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Sunderbans ou la nature retrouvée
Le 30/12/06

Un départ dans les larmes

Notre séjour à Daya Dan s’est achevé dans les larmes.
La déchirure est immense malgré la courte durée de mon implication là-bas. Nous sentons qu’il est temps de reprendre la route.

Sunderbans, au cœur de la mangrove tropicale, là où les tigres du Bengale, ceux de nos rêves les plus fous sévissent encore, l’a emporté sur Darjeeling, malgré les difficultés que nous a faites l’office du tourisme pour les autorisations, et nous sommes enfin en route.

Le voyage est épique, comme souvent en Inde. Nous l’avions presque oublié dans notre petit quotidien teinté de métro et de pollution à Calcutta. Le bus se traîne sur 70 km pendant près de 4 h.
Il nous dépose enfin dans une petite ville-village dont les rues en terre battue et la fébrilité des coolies nous indiquent qu’ici on travaille dur. On se laisse porter par le flot, à travers les petites rues d’un marché triste. L’eau est là de l’autre côté. Ici les touristes nous ne les apercevons pas tout de suite. Il nous semble que nous sommes seuls au monde, un peu comme au Yémen béni de notre début de voyage. Seuls à lutter avec notre anglais qui ne fait pas des émules dans ce paysage rural.

Premiers sourires

Nous finissons par nous embarquer sur une barque plate dotée d’un moteur vibrant. Point de siège ou de banquette ici. La barque est fonctionnelle. Plate avec un léger rebord, elle transporte son lot de pêcheurs et commerçants de retour de la ville. Nous sourions un peu alentour. Nos traits fatigués nous attirent peut-être quelque sympathie. À ma gauche, une petite fille m’attendrit particulièrement. Elle me fait un peu penser aux petites de Daya Dan... mais je me rends vite compte qu’à 6 ans quand on n’est pas handicapé, on est sacrément vif et intelligent !... La miss est surexcitée. J’engage la conversation avec son père qui tente de la maintenir en place à force de caresses. C’est une famille de pêcheurs qui rentre de ses « vacances » à Calcutta. Ils y sont allés pour quelques jours, histoire de visiter le grand muséum d’histoire naturelle au bout de notre rue, et les autres spots à ne pas manquer. Ils ont l’air enchanté de leur voyage. Nous leur expliquons que nous venons nous aussi de Calcutta et la conversation prend un tour amical.

Heureusement parce que le voyage en bateau dure. Dure.

Nous pensions qu’il s’agissait de traverser le cours d’eau... mais non. Une heure après, nous y sommes encore sur ce radeau. Les pêcheurs nous invitent à venir chez eux... mais nous ne sommes pas certains de savoir nous repérer dans ce dédale de cours d’eau pour repartir le lendemain, et avons peur de les déranger... Nos excuses embrouillées et leur anglais minimaliste sont tristes à voir... Dommage.
Mais la rencontre était belle.

Gosaba, une chambre dans la jungle

Au bout de deux heures de « croisière », nous arrivons enfin à Gosaba. La « grosse ville » de la mangrove. On débarque sur de la terre battue surélevée et pénétrons entre quelques maisons. La rue principale (la seule rue de la ville, nous nous en rendrons compte plus tard) est piétonne. Des trottoirs surélevés de presque un mètre se prolongent dans la campagne le long de l’eau, comme des digues fragiles face aux inondations terribles à venir... Nous nous établissons dans le premier hôtel que nous croisons. C’est aussi le seul. Une petite baraque à un étage dont la coursive est entourée d’énormes plantes, un subtil mélange entre le bambou pour le tronc, et le bananier pour les feuilles...
Une plante étrange en tous les cas, mais qui fait son petit effet.

Notre chambre n’a pas de fenêtre, des volets seulement. Le lit double avec sa moustiquaire et son vieux matelas de mousse occupe tout l’espace. Le sol et les murs en ciment peint sont minimalistes eux aussi. Et quand on ouvre la porte et les volets pour avoir un peu de lumière du jour, j’ai vraiment l’impression de dormir au coeur de la jungle. La végétation ici est foisonnante et puissante.

Nous ne savons pas encore où nous sommes, mais une chose est sure. Calcutta ici est loin... très loin d’ici...

Sunderbans, au bout du monde

On nous dit qu’ici les gens sont « pauvres » : à 85 pour cent sous le seuil de pauvreté soi-disant...
Mais comment est-il calculé ici le seuil de pauvreté ? Pas en calories comme à Calcutta en tous les cas.
Notre première impression est que le misérabilisme n’est pas de mise. C’est peut-être idiot de dire ça comme ça, mais nous leur trouvons l’air heureux, un air qu’on n’avait pas vu depuis longtemps... Leurs joues sont pleines, les enfants parlent cricket et les femmes chiffons, et nous n’avons pas aperçu un seul mendiant. Ni un magasin de tourisme d’ailleurs.

À Sunderbans, où nous sommes venus pour visiter la mangrove, ce ne sont donc pas des tigres que nous allons rencontrer, mais des hommes, différents de ceux de l’Inde « qu’il faut voir » qui nous a jusque-là gratifiés.
À Sunderbans-Gosaba où nous allons rester quelques jours, cloués au lit dans cette chambre au cœur de la jungle, nous allons rencontrer des Indiens différents de ceux croisés jusqu’alors.
Les Indiens de la dernière chance comme j’ai pensé tout de suite sur le radeau de l’arrivée... Les Indiens qui vont nous permettre de garder un bon souvenir de l’hospitalité indienne malgré tout

Un paradis sauvage

Très loin de l’ancienne capitale de l’Inde, car très mal connectés, les gens d’ici vivent ici une forme d’autosuffisance qui a un goût de paradis sauvage. Le climat est semble-t-il généreux avec les récoltes et l’abondance visible des ressources naturelles nous flatte l’œil. Les chèvres et leurs chevreaux n’ont plus cet air malade qu’ils avaient parfois ailleurs en Inde, les moutons, les vaches et leurs veaux se promènent en nombre parmi les maisons de terre aux murs lissés. Les meules de foin et les sacs de blé, les étalages de mangues, les cocotiers et les bananiers chargés de fruits, tous témoignent de la richesse productive de cette terre pourtant cernée de toute part d’eaux salées capable de rendre la terre stérile à la moindre inondation.

Peut-être que c’est grâce à ces statues de femmes aux formes généreuses, disposées régulièrement sur les pas d’une porte, que mère Nature est généreuse avec les familles locales ?
J’ai oublié le nom de la déesse pour laquelle les artisans locaux tissent avec tant de soin ces figures de paille qu’ils recouvrent ensuite de boue grise pour en adoucir les formes, mais il est certain que sa présence récurrente et apaisante contribue fortement à appuyer l’impression de magie que j’ai ressentie là-bas.

Gosaba, ce petit bourg avec sa rue principale bourdonnante de commerce, est en fait la plaque tournante de toute la mangrove. Cette dernière, constituée d’une série d’îles se reproduisant à l’infini jusqu’à la mer, est parsemée de villages de pêcheurs et de petits agriculteurs qui viennent s’approvisionner et se délester de leurs grains. Ici, le trafic est en fait, relativement fou si on y pense.
Aucune voiture pourtant.

Mais sans arrêt des barques plates qui chargent et qui déchargent, des coolies chargés de sacs de grains sur la tête. Sans arrêt des rickshaws vélos qui arrivent par les terres et déposent de nouveaux passagers. Des flux de piétons conséquents sur les petites routes d’un mètre de large dans un paysage si rural...

Alors, en imitant le mouvement de la foule, un matin, nous nous sommes mis en mouvement nous aussi. Nous sommes montés dans un rickshaw vélo, sur le plateau de bois approximatif qui fait office de siège et nous nous sommes accrochés sur les chemins cahoteux de l’île, vers un embarcadère situé plus profond dans les terres.

L’Inde comme en Afrique

Sur la route, les maisons se sont égrenées comme un chapelet, en perles quasi identiques, mais toujours un peu différentes malgré tout. Chacune de ces bâtisses de plain-pied, en roseau tressé ou en terre lisse avec un toit de chaume épais, semble avoir ses dépendances. Face à la maison, comme un tampon entre le pas-de-porte et la route, une petite pièce d’eau qui sert à la fois à laver la vaisselle, le linge et à se baigner parfois, rafraîchit aussi l’atmosphère (... et attire certainement aussi les moustiques lors de la mousson...)

L’énorme meule de foin sculptée en forme de case africaine se positionne immanquablement sur l’un de ses côtés... Parfois, une cour de terre battue ou de ciment sert à trier le grain, accueille des machines un peu mécanisées autour desquelles un groupe d’hommes poussiéreux s’affaire. À leurs côtés, les femmes accroupies nous sourient au passage à l’ombre des larges feuilles de bananiers qui forment un sous-bois continu.

Plus loin, sur la route nous croisons d’autres femmes en saris propres et repassés (dans toute cette poussière et ce travail de la terre comment font-elles ??? Je suis vraiment jalouse...) qui portent sur leurs hanches des pots de fer ou de terre à fond rond et bombé.
Impossible de les poser sur le sol sans les renverser... hum, ils doivent être faits pour se caler sur la hanche, point barre...

Les écoliers sur le chemin rient en nous voyant passer. Des blondes dans le coin y’ a pas pléthore. Mais ce n’est pas moqueur, c’est gentil et le contact passe facilement.

Rencontres...

Depuis notre rencontre avec la famille de pêcheurs le premier jour nous avons repris confiance. Nous sommes presque de retour au Yémen, et notre visage ouvert témoigne de la confiance que nous avons retrouvée... Les rencontres se sont en effet succédées, depuis le premier jour jusqu’au dernier avec la simplicité du sourire échangé. C’est sur le bateau qui nous a fait faire le tour de la mangrove que par exemple nous avons eu la chance de rencontrer d’autres touristes... mais pas de la sorte de ceux croisés au Rajasthan, heureusement !
Sunderbans est touristique certes, mais touristique de touristes indiens, et ça change tout. Pas de hassle quotidien, pas de stands de consommation inutiles. De l’efficacité, culturelle et c’est tout. Les touristes que nous avons rencontrés étaient majoritairement des locaux, venus de Calcutta se frotter au « mythe du tigre » de Sunderbans. En voyage pour 3 ou 4 jours, ils suivaient le même itinéraire que nous, à la dure, à l’économique...
Sur le bateau que nous avons donc négocié en groupe à un prix défiant toute concurrence (défiant en tous les cas les options de tour-tout-fait qui nous ont été proposées à l’office du tourisme de Calcutta), nous avons alors rencontré un tailleur de pierre au ventre arrondi, et une famille dont la fille obèse et le monsieur mutique dormaient dans la chambre voisine de la nôtre à l’hôtel, et un guide en formation aux accents empesés. Le courant passe assez vite malgré la barrière de la langue, parce que nous nous ébahissons aux mêmes histoires de pêcheurs mangés par les tigres malgré leur masque disposé à l’arrière du crâne, nous grimpons dans les mêmes tours de guet pour observer les mêmes animaux sauvages qui nous échappent, nous sourions aux mêmes blagues...
Nous sommes des citadins parmi les citadins, en visite au coeur d’une nature que ni en Inde ni en France nous n’avons pas réellement appris à connaître...

Cortège de sourires

Mais c’est surtout le troisième jour, après toute une nuit de cauchemar à lutter contre la fièvre de Manu et sa déshydratation menaçante et toute une journée à attendre dans la jungle de notre chambre que les médicaments de la pharmacie du coin fassent effet, que nous avons eu la chance de plonger rapidement au coeur des sourires du coin.
Après une dispute sur la digue de Gosaba (Manu ne marche pas assez vite à mon goût, je marche trop vite au sien) nous nous étions séparés, comme ça nous arrive souvent. J’ai continué à avancer à mon rythme pendant que la cigarette l’arrêtait une fois de plus dans une contemplation forcée du paysage...

Mais ce soir-là, dans ce coin de l’île, plus j’avançais, plus les visages se sont faits curieux. Les femmes aux portes en contrebas de la digue interrompaient la préparation de leur repas, et les hommes avec leur bagage sur la tête se retournaient sur mon passage. Les enfants surtout me souriaient avec insistance. Je leur répondais par des sourires un peu gênés, le regard concentré sur le coucher de soleil, un peu honteuse de n’avoir rien à faire de concret, d’être ici en touriste, sans soucis financiers...
Au bout d’un certain temps, j’ai décidé de faire demi- tour, histoire de rentrer avant la nuit noire puisque je n’avais pas de lampe de poche. Mais mon demi-tour n’est pas passé inaperçu, et les enfants intrigués, qui s’étaient jusqu’alors immobiles sur le bord du chemin tant que j’allais en direction de la mangrove, se sont soudain mis à me suivre... un, puis deux, puis dix !...
Manu m’a alors aperçue venant à sa rencontre avec mon cortège, et nos sourires ont scellé la réconciliation sans mots...

Escortés sur la digue de retour vers Gosaba par ce cortège enfantin, nous avons pris plusieurs photos, attirant à chaque fois plus d’enfants encore s’il était possible sur cette digue de terre étroite...

En passant sur le chemin du retour devant une case de terre en contrebas, un homme s’est soudain mis à nous faire de grands signes de la main. Enthousiastes et enfiévrés par notre escorte, nous les lui avons rendus, plein d’énergie. Ses gestes se sont alors faits plus insistants, nous invitant à venir le rejoindre dans sa case... Si l’invitation était tentante, le souvenir de la nuit passée à se demander si Manu allait survivre aux bactéries du coin nous a pourtant dissuadé de le rejoindre : il aurait en effet été difficile de refuser de partager son dîner.
Mais ça n’a pas découragé notre ami pour autant !
Et qu’on se le tienne pour dit, il voulait nous rencontrer parce que, nous ne le savions pas encore, mais « nous étions de sa famille. »

Pull bleu, cimetière et pleine lune en terrasse

En se levant, il s’est en effet mis à faire des signes de croix en notre direction. Manu a répondu en imitant le geste avec un petit sourire gêné... (Moi j’ai toujours peur de me tromper de sens alors j’évite de me lancer dans cette mise en scène), mais ça a eu l’air de le réjouir. Après avoir enfilé un petit pull bleu, il nous a rejoints sur la digue d’un pas preste, prenant naturellement la tête de notre petite troupe. Avec deux mots d’anglais et un sourire qui étirait sa bouche jusqu’à ses deux oreilles, il a entamé une conversation surréaliste à laquelle nous répondions en souriant, ou pouffant un peu parfois, un peu comme les enfants qui derrière nous se donnaient des coups de coude complices. (Par chance, un des enfants de la troupe, un peu plus âgé que les autres, ou plus attentif à l’école peut-être, maîtrisait l’anglais mieux que notre homme au pull bleu et nous a gentiment servi d’interprète)
Sans trop savoir où nous allions, nous avons finalement débarqué dans un cimetière chrétien. En suivant avec peine les explications de notre homme qui s’exprimait avec force signes de croix et sourires réjouis, nous avons vite compris que la mission chrétienne avait fait des émules dans le coin depuis son installation il y avait de cela quelques décennies..., et que lui, en bon converti, était fier de nous faire visiter son fief.
La balade dans le cimetière de nuit s’est révélée très excitante. En fait de cimetière, ça ressemblait plus à un grand champ d’herbes drues parsemé de quelques pierres tombales pyramidales étirées. Devant quelques-unes de ces pierres dont la blancheur contrastait avec le noir de la végétation, notre homme nous a en effet expliqué que sous ces tombes anonymes son cousin, son oncle, le voisin, pêcheurs de leur état, avaient pour la plupart été victimes d’une mort violente. L’un d’eux a été attrapé par un tigre pendant une séance de pêche, tandis que l’autre était mort foudroyé...

Un petit tour par l’église voisine nous a permis d’en apprendre un peu plus sur l’influence de l’église dans le coin. Bien implantés au coeur de cette communauté d’âmes simples qui luttent au quotidien pour leur survie dans la bonne humeur, les missionnaires avaient profité du vide culturel pour s’implanter comme un élément incontournable du paysage, dans une société encore très païenne. En offrant des festivals (comme celui-là foire de noël qui battait son plein à quelques centaines de mètres de là), des lieux de rassemblement et des cours d’anglais à la population locale, les missionnaires rendaient service tout en convertissant petit à petit toute une région. Le pasteur, un citadin de Calcutta expatrié dans ces terres reculées, s’est fait un plaisir de nous expliquer brièvement les activités de l’église dans un anglais parfait, avant de nous inviter à partager le temps de prière qui allait suivre.
Une fois de plus nous avons décliné l’invitation... préférant suivre l’homme au pull bleu qui nous entraînait déjà plus loin, entre les champs et les cases, vers la maison de son fils.

Des photos, encore des photos, toujours des photos...

Une cour en terre battue très propre. Une natte à terre. On enlève nos chaussures pendant que le fils qui doit avoir 17 ans se lève pour nous préparer du thé. La conversation se poursuit, chaotique, et ponctuée de sourires tour à tour gênés et heureux. Le jeune garçon traducteur nous aide bien. Puis on échange nos adresses, comme si un jour ils allaient réellement venir nous rejoindre pour un week-end à Paris.
Je remarque que comme souvent dans ces cas-là, les détails prennent soudain une importance exagérée. Quel est le préfixe international de la France ? Est-ce que nous arrivons bien à lire son adresse ? Y-a-t-il une copie pour tout le monde ? Etc. C’est à la fois un peu triste et drôle...

Petit à petit, et sans que nous nous en rendions compte, la foule est devenue compacte autour de nous. Venus de la nuit, sous le ciel étoilé, la pleine lune en guise de lanterne, les voisins et la famille affluent. Puis c’est au tour des séances photo de reprendre le flambeau. C’est étrange comme le petit clic de l’appareil et surtout l’écran numérique sont puissants pour créer une ambiance unique de complicité et de convivialité dans les campagnes, alors même que la communication verbale peine... Les cris de surprise et les expressions incrédules se succèdent immanquablement devant l’écran sur lequel la photo juste prise s’affiche.
Ce soir-là, les présentations avec la famille étendue se font presque en même temps que les adieux. Et nous nous levons une fois le chai brûlant ingurgité. C’est que l’homme au pull bleu, fier de pouvoir nous présenter à tous ses amis, a décidé de nous entraîner encore un peu parmi les cases, le long de la voie piétonne qui nous ramènera ensuite à Gosaba centre. Nous posons devant une petite boutique de « tout et rien ». Puis c’est au tour du marchand prendre la pose. On rit, on s’excuse de ne pouvoir se comprendre. Et on se sépare. C’est que notre petit traducteur est parti depuis peu - dîner chez ses parents sûrement :), et les échanges d’information intelligibles se font plus rares... la fatigue aussi me prive de l’inspiration nécessaire pour continuer la conversation et les devinettes.
Je regrette un peu de ne pas avoir appris un peu d’hindi ici. Au Yémen les quelques mots d’arabe que nous avions intégré nous aidaient bien à tenir toute une soirée de « small talk » !...
Je me confonds donc en « ohhh » et « ahhhh, ok ! » tandis qu’il continue de me parler en bengali, en espérant qu’il ne se rendra pas trop compte que je ne comprends qu’une idée sur trois... (Cela dit, je ne suis pas sûre que ça nous aurait été d’une grande aide : trop de langues en Inde s’affrontent d’une province à l’autre et l’hindi ne fait pas vraiment l’unanimité en matière d’esperanto local)

Sur le chemin du retour, nous ne sommes finalement plus que trois. Notre homme au pull bleu, et nous deux. Malgré les difficultés évidentes de communication, nous apprenons que notre homme au pull bleu repart bientôt pour une séance de pêche au coeur de la mangrove... « Very dangerous » qu’il nous dit. On le croit sur parole. Trop de membres de sa famille reposent au cimetière pour qu’on ait envie de rire.
On lui promet de prier pour lui, avec un petit pincement au coeur.
Que nos vies sont différentes ! Que la chance est mal répartie en ce bas monde ! Au nom de quelle injustice, et juste parce que conjoncturellement notre monnaie est forte, avons-nous le droit, nous petits épargnants de la classe moyenne française de voyager autant, alors que les pêcheurs ici, qui travaillent bien plus que nous ne le ferons jamais. Sont-ils condamnés à n’avoir pour seul espoir que celui de rentrer vivant de leur saison de pêche ? ...

Nous nous séparons devant le petit boui-boui restaurant qui sert d’accueil à notre hôtel. Nous ne savons comment le remercier de son hospitalité. Manu tente de lui offrir quelques cigarettes, mais c’est finalement 2 roupies qu’il préfère nous demander - pour s’acheter du tabac à chiquer !... Nous les lui offrons de bonne grâce, heureux de ne pas avoir la mauvaise surprise habituelle du racket typique des guides improvisés qui ne se dévoilent qu’en fin de soirée.

Cette fois-ci, c’était une rencontre, une vraie, une de celles où l’on échange et où chacun repart nourri de l’autre, sans que le commerce ne se soit mêlé à l’affaire...
(Il n’est pas besoin de rappeler que ces rencontres-là, les vraies, les seules dont il convient de parler, se sont faites denrée rare en Inde...)

Nous nous séparons sur un sourire, et c’est avec un peu de vague à l’âme que nous nous dirigeons vers notre table habituelle, pour une fin de soirée de « duel intellectuel », notre backgammon à la main...

Retour

Le lendemain, Manu a assez de force pour repartir... il était temps. Nous sommes déjà le 31 décembre et notre avion pour Bangkok n’attendra pas. Les 45 minutes de « rickshaw tape-cul » (pour reprendre une expression de routard justement imagée), à travers les villages de la mangrove nous épargnent les 2 h de bateau de l’arrivée, tout en nous offrant le temps de dire au revoir à cette parenthèse indienne de simplicité rurale au coeur de notre vie irrémédiablement citadine.

Dans le bus du retour nous apprenons en lisant un de mes livres d’urba, que Calcutta est la seule très grande ville au monde à ne pas posséder de système de traitement chimique des eaux usées.
En se servant de son arrière-pays parsemé de canaux et de plans d’eau en réseau, elle déverse ses eaux usées dans un système de décantation naturel, qui permet à plus de 20 000 familles de vivre de la pêche dans la région. Les poissons se nourrissent en effet des déchets de ces eaux usées tandis que certaines plantes spécifiques permettent de recycler efficacement les hydrocarbures. Au bout de 20 km de circuit, l’eau est apparemment à nouveau potable... Si la mangrove dont nous partons est au bout de la chaîne, le bus nous fait traverser ce paysage de rizières et de plans d’eau resplendissants au soleil et qui évoque si peu, les usines polluantes de traitement chimique qui fleurissent partout en Europe.

Sunderbans versus Calcutta, Sunderbans avec Calcutta.

L’Inde est à la fois plus simple et plus complexe que ces 6 dernières semaines nous l’ont laissé l’entendre...
La conclusion s’impose. Il nous faudra revenir, c’est sûr...



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