on fait chauffer sur le feu, et des déchets qui brûlent entre les échoppes, la fumée nous saisit à la gorge. Des mains nous ont guidés, des voix nous ont orientés sans que nous ayons rien demandé... « Ganga, ganga here ! » (le Gange) « Main ghat, this way this way !! »

Du haut des escaliers qui descendent doucement vers le fleuve en s’élargissant, nous avons alors aperçu les bateaux dérivants sur l’eau calme et vaporeuse du Gange. Et face à nous rien que de l’eau, de la brume, et un léger rougeoiement à l’horizon.

Puis le soleil s’est levé sur le Gange, ce matin comme les autres, avec la grâce infinie d’un astre qu’on n’a pas fini de vénérer.

Tandis que nous descendions lentement les marches de Dasaswamedh Ghat (le ghât principal), au milieu de la foule déjà dense de mendiants, sadous et autres marchands du temple, nous nous sommes absorbés dans le spectacle étrange de la rive opposée au Ghat. De l’autre côté du fleuve sacré, le calme infini du banc de sable blanc et sauvage était en effet à peine troublé par quelques vagues silhouettes tachant le brouillard en contre-jour. Telles des ombres chinoises répétant un ballet inconnu, ces fantômes solitaires qui dansaient sous le soleil levant contrastaient terriblement avec la berge vibrionnante de la ville la plus réveillée de l’Inde !

Mais en longeant le quai tout en marches le long duquel des dizaines de bateliers nous proposaient une escapade sur les eaux fumantes de l’aube, nous avons presque eu peur de nous laisser embarquer si rapidement sur ce paysage mouvant et si surréaliste... et pour tout dire, l’attente a même duré plusieurs jours avant que nous n’osions nous glisser hors du lit un matin et grimper sur une frêle embarcation pour le voyage le plus délicieusement étrange de ce séjour en Inde.

Le jeune Indien qui nous a conduits le long des ghâts que nous longions, tout en riant frénétiquement à chacun de nos sourires - le bétel qu’il mâchouillait depuis 5 h ne devait pas être étranger à son état un peu « drogué » - nous avons en effet pu observer le paysage binaire qui est la fondation même de la ville de Bénarès. Si du côté ville l’eau monte vite lors de la mousson (plus de 50 m de dénivelés apparemment) submergeant les ghâts sur lesquels nous nous sommes promenés tous les jours dans la ville sainte, du coté du soleil levant, les hommes ont décidé de laisser la place à la nature pour qu’elle puisse prendre ses aises. C’est donc sur des centaines de mètres - près de 2 km - que le fleuve s’étale donc à l’est chaque année, découvrant le banc de sable fantôme en hiver, et reliant directement en été les ruelles hautes de la vieille ville à la lisière de la forêt, loin loin à l’horizon...

Comment s’étonner que dans un tel cadre on n’ait jamais cessé de vénérer les dieux de la création ?

Les ghâts de l’hiver

Sur la rive habitée de Bénarès, de part et d’autre du Ghât principal - de loin, le plus animé - se déploient une centaine de ghâts tous différents les uns des autres. Baptisés chacun selon l’influence du maharadjah que le palais le plus proche surplombe, ils accueillent chaque jour un mix d’activités variées qui réjouissent tous les sens. [À Varanasi en effet, tous les maharadjahs d’Inde ont fait construire entre les ruelles et, donnant sur les ghâts, de somptueux palais, partiellement en ruine aujourd’hui, afin de permettre à leur cour de venir en grand nombre chaque année, à l’occasion de festivals importants ou lors de la mort d’un des membres de la famille royale, se recueillir sur les berges du Gange sacré]

De nombreuses activités profanes se déploient le long de ces quais, aujourd’hui comme autrefois. Ils sont marqués par le rituel de la puja, très codifiée à Varanasi. C’est le long de cette promenade d’une dizaine de kilomètres, que les pèlerins viennent de l’Inde entière, par dizaines de milliers tout au long de l’année, et effectuent une série de « stations », ponctuées de rituels complexes destinés à les purifier de tous leurs pêchés. Depuis le Ghât le plus au nord jusqu’à Assi Ghat au sud de la ville, il est donc possible d’observer des hommes et des femmes de tous âges, à moitié nus, effectuer d’étranges ablutions au point du jour. Parmi les accessoires qui participent au rituel, une petite jarre de métal doré ou argenté sert fréquemment à puiser dans le Gange puis à reverser l’eau en signe d’offrande aux Dieux. Je crois que je n’ai jamais rien vu de plus étrange qu’un homme bedonnant et grisonnant, plongé dans l’eau glacée jusqu’à la taille, qui marmonne un mantra que son brahmane lui souffle depuis les marches en retrait, tout en tenant à bout de bras, le regard tendu vers l’astre matinal, la jarre étincelante qui se vide en un mince filet dans le fleuve rédempteur.

Dès cinq heures du matin, les pèlerins sont debout et réchauffés. Et il n’est pas besoin d’être levé pour s’en rendre compte ; les processions qu’ils mènent à tout bout de champ - : -)- à travers la ville sont si bruyantes, tous tambours et trompettes dehors, qu’il est impossible de songer à se rendormir après leur passage ! Étranges processions que celles de Bénarès en y repensant... Il nous est en effet arrivé d’en voir plusieurs (le soir parce que le matin c’est vraiment trop tôt) au cours desquelles les hommes et femmes portent sur leur tête de curieuses couronnes lourdes et hautes. Composées d’un socle cubique en bois, ces couronnes sont munies d’un système électrique capable d’allumer le lustre en verre ou les deux néons verticaux que le socle supporte ! C’est donc attachés les uns aux autres par le fil électrique de ces luminaires branchés en série et reliés à un générateur en mouvement également, que les pèlerins avancent dans la ville en musique...

Plus le jour gagne en clarté et en chaleur, plus c’est à la vie quotidienne - simple et saine - de donner le ton sur les ghâts animés. Sur les ghâts les plus éloignés de Dasaswamedh, les troupeaux de buffles massifs et élégants, à la peau sombre, tendue et luisante, se baignent tranquillement au côté des habitants qui chaque jour viennent se savonner en famille ou entre amis sur les dernières marches du quai. Parfois, un jeune enfant frotte avec énergie ces monstres noirs pendant de longues minutes, aux petits soins avec ces animaux sacrés... Au demeurant, producteurs d’une denrée très recherchée : la bouse de vache !

[La production du lait est à l’origine de la sacralisation de la vache - les brahmanes des temps anciens ont en effet décrété qu’il était interdit de tuer une vache afin de préserver la population des disettes en lui garantissant un revenu continu et nourricier de lait. À Varanasi, comme ailleurs en Inde, tout ce qui sort de la vache est donc recyclé et mis en valeur !]

C’est ainsi que nous avons croisé au cours de nos promenades de nombreuses femmes aux saris éclatants (comment font-elles ??), accroupies sur la pierre du ghât. Face à un tas conséquent d’excréments bovins, elles forment sans relâche des galettes de bouses. Ces disques, de dimensions inférieures à ceux observés au Yémen, accueillent invariablement en leur centre l’empreinte appuyée de la main qui les a modelés.

C’est juste au-dessus de ces champs de galettes brunes (et peu odorantes finalement) qui sèchent au soleil, que claquent au vent, chemises, saris, et autres étoffes. Ils sont pincés dans de fines cordes torsadées, tendues perpendiculairement à la rive du fleuve. Là encore, le mystère demeure entier pour un esprit aussi aseptisé que le nôtre. Comment de tels blancs peuvent-ils être obtenus dans les eaux polluées de ce fleuve qui recueille tant de matières organiques ? Battues comme plâtre sur des pierres mal équarries, les pièces de linge qui défilent sur les bords du Gange à Bénarès sont en effet aussi innombrables que resplendissantes !

Plus loin, entre Assi Ghat et Dasaswamed, c’est le tournage d’un Bollywood à grande échelle (plusieurs centaines de figurants) qui nous a surpris. Copiant la vie quotidienne des ghâts, ce n’est qu’après avoir repéré le réalisateur - qui a fait de l’œil à Manu - que nous avons compris la mascarade. Les dizaines d’ombrelles-parasols de paille, recouvertes de tissus délavés qui servaient de décor au film et sous lesquelles se prélassaient de faux gourous, prêtres et commerçants en tout genre, imitaient en effet avec beaucoup de réalisme, l’ambiance ordinaire des ghâts centraux. (L’utilité de ces ombrelles est d’ailleurs indiscutable même en plein décembre, tant le soleil frissonnant du matin sait puiser des forces dans le cours du jour). Sous ces ombrelles patientent, à longueur de journée, ceux que j’appelle les marchands du temple, toujours prêts vendre un accessoire indispensable à l’accomplissement du rituel sacré. D’autres, moins orientés religion proposent également leur service au pèlerin ou au badaud qui aime à flâner sur les quais. C’est ainsi qu’un certain E.B. a fini torse nu - au vu et au su de la foule dense de Dasaswamedh - sur la planche minimaliste et sous la fameuse ombrelle d’un vieux masseur, mais très dynamique ! Pour le bien de l’âme et celui du corps, of course !
-  voir photos :) -

C’est sûrement sur deux ghâts un peu plus anonymes que se concentrent les activités quotidiennes et sacrées les plus impressionnantes... celles liées à la crémation des morts.

Les morts partent en fumée

Visible de loin grâce à ses fumées âcres qui brûlent la gorge des qu’on s’en approche trop, cette activité particulière, qui fait de Bénarès une ville si spéciale, se fonde sur la croyance que les eaux sacrées du Gange ont le pouvoir de délivrer du cycle de la Moshka tout mort qui y serait plongé avant la crémation et dont les cendres seraient ensuite dispersées dans le fleuve.

Sur les deux ghâts de Harish Chandra et de Manikarnika le neuf et l’ancien, celui des pauvres (avec son crématorium « industriel ») et celui des riches (avec ses petits tas de bois de 360 kilos par personne qu’il faut pouvoir s’offrir), 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les corps et les familles se relaient donc sous les instructions précises et techniques des hommes et enfants qui s’occupent de la crémation. Habillés de rouge et d’or - un peu comme une divinité hindoue - les cadavres raides arrivent sur les quais de terre battue, portés dans de longs brancards en bambous verts. Ces corps sont souvent ceux de personnes âgées étant décédées sur place dans un des nombreux hospices que la ville sacrée abrite en son sein. Si frêles et petits qu’on dirait le corps d’enfants, les cadavres de ces vieux Indiens sont secs, et font pour tout avouer, un peu peur lorsque le drap glisse et découvre les visages émaciés. Il faut dire qu’en hiver - au dire d’un habitant de la ville avec qui nous avons fait un peu de causette en regardant le cadavre de son ami se consumer ( !) - ce sont surtout de pauvres paysans consumés par le travail qui brûlent sur les quais. « Le froid, me dit-il, ne pardonne pas dans les villages en décembre »... Well well well...

La crémation en elle-même procède autant d’un rituel religieux que d’un acte de routine quotidienne, auquel, à la fin de notre court séjour, nous avons d’ailleurs été plus habitués. Une fois arrivé sur le ghât, le corps ficelé à son brancard est donc immergé dans les eaux du Gange par les « techniciens ». Ces derniers lui enlèvent ensuite petit à petit les différentes couches de tissus rouge et or qui le recouvrent afin de ne le laisser habillé que d’un simple tissu rouge. Puis, avant de mettre le feu aux poudres, on dispose une dernière couche de bois sur le petit corps raide histoire de bien le caler.

Quant à la suite, c’est essentiellement, une fois de plus, une histoire d’injustice karmatique de caste. De deux choses l’une :

-  Soit t’es riche et tu peux te permettre d’avoir du bon bois qui brûle bien avec des poudres adjuvantes et la garantie de savoir que ton corps sera effectivement réduit en cendres à la fin de la crémation. [Les cas riches ne sont pas rares : Bénarès est en effet célèbre dans le monde entier, pour ses rituels, et les corps arrivent parfois même par avion depuis l’Allemagne !]

-  Ou bien t’es pauvre, et là, c’est autre chose. Tu achètes le bois le moins cher en quantité minimum. Ton corps sur le bûcher se tortille longtemps, les articulations craquent les unes après les autres, le pied tombe brusquement lorsque le genou cède... mais le pire de tout est à la fin. Lorsque les enfants éteignent le feu et jettent dans le Gange les dernières bûches, les cendres et malheureusement les derniers restes de ton cadavre qui n’ont pu complètement brûler. C’est une chance pour les chiens et chiots qui rodent par dizaines sur les ghâts : nous en avons vu sur le ghât sud se disputer un morceau...

Heureusement, nous n’avons pas aperçu de crâne flottant lors de notre découverte du Gange en barque !

On joue les prolongations

Cela dit, je crois que nous sommes d’accord pour dire que Bénarès est un des endroits les plus agréables à vivre d’Inde. Et notre séjour prolongé par divers incidents ferroviaires s’y est déroulé de la manière la plus douce qui soit. [Notre intention de rester à Varanasi pour 3 jours a en effet été mise à mal par une série de coïncidences qui nous ont conduits à repousser par 3 fois notre départ vers Calcutta. La première fois, le train complet nous a obligés à repousser notre réservation de deux jours. La seconde fois, c’est une grève qui nous a fait retourner en ville et fait revivre les affres du changement d’hôtel (avec les négociations musclées que ça implique avec les chauffeurs de rickshaw et les hôteliers). Enfin, un retard indéfini du train nous a obligés à passer une nuit de plus dans la gare avant que le train, six heures plus tard, veuille bien se donner la peine d’arriver jusqu’au quai !]

À Bénarès, nous avons pris notre temps. Nous avons testé les joies du quotidien. Un boui-boui gastronomique (si si ça existe) à faire se pâmer de joie nos estomacs un peu sensibilisés par près de 3 mois de cuisine exotique, nous a servi de repère au moins une fois par jour. Le café Shiva, sous-titré « german bakery », cuisinait indien, thaï, israélien, français, allemand et anglais comme personne. Le goût était là, les épices ailleurs, et l’impression d’avoir dégoté LE restaurant en Inde nous réjouissait plus que tout.

Mais au-delà des plaisirs de la chair, nous avons également eu droit aux plaisirs de l’esprit. Un cours de yoga sur le toit-terrasse d’une maison à patio de la vieille ville, avec un gourou au sourire jovial, nous a, un matin de bonne heure, éclairés le karma. (Un traitement massage-foutage-de-gueule par ce même gourou le soir même, nous a par contre convaincu de ne pas revenir le lendemain..., mais l’expérience était là). Manu est donc désormais très fort en « Ooooohhhhhmmm » et j’ai encore besoin de m’assouplir un peu, mais c’était chouette. Les concerts de musique classique indienne auxquels nous avons assisté à trois reprises nous ont également réjoui les sens. Cithare, percussions et flûte traversière, nous entraînent dans des rythmes à 16 temps très différents de tout ce que j’avais entendu auparavant.

Mais notre escale a finalement été de courte durée si l’on compare avec tous ceux qui, avant nous, sont tombés amoureux de cette ville et ont décidé d’annuler leur billet retour... Ceux qui, croisés au concert, prennent des cours de percussion depuis 6 mois, ceux qui reviennent ici pour la troisième fois, etc.



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