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Bangkok autrement
Le 18/01/07

Lek, notre himachalien retrouvé

À notre retour de Singapour nous n’avions rien prévu d’autre que de squatter dans un internet café pendant 24 h, histoire d’écrire quelques lignes sur le mois écoulé, et de faire le tri dans nos photos. Mais comme d’habitude en voyage nous aurions dû nous méfier : les 24 h, on les attend toujours...
Lek, en effet, nous avait retrouvés !

Lek, un jeune cinquantenaire marié, deux enfants, est pour faire court, un sacré numéro... Il fait partie de cette race rare d’hommes généreux, pleins d’humour et de ressource, qu’on regrette toujours un peu de ne pas avoir dans son entourage proche au quotidien.

Rencontré en haut de l’Himalaya il y a quelques mois de cela, dans le village congelé de Kalpa, nous avions passé ensemble une chouette soirée autour du feu de la cuisine d’un restaurant minuscule. Backpacker, comme nous, à première vue, Lek avait réussi à associer l’utile à l’agréable.
Ce Thaï originaire de Bangkok qui avait derrière lui une vie faite de hauts et de bas, liée à l’économie de la Thaïlande, avait su trouver une voie inédite. Autrefois riche bijoutier, il avait en effet tout perdu lors de l’effondrement brutal de l’économie des dragons de l’Asie du Sud Est (il y a près de 10 ans), et s’était retrouvé pendant un temps, un peu désespéré.
Mais c’était compter sans ses ressources naturelles !

Après avoir décidé d’envoyer ses enfants dès l’âge de 12 ans en Inde pour y recevoir une éducation en anglais (c’est selon lui - et selon nous aussi - un des plus grands problèmes en Thaïlande aujourd’hui : l’apprentissage de l’anglais !), il s’était rapidement mis à se faire un petit réseau sur place. Son bagou naturel et les progrès fulgurants que faisaient ces enfants-là bas ont petit à petit fait écho à Bangkok, et en quelques années il s’est soudain trouvé sollicité par nombre de parents et amis qui ont soudain eux aussi, eu envie d’envoyer leurs enfants en Inde,
... puisqu’ils ne pouvaient plus se payer l’Australie ou la Nouvelle-Zélande.

Lek vit donc du placement et de l’organisation de la vie quotidienne de quelque 50 adolescents Thaïs dans 6 écoles de Daloushie près de Darmasala. Il garantit leur bonne installation, vérifie leurs progrès scolaires, fait des rapports aux parents, s’occupe de leurs vacances, de leur sommeil, etc.
Il se balade donc en Inde près de la moitié de l’année.
Avec chauffeur et costume lorsqu’il rend visite aux proviseurs des lycées en question.
Avec sac à dos et barbichette le reste du temps.
Il visite. Il en profite. Il ne travaille plus que 5 mois par an et réussit pourtant à faire vivre sa femme, ses deux enfants aux frais de scolarité assez élevés, et lui- même avec toutes ses envies de voyages...
Il a fait quelques sacrifices bien sûr : il n’a gardé qu’une seule de ses quatre propriétés d’antan. Mais pour y avoir passé une soirée, nous pouvons affirmer qu’il n’a pas gardé la plus petite !
Il n’a plus, non plus de Mercedes, mais sa voiture qui nous a conduits partout est des plus confortables...

Rendez-vous manqué

Lek, ce soir-là, sur les contreforts de l’Himalaya, ouvert, généreux et disponible comme toujours, avait donc été très heureux d’apprendre que nous allions nous rendre à Bangkok peu de temps après. Il nous avait d’ailleurs derechef invités à le rencontrer dans sa capitale préférée, nous faisant déjà miroiter toutes les modernités de cette mégalopole, si différente de celles de l’Inde.
Nous avions donc pris rendez-vous avec lui pour notre arrivée le premier janvier,

... mais contre toute attente, il n’était pas à l’aéroport ce jour-là.

Nous nous étions dits « tant pis », notre rencontre avait été assez brève en Inde, il a nous sûrement oublié...

Quelques jours plus tard, des excuses par mail nous avaient appris qu’il avait eu quelques difficultés à se rendre à Bangkok après les attentats, et qu’il était resté coincé dans sa demeure familiale au nord de la Thaïlande. Mais nous étions déjà partis dans les îles à ce moment-là, regrettant cette rencontre manquée.

À notre arrivée à Bangkok, le 17, il nous a pourtant contactés à nouveau, nous proposant de nous rencontrer le soir même. Ses dizaines d’excuses bafouillées, dans le cybercafé où il est venu nous chercher, nous ont laissés confus : ce n’était pas si grave que ça !

Une générosité inattendue

Si, apparemment ça l’était, et Lek avait dans l’idée de se faire pardonner son absence promise du début d’année,
... et il allait tout faire pour nous le prouver !

C’est tout d’abord dans un petit restaurant local, de l’autre côté de la rivière qu’il nous a invités. La spécialité locale était une sorte de pierrade à volonté combinée avec une fondue. Un chanteur au look funky, mais à la voix d’or était responsable de l’animation. Très vite, nous nous sommes sentis à l’aise. La conversation était facile et c’est un peu comme si nous étions vraiment des amis de longue date qui se retrouvaient. Autour de nous, la foule touristique oppressante de Khaosan road avait disparu, et l’ambiance thaï était plutôt bon enfant.
Adieu l’atmosphère de prostitution omniprésente dans les quartiers touristiques : ici, on s’amuse entre étudiants ou en famille, autour d’un karaoké ou simplement du dîner quotidien, qui en Asie revient souvent moins cher au restaurant qu’à cuisiner soi-même - selon Lek.
(Nous nous sommes à cette occasion rendu compte que les mini robes moulantes ici n’étaient faites que pour les « bière-girls », chargées de la promotion, mais qu’à Kao San, la dérive touristique avait poussé toutes les Thaïs de la rue à suivre leur exemple... il fallait croire qu’elles avaient toutes quelque chose à vendre)

Home skeet home

Au bout de plusieurs heures de repas et de conversation, nous étions rouges de chaleur et d’excitation, heureux de cette bonne surprise. Mais Lek ne voulait pas en rester là. C’est donc dans sa belle voiture noire qu’il nous a emmenés chez lui, à 20 km - mais seulement 20 minutes - du centre-ville, par une des voies rapides à plusieurs étages qui pénètrent jusqu’au cœur du centre-ville. Il habite le quartier du Prince (l’équivalent du prince Charles... Il a 50 ans et un père d’une santé exceptionnelle qui lui promet encore de belles années de règne...)
Sa propriété, que nous avons longée, ressemble à une très grande prison, avec des arbres dedans... M’enfin, ça avait un avantage pour Lek, celui de vivre dans un quartier très « sape »

Une petite piscine remplie d’une vingtaine de poissons dodus, rouges et blancs, occupe une petite partie de sa cour d’entrée. À l’intérieur, la dimension des pièces nous a coupé le souffle : notre appartement parisien logeait bien 5 fois dans son rez-de-chaussée !
Le mauvais goût un peu bordélique et « too much » de quelqu’un qui a trop d’argent et plus le temps de s’en occuper, nous a un peu surpris... Les murs et le sol sont couverts de marbre. Un énorme aquarium de poissons de mer occupe un des murs du salon tandis que l’équipement hi-fi et vidéo occupe un autre pan opposé de la pièce. Un rétroprojecteur énorme est quant à lui suspendu au plafond. La table et les tabourets, également de marbre, où nous nous sommes installés sur son invite, nous ont également fait un peu sourire
... jusqu’à ce qu’on se rende compte que la fraîcheur de la pierre sur la peau était réellement efficace !

Mais l’ambiance familiale était bonne enfant et des dizaines énormes photos souriantes recouvraient les murs de marbre : sa femme et lui devant Big Ben, sa femme et lui devant le château de Versailles, sa femme et lui en Chine, sa femme, ses enfants et sa mère en Thaïlande, etc.

Il nous a servi une bière, et du thé, et la conversation a continué de rouler de plus belle. Peu de temps après, sa femme est revenue d’une séance de shopping : elle a 42 ans, mais en fait 20. Toute mimi dans ses habits fluos et sa queue de cheval, et malgré un embonpoint certain que son mari lui fait sans cesse remarquer, elle est restée timide avec nous : l’anglais, elle maîtrise pas...

Karaoké !

Qu’à cela ne tienne, si la conversation en anglais devait s’essouffler nous allions trouver un autre moyen de faire passer le courant !
Depuis le début de la soirée chez lui, un concert d’Eric Clapton en live sur grand écran et avec stéréo multiples, servait de fond sonore. Peu de temps après l’arrivée de sa femme, nous avons donc décidé de lui couper le micro et de le reprendre à notre compte. Nous avions ri du karaoké plus tôt au restaurant, et bien c’était à notre tour d’essayer !
Lek s’est lancé le premier. Son entraînement manifeste lui a valu nos applaudissements nourris. Son regard de crooner était efficace. Sa femme elle aussi avait une voix d’or. Elle a chanté en thaï des chansons inconnues, mais à la sonorité désormais familière.

Et puis Manu a pris le micro.

Je me suis retenue de pouffer nerveusement. C’est tellement étrange le karaoké ! Il s’en est assez bien tiré, les photos en témoigneront... Depuis « Michelle ma belle » jusqu’à « Love me tender », nous avons ensuite bien ri tous les trois. Je n’avais jamais fait de karaoké de ma vie, mais cette expérience m’a définitivement convaincue que je tenais là le remède miracle pour faire de mon homme le personnage loquace que je connais en privé, mais qui disparaît toujours en public...

Et ça continue, encore et encore :)

Lek nous a raccompagnés sur le coup de minuit à notre guesthouse, épuisés mais heureux.

C’est qu’il nous fallait dormir, puisque le lendemain Lek nous avait invités à faire une petite excursion tous les 4 à Ayutthaya, l’ancienne capitale thaïe, proche de Bangkok en voiture, mais que nous aurions manqué sans lui faute de tour operator personnel ou de bus publics.

La journée du lendemain, toute en chaleur tropicale et visites studieuses, s’est déroulée dans le même esprit de franches camaraderies. Pendant que nous visitions, il en a profité pour donner dans chaque temple « ses respects au Bouddha ». Et entre les temples, abrités comme la plupart des Thaïs sous des ombrelles-parapluie, nous parlions encore. De tout, de religion, de prostitution, d’immobilier, de famille et de mariage. Je crois que nous en avons appris plus avec lui sur la Thaïlande en 24 h qu’à Khaosan Road, la première semaine de notre séjour en Thaïlande...

Après être passés dans un marché local où nous avons effectué quelques achats suffisamment étranges pour nous réjouir, Lek n’a pas pu s’empêcher de nous inviter à nouveau à déjeuner dans un restaurant au bord de la rivière. Il faut dire à ce propos que les saveurs thaïes dans les bons restaurants sont vraiment incroyables. Loin de la cuisine indienne végétarienne et grasse des currys, les plats thaïs sont légers, aériens, relevés, pleins de viandes et de poissons exotiques... un délice donc.

Les adieux un peu embrumés sur le pas-de-porte de la guesthouse où nous lui avons offert la boite de chocolat suisse (sûrement fondus) que nous nous traînions depuis l’aéroport de Calcutta, ont été rapides. Comme une parenthèse rêvée dans ce pays thaï plus aux allures de station touristique, Lek nous avait offert une bouffée d’air frais et d’amitié gratuite et généreuse comme nous n’en avions pas respiré depuis longtemps.



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