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Nos jours heureux à Singapour
Le 16/01/07

Aller à Singapour... pourquoi pas ?

De Singapour nous ne savions presque rien, sinon un mail qu’une certaine miss Ameline m’avait envoyé peu de temps avant notre départ, nous conseillant vivement d’aller jeter un œil à leurs efforts pédagogiques en urbanisme.

Singapour c’était donc surtout, pour moi comme pour Emmanuel, avant tout une ville pleine de gratte-ciel, une ville de businessmen, une ville chère, et donc pas dans notre budget, une ville enfin un peu trop aseptisée aussi, ou la liberté était bannie.

Située, à la pointe de la Malaisie, cette petite île-état est pourtant bien plus que ça... et c’est donc pour se donner la chance de détruire une fois de plus nos préjugés, qu’un soir à Bangkok nous nous sommes décidés à grever notre budget pour nous acheter un aller simple Singapour/Bangkok, fixant ainsi notre date de retour de la ville mythique sans réellement décider le chemin que nous allions prendre pour la rejoindre.

Une arrivée un peu trop grise

Si le chemin des écoliers que nous avons pris par la Malaisie s’est révélé plein de surprises heureuses, l’arrivée à Singapour en train de nuit s’est pourtant faite sous un ciel gris et menaçant. (Depuis Ko Tao déjà, il me semble que nous étions pris dans les restes d’une mousson qui n’en finissait pas de s’achever...)
C’est donc trempés et un peu maussades, nous avons donc débarqué au cœur de Little India, au Incrowd Hotel un repère de backpackers, internationalement neutre à souhait et déconnecté de toute référence locale, nos a priori plus que jamais renforcés sur le caractère inhospitalier de cette ville.

Mais nous étions là, et nous ne pouvions pas rester au lit, aussi cher soit-il.

Nos premières impressions de Singapour sont donc grises, mouillées, pluvieuses et un peu angoissées.

Aseptisation et désincarnation

Notre petit tour sous la pluie dans un Little India effectivement « spotless » nous a fait rire : « Ah... ces Indiens de Singapour, je suis sûre qu’ils ne sont jamais allés en Inde et qu’ils s’évanouiraient d’horreur devant la saleté d’une seule rue indienne ! »
Les temples hindous qui ponctuaient les avenues chargées de tours résidentielles nous semblaient froids, comme vidés de la substantifique chaleur superstitieuse de l’Inde. Ici point d’offrandes empilées et de brahmane prêt à vous poinçonner le front, point d’œillets jaune orangé en colliers abondants autour du cou de statues. Le dallage gris et la sobriété des formes n’étaient pas faits pour émouvoir.
Nous étions pourtant au plein cœur du festival des moissons auquel nous étions déçus de n’avoir pu assister en Inde. Mais les trois vaches qui étaient enfermées dans un enclos recouvert de moquette verte et sous tente, étaient pitoyables à voir.

Était-ce donc ça l’esprit de Singapour ?
Un mélange de communautés aux cultures aseptisées sous prétexte de propreté et de netteté ?
Des fac-similés d’expressions architecturale pâlement imités ?
Des tours de logements tristes trop comparables à celles du 13e arrondissement parisien ?

...

Heureusement, la pluie a cessé en fin de journée et à la tombée de la nuit, Singapour, la vraie, l’unique, a commencé à se dévoiler, nous apprenant petit à petit que la ville avait son âme propre, faite de ces petits bouts d’ailleurs, liés entre eux par un vrai ciment d’ici.

Une ville dense, vibrante et vivante

Singapour, ville d’immigrés par excellence, est bien le point de confluence de tous les peuples d’Asie. Venus d’Inde ou de Chine, d’Indonésie, ou de Malaisie, Singapour semble leur servir à tous de point commun. Le plan de la ville reprend d’ailleurs avec fidélité leurs vagues d’intégration successives, démarquant avec netteté Little India du quartier arabe (malaisien ou indonésien), ou de Chinatown.

Mais Singapour est encore plus que ça. Plus aussi que les restes d’un port de commerce colonial portugais ou britannique, le stop incontournable des premiers tour-du-mondistes en croisière de luxe de la fin du 19e siècle.

Singapour est une ville où la fusion des styles est à son comble, où la tolérance des cultures religieuses entre autres est, comme en Malaisie, devenue un mode de vie, et surtout une ville où l’urbain et les hommes vivent et évoluent de concert, sans heurts ni conflits, avec une compréhension quasi totale me semble-t-il des besoins des uns et des autres.

Peut-être que tout simplement est-ce à cause de la toute petite taille de l’île, que les urbanistes du coin n’ont pas eu d’autre choix que de se préoccuper très tôt de son occupation future, de la gestion efficace des espaces et des réseaux ? Singapour est donc une ville planifiée, l’île de Singapour elle-même est une île entièrement planifiée, où les désastres hasardeux de l’étalement urbain, tels qu’on les connaît en Europe, en Chine ou ailleurs, n’ont de fait pas eu lieu.
La verticalité et la densité des constructions telles qu’on les prône désormais partout en Europe dans un nouveau souci de développement durable, sont ici de mise, depuis plusieurs décennies. Construire la ville sur la ville n’est pas un vain mot à Singapour.
En outre, comme on a planifié, replanifié, corrigé, et adapté au fur et à mesure des années avec une réactivité et une communication exceptionnelle, cette densification, répondant à un besoin croissant et exponentiel de loger des gens, ne semble pas s’être faite dans la douleur.
Près de 83 pour cent des habitants de Singapour, riches ou pauvres, vivent donc aujourd’hui dans un des ensembles résidentiels verticaux construits par le gouvernement (the Housing Development Board). Le concept de « ghetto » ou de « repère de pauvres immigrés » qu’on associe aux tours de logements n’existe donc pas ici, coupant court à tout processus de rejet de la forme architecturale. Loin des problèmes de nos cités enclavées, et coupées du monde urbain par des infrastructures infranchissables, les quartiers résidentiels verticaux s’intègrent ici à un système urbain traditionnel horizontal. Les tours sont connectées à la rue, et non pas à des étendues pelées d’espaces verts sans qualité.
Et leur présence récurrente en centre-ville, mêlées aux tours de bureaux et aux énormes centres commerciaux, engendre donc, grâce à la densité de population exceptionnelle qu’elles offrent au quartier, une vie diurne et nocturne absolument vibrante.

La jungle sous l’autoroute

La ville ne manque cependant pas d’espaces verts, mais ce n’est pas au pied des barres qu’il faut les chercher. C’est au cœur de la ville, dispersées en esplanades et squares design que ces poches vertes généreusement habitées par une végétation tropicale foisonnante, servent de cadre naturel aux loisirs des Singaporiens.
Les efforts faits par la ville pour conserver et accroître la présence de la végétation au cœur de la ville sont d’ailleurs impressionnants. Je me rappelle de notre étonnement à la sortie du train le premier jour, lorsque nous cherchions à rejoindre la station de métro. Nous longions une express highway surélevée sous laquelle passait une large avenue. Le bruit de la circulation aurait dû nous agresser violemment... mais non. Sous la voie rapide surélevée, un jardin de plantes tropicales à feuillage dense, vert foncé et brillant servait de lieu de vie à des centaines d’oiseaux, que l’on voyait s’envoler d’une section du jardin à l’autre. Leurs vocalises sonores couvraient à notre grande surprise le bruit de l’autoroute et c’est presque au cœur d’un parc que nous avions l’impression de marcher !!
Plus loin dans le quartier des affaires (comparable à la Défense à Paris ou à la City de Londres), mais situé au cœur de la ville, la différence avec les centres financiers européens s’est faite plus criante encore. Les nervures puissantes des arbres au feuillage tour à tour léger puis couvrant, donnaient une deuxième échelle de lecture de la ville au passant. Les buildings de 100 étages apparaissaient au loin en perspective, sans oppresser tandis que dans l’environnement immédiat du marcheur n’était que plantes équatoriales, ombrages, calme et volupté...
Le soin particulier apporté aux revêtements de sol sur les trottoirs, aux parterres végétaux, et au mobilier urbain, tout a contribué à faire de cette première expérience sensorielle au cœur de cette grande ville redoutée, un voyage agréable des sens.

Une ville-salon à ciel ouvert

Il faut, pour mieux comprendre, rajouter que la propreté est hallucinante. Nous avons d’ailleurs mis du temps à comprendre comment avec une telle végétation les dalles de granit savamment agencées sur les trottoirs pouvaient conserver leur teinte pâle si parfaite. C’est finalement la découverte « estomaquante » un matin au cours de nos explorations chinatownesques, d’une nouvelle sorte d’agent de service municipal qui a éclairé notre lanterne. Ce charmant monsieur ne se contentait en effet pas de pousser le balai ou d’arroser négligemment la chaussée. Avec des pincettes, il récupérait délicatement chaque feuille morte tombée sur le trottoir et la « rangeait » dans une poubelle prévue à cet effet !
En fait, mis à part des feuilles mortes, il ne risquait pas de ramasser grand-chose d’autre ce monsieur, et peut-être fallait-il simplement qu’il s’occupe ?

À Singapour, c’est en effet vrai, non non ce n’est pas une légende, il est interdit entre autres, de jeter quoi que ce soit par terre, mégots ou inévitables papiers, de fumer presque partout, ou encore de cracher ; même la vente de chewing-gum est interdite (c’est salissant) ! Singapour, si on veut, c’est un peu le négatif de l’Inde... Et comme les peines encourues sont conséquentes et les policiers sont en civil, la ville est impeccable !

Si ces méthodes peuvent paraître un peu barbares, elles ne sont pourtant pas le produit d’une administration rigide, dont l’ambition serait de policer la ville au point de lui faire perdre son âme.
Au contraire.

Manger à Singapour, et mourir !

Singapour, contrairement à Paris, et malgré les revenus conséquents qu’elle produit, fait tout pour ne pas se gentrifier et s’embourgeoiser. Conserver sa mixité sociale et la vie puissante qu’elle entraîne fait en effet parti de ses priorités. À Singapour, donc, les marchands de rues sont accueillis les bras ouverts le long des avenues, et les petits commerces sont plus que fiscalement encouragés. Les Hawkers d’ailleurs - listés dans le bouquin des 1000 choses à voir autour du monde avant de mourir - une référence :) -, sont d’ailleurs l’expression la plus poussée de ce rapport quotidien qu’a le petit commerce avec la population locale. Tous les jours en effet, depuis l’aube jusqu’à la fin du jour, et même après, ces concentrations de petits commerces de bouche, regroupés par 50, 100, ou 200 dans un même endroit, sous des halles de marché, ou sous de simples auvents, accueillent la quasi-totalité de la population singapourienne, qui y déjeune entre hommes d’affaires, y dîne en famille, y prend un verre entre copines...

Comment ne pas immédiatement tomber amoureux de ces hawkers, où les odeurs incroyables, la variété extraordinaire de l’offre, le buzz gentil de la foule asiatique polie, et la simplicité informelle de la procédure font tout pour faire de cette expérience culinaire et sociale un moment de détente efficace ?

Mais les hawkers ne sont pas les seuls à créer la vibration intense et infinie de la ville de Singapour. Les petits marchés de montres et autres bijoux, de fringues à bas prix, les marchands du temple, un peu partout à proximité de chacun des nombreux temples chinois, hindous ou bouddhistes qui parsèment la cité, égayent également les rues impeccables, de couleurs et d’odeurs contrastées.

Un mouvement fluide continu

Il est d’ailleurs étonnant de voir à quel point cette ville de près de 5 millions d’habitants, si dense en verticalité, mais si petite et appréhendable à pied, si pleine de gens dans les rues, et de milliers de petits commerces, échappe si facilement à ce sentiment d’oppression et de pollution olfactive et sonore qui caractérisaient les villes d’Inde de cette taille.

La prospérité certaine du pays y est certainement pour quelque chose, me direz-vous... On ne fait rien sans argent. Mais il me semble qu’ailleurs en Europe par exemple, où l’on a aussi de l’argent, les choses ne roulent pas aussi « smoothly ».

Cinquante pour cent des habitants de Singapour prennent les transports en commun tous les jours. Contrairement à Bangkok où l’on construit de plus en plus de highways pour tenter de lutter contre la congestion - en vain - la ville a ici investi une fois pour toutes dans un métro ultra moderne et efficace, et ça marche !

Les initiatives des partenariats publics privés foisonnent pour rendre la ville toujours plus agréable à vivre, poursuivant au cœur des entités privées les politiques de la ville, et finançant des développements urbains majeurs. Le contrôle efficace de l’implantation des industries, et de leurs émissions polluantes a en outre permis à Singapour de contenir son niveau de pollution dans les limites de la World Health Organization standards ! (Ce que Hong Kong par exemple, la ville à qui on compare toujours Singapour est loin d’avoir réussi à faire...)

L’URA, mon nouveau dieu

Mais comment cette mégalopole a-t-elle réussi de telles prouesses en toute fluidité ? Comment cette ville aux visages multiples et aux héritages si contrastés a-t-elle réussi à réunir derrière ses politiques volontaristes, la plus grande majorité de ses concitoyens enthousiastes ??

Un des éléments de réponse se trouve certainement dans les outils que la municipalité a mis en place pour communiquer avec la population locale.
L’Urban Research Agency est l’un d’eux.
Cet énorme centre de recherche situé en plein cœur de Singapore au sud de la CBD et de Chinatown, ouvre en effet tous les jours au public ses portes, ses expositions constamment renouvelées ainsi que sa galerie explicative et interactive. Des milliers de dollars ont dû être dépensés pour mettre en place ces 3 étages d’outils pédagogiques qui expliquent la ville et les bases de la planification urbaine aux visiteurs. Autour de plusieurs immenses maquettes de la ville, il est en effet possible de comprendre à l’aide de dizaines de dispositifs interactifs et de sons et lumières, les différentes politiques en cours.

Mais l’ambition de l’URA n’est pas seulement d’informer.
C’est de S’informer aussi.
De comprendre mieux, et au quotidien, les attentes de ses concitoyens.

Tous les jours, des groupes d’enfants apprennent ici. Tous les jours des citoyens lambda viennent participer aux quiz et répondre aux questions ludiques qui sondent les tendances profondes. Tous les jours de nouvelles recherches, de nouveaux projets sont exposés, mettant le savoir à portée de tous. En décloisonnant les spécialités (et mettant peut-être en danger le métier de l’architecte urbaniste alors penseront certains, en offrant ainsi si ouvertement tous ses outils à tout le monde), l’URA éduque surtout l’œil et la conscience des habitants de Singapore aux exigences du « vivre ensemble », tout en tentant de leur montrer qu’il est possible de construire une vie idéale, où le travail, les loisirs et le repos sont possibles, au cœur d’une ville aussi busy que Singapore.

Y vivre un jour ?...

Nous y sommes restés tout l’après-midi.
Et Manu s’est converti à la fois à l’urbanisme et à Singapour. Ici, contrairement à d’autres villes qui nous avaient déjà tentés en chemin, il est possible d’envisager de s’installer « pour de vrai » : les standards de vie et de confort sont supérieurs à ceux de Paris alors même que la mixité sociale y est bien plus importante, tout le monde parle anglais, le boulot ne manque pas, et les escapades en Asie sont faciles, abordables... Le seul problème peut-être, c’est que c’est un peu loin de Strasbourg et du Havre. Mais bon. Internet, ça existe et les avions aussi ! :)

À Singapour, où nous avons arpenté les rues avec fébrilité, nous étions sur la même longueur d’onde...

Heureux de découvrir un des hôtels les plus chics du monde et de s’imaginer y dormir une nuit comme l’ont fait Edgar Poe, ou Summerset Maugham,
Heureuse de pouvoir faire du shopping lèche-vitrine dans les boutiques des créateurs les plus classes de la planète,
Heureux de pouvoir s’installer au bord de la rivière pour se reposer sur des bancs de marbre noir, sur un sol de granit clair, comme dans un salon en plein air,
Heureux de pouvoir se perdre dans les ruelles de Chinatown et de visiter des galeries d’artistes inconnus,
Heureux encore de s’imaginer pouvoir un jour travailler dans une de ces tours élancées, qui accueillent en leur sein des jardins plantés de plusieurs étages et des terrasses époustouflantes,
Heureux de pouvoir s’extasier ensemble des merveilles de l’architecture qui poussent ici, de la suprême court extraterrestre de Foster, ou des tours à trous de la CBD :)
Heureux enfin de nous rendre compte qu’ici, comme aucun jamais ailleurs, nous ne nous sentions étrangers.

Je ne savais pas qu’une ville pouvait rendre heureux à ce point-là,
Singapour me l’a prouvé.



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