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Chiang Mai au royaume de Lanna
Le 24/01/07

Depuis près de 15 jours que nous n’avons pas donné de nouvelles, nous sommes passés doucement d’un pays à l’autre. De la Thaïlande au Laos, de l’influence chinoise et occidentale aux parfums d’Indochine, d’une ancienne capitale royale déchue à l’autre.
De Chiang Mai à Luang Prabang.

Cap vers le Nord

À Chiang Mai au nord de la Thaïlande, nous sommes restés plusieurs jours dans une petite chambre revêtue de bambou.
Les jours, et surtout les nuits, nous ont surpris par leur fraîcheur soudaine après le confort tropical de la capitale. Dès notre arrivée à l’aube du 20 janvier, le froid nous a saisis au sortir d’un énième bus de nuit, dont le confort très relatif nous avait laissé plusieurs bleus en souvenir.
Le nord de la Thaïlande nous a pourtant rapidement séduits, sûrement parce qu’il est un peu moins touristique que les plages et les coraux du Sud. La vie quotidienne y reprend ses droits entre les échoppes « spéciales touristes » proposant à grand renfort de photos témoin déprimantes, trek et safaris dans les villages-parcs à « populations tribales » du coin.
Mais nous n’avons pas cédé à la tentation de nous embarquer dans un de ces minivans bondés de touristes hollandais et français pour aller observer ces femmes et hommes en cage que l’armée thaïe refuse de reconnaître comme citoyens à part entière. (Il s’agit en fait essentiellement de réfugiés Burmans qui n’ont pas de papiers). Nous n’avons donc pas vu de femmes girafe ou de villages chinois aux 100.000 boutiques de souvenirs.
On nous les a racontés et ça nous a suffi.

Chiang Mai

La ville de Chiang Mai sur une carte est étrange : son centre est en effet un carré parfait, entouré de murailles, de douves et d’une circulation continue à double sens.
Fort heureusement, ici comme au Laos les gens ne roulent pas vite, et ce boulevard périphérique n’affecte pas outre mesure la sécurité du piéton et l’atmosphère provinciale de la ville. Le centre-ville, à l’intérieur du carré parfait, est étrangement lâche. Contrairement à nos centres-villes médiévaux, les bâtiments y sont disposés le long de larges rues, isolés les uns des autres. L’architecture de cet ancien royaume de Lanna joue sur des variations du style thaï en annonçant l’architecture hybride lao-européenne du Laos. Les pavillons sont souvent sur pilotis, les bois sont sombres, les débords larges, les terrasses sont des pièces à vivre à part entière. Sous la maison, les animaux, les garages, la lessive et la cuisine trouvent leur place. Implantés au centre de jardins-cours fonctionnels, ces pavillons, avec leur toit de tôle en pente, se perdent au cœur d’une végétation dense. Palmiers, bananiers, frangipaniers et autres arbres inconnus font du centre-ville une jungle domestiquée, inattendue.
Les étroites allées piétonnes qui filent entre les propriétés privées, les wats (1), et les restaurants-épiceries-laveries-tailleurs qui animent les rez-de-chaussée offrent un ombrage bienvenu en journée au flâneur. Les deux-roues, qui dans cette ville doivent bien compter pour plus de la moitié des véhicules, se faufilent dans ces ruelles calmes en évitant avec dextérité caniveaux profonds (dimensionnés pour la mousson) et piétons. Comme ailleurs en Asie, ils ont tout intérêt à être très prudents, dans la mesure où c’est souvent sans casque, et avec petit bébé intercalé entre la jeune maman à l’arrière et le papa qui conduit, que le véhicule est chargé. (Les deux-roues ne sont que très rarement occupés par une seule personne).

Excursion dominicale

Un premier week-end d’errance urbaine nous a toutefois servi d’introduction et nous a permis de saisir la structure urbaine de la ville et de suivre les Thaïs dans leurs excursions dominicales.

La visite dans la même journée d’un wat surpeuplé de fidèles en haut d’une colline voisine, et du zoo local nous ont éclairés sur les pratiques culturelles des Thaïs. Au zoo par exemple, le choc a été un peu rude. Loin des attractions touristiques léchées, dans un parc où les infrastructures sont minimalistes, c’est en voiture et autres deux-roues étrangement autorisés dans l’enceinte que des familles entières se baladent entre les cages de quelque deux mille pauvres espèces dispersées sur un territoire immense, en bungalows non entretenus. Des chantiers étaient en cours aux quatre coins du parc qui dispose de plusieurs entrées. Des restaurants et même des chambres y étaient également disponibles. Certaines attractions, particulièrement prisées (les pandas par exemple), étaient sujettes à une taxe supplémentaire une fois à l’intérieur du zoo.
Et c’est au milieu de tout ce joli capharnaüm (je ne sais pas comment les animaux faisaient pour ne pas se suicider avec toutes ces fumées de moteurs et ce grondement continu), que nombre de familles thaïes s’arrêtaient pour pique-niquer à l’arrière d’un pick-up, face à un tapir ruminant ou un crocodile pensif...

L’énorme marché de nuit, que nous avons également découvert ce premier samedi soir au nord de la Thaïlande, nous a tout à coup plongés au cœur d’une foule dense de Thaïs qui avait prévu de passer leur samedi soir (comme chaque semaine) à déambuler au cœur de ce marché immense qui avait phagocyté en quelques heures le cœur de la vieille ville. Les stands culinaires aux parfums divers et variés se sont une fois de plus disputé notre préférence.
Quand je pense au marché de Noël à Strasbourg, si connu, et qui pourtant ne dispose que d’une variété relative de nourritures terrestres, son souvenir dans mon esprit fait soudain pâle figure à côté de cette profusion de saveurs et d’arrangements divers : des jus de toutes les plantes imaginables sont servis dans des verres de bambou jetables, des mixtures impensables sont camouflées dans des paquetages de feuilles de lotus brillantes, des petites omelettes, boulettes, soupes, et surtout brochettes de tout ce qui peut être embroché ont été goûtées par nos palais affolés. (Même des pancakes ou du riz collant peuvent être embrochés pour ceux qui manquent d’imagination !).
À côté de ça, des artisanats locaux, à destination des touristes et des autres, des fringues occidentales ou traditionnelles, et des bijoux bien sûr, attiraient l’attention des visiteurs au pas traînant.
Dans la rue principale de jeunes enfants, assis au milieu de la route, faisaient une concurrence rude à quelques-uns des groupes d’aveugles assis sur les côtés pour attirer une foule compacte de passants grâce à leur musique mélodieuse. Les instruments thaïs traditionnels étaient de sortie, et les airs joués n’étaient pas familiers à nos oreilles pour une fois. Loin du look punk rock des joueurs de guitare ou autres accordéons dans le métro, ces petites filles sages au col amidonné et ces aveugles propres sur eux donnaient un air de fête de bienfaisance à l’ensemble.

En roue libre

Malheureusement, la semaine recommençant ici aussi le lundi, les Thaïs, qui ne faisaient pas affaire avec les touristes, ont cessé de croiser notre chemin, dès le lendemain matin, et nous nous sommes retrouvés seuls face aux vendeurs de treks...
C’est alors que nous avons pensé au scooter.
Peut-être, est-ce leur prégnance dans le paysage urbain ou la lassitude qui nous a saisis dans ce pays où tout est « tailor-made » (taillé sur mesure) pour les touristes, que nous avons décidé de suivre leur exemple.
Ni Manu ni moi n’en avions jamais conduit, mais mon homme bénéficiait d’un vague souvenir de mobylette datant de la prépa qui nous servit d’alibi. Fort heureusement, des scooters automatiques étaient offerts à la location pour une somme modique. Apprendre à démarrer, accélérer, tourner, s’arrêter et s’habituer à la priorité à gauche a donc été relativement aisé. Une fois la sortie de la ville réussie, c’est donc avec joie que nous avons goûté à notre nouvelle liberté. Le paysage autour de Chiang Mai, tout en montagnes érodées et autres collines, est très verdoyant. Les rizières y alternent avec la jungle et les villages-rue qui ponctuent la petite route de campagne que nous avons prise, ont rapidement succédé à l’atmosphère de parc à thème qui teinte la sortie de la ville : maints fermes aux orchidées, parcs de sauvegarde des éléphants et autres projets « royaux » profitent en effet de l’environnement naturel généreux de la vallée de Samoeng et de la proximité de Chiang Mai pour y concentrer une part importante de l’offre touristique de cette ville de province. (2)

Sur la route, les côtes et les descentes, les points de vue éblouissants et les zones d’ombre froide se sont succédé pendant quelques heures tandis que le soleil déclinait à l’horizon. Les kilomètres au compteur défilaient... et le niveau d’essence s’est mis à baisser significativement.
À deux sur un petit scooter, nous avions dû présumer de notre autonomie...

Nous étions « dans le rouge »... Ayant laissé le scooter sur le bord de la route à la recherche d’une cascade qu’on n’a jamais trouvée, nous avons croisé un jeune Thaï se rendant à Chiang Mai également pour la soirée. En deux minutes de conversation, il nous avait proposé de nous raccompagner en se servant de sa moto comme remorque. La sympathie de cet homme, « un peu planant », il faut le reconnaître, et son grand sourire nous ont fait hésiter, malgré le danger évident...
Il est parti prendre un peu d’avance sur la route, sa guitare dans une main, son guidon dans l’autre « pour aller se baigner dans la rivière » afin d’être propre avant sa prestation dans un bar du centre !
Peut-être s’est-il noyé dans sa rivière ou a-t-il été arrêté par d’autres malheureux motards, mais nous ne l’avons jamais revu.
Par chance, une station essence a surgi au détour d’un tournant, au moment où le moteur commençait à tousser, et que nous ne pensions plus que l’aiguille puisse aller plus loin vers la droite !

Le retour de nuit à Chiang Mai s’est fait dans l’euphorie ; l’euphorie d’avoir le visage brûlant de soleil, celle de piquer des pointes sur la voie rapide à 90 km/h, de faire partie de la masse des deux-roues qui rentraient sur la capitale, de nouer si facilement des contacts avec d’autres conducteurs de deux-roues (3), et d’avoir découvert un moyen de voyager qui nous a, à tous les deux, énormément plu. Nous étions loin du fameux tour de Corse réalisé en scooter il y a quelques décennies de ça, mais l’ivresse était là, et l’idée en train de germer. Et si nous poursuivions notre voyage en moto quelque temps ? Ça implique bien sûr de tester un véhicule fiable quelques jours dans une ville de base, de choisir le pays le plus adapté pour commencer (pas le Laos, vu l’état des routes) et surtout d’alléger nos sacs.
Ce n’est donc pas pour tout de suite... mais quand même !

Oeuf de caille géothermique

Le lendemain, des sources naturelles d’eau chaudes ont servi de prétexte à une nouvelle escapade campagnarde. Tout comme le zoo quelques jours avant, ce complexe touristique essentiellement destiné à un public thaï ne brillait pas par la nouveauté de ses infrastructures. Si les bassins de baignade étaient vides (les Thaïs et Laotiens sont assez prudes en dehors de Bangkok et des stations touristiques), l’ambiance familiale, une fois de plus tournée vers le pique-nique en plein air (les Asiatiques aiment manger, partout, tout le temps, et en famille surtout !), était agréable.
Le pique-nique aux sources, ce jour-là, était forcément très local : au menu « œufs de poule ou de caille »... bouillis dans les eaux de la source d’eau chaude elle-même !
5 minutes de trempette pour les avoir mollets et le tour est en effet facilement joué. Nous nous sommes bien évidemment pris au jeu et l’efficacité du procédé nous a émerveillés comme les enfants des familles avoisinantes.

Exploiter les sources ?

Mais la puissance de ces sources n’a pas toujours servi qu’à faire cuire des œufs pour les touristes thaïs de passage dans la région. Au moment de la crise économique qui a frappé la Thaïlande pendant les années 90 et au moment où la prise de conscience que les ressources énergétiques étaient limitées, le gouvernement a en effet lancé plusieurs programmes de recherche visant à découvrir de nouvelles sources d’énergie exploitables, capables de remplacer le pétrole.
De nombreuses études ont ainsi été menées dans le secteur afin d’exploiter cette source naturelle de chaleur qui apparaissait sous forme de geyser, vapeurs et autres mares fumantes. Malheureusement, le coût d’exploitation, après étude de ces sources, est resté prohibitif et le gouvernement a abandonné ses bonnes intentions environnementales, au profit d’une politique d’investissement toujours plus tournée vers les hydrocarbures.

Le site est donc devenu touristique, pour le plus grand bonheur des petites mémés qui passent leur temps à faire trempette, les pieds dans l’eau près des geysers.
Ces petites femmes, qui doivent mesurer 1.35 mètre à tout casser, m’ont d’ailleurs souri de toutes leurs dents noires (celles qui restaient) quand je me suis assise face à elles, les pieds dans le courant brûlant des geysers canalisés. Leurs habits traditionnels (jupes raides foncées et petites vestes « coeur croisé » en étoffe noire brodée) préfiguraient les silhouettes laotiennes que nous n’allions pas tarder à croiser.


[1. complexes religieux clos composés de plusieurs temples et d’un lieu de vie pour les moines]

[2. Le parc de sauvegarde des éléphants de Ma Saa nous a d’ailleurs retenus quelques heures au début de notre escapade : et malgré notre côté blasé « c’est que pour les touristes en car, de toute façon » il nous faut bien admettre que nous avons été plus que fasciné par ces bêtes énormes et très intelligentes qui nous mangeaient les bananes et autres morceaux de canne à sucre dans la main. Plus encore que leur habilité à peindre - voir photo - ou à effectuer toute autre tour de passe-passe, c’est leur force naturelle qui m’a interpellée. Les éléphants sont en effet le symbole de la Thaïlande et ont longtemps été présents dans la vie quotidienne des habitants. Il arrive d’ailleurs encore d’en voir dans la rue ou à l’entrée des bars pour attirer la clientèle. Mais c’est surtout à la guerre et sur les chantiers qu’ils étaient les plus actifs : voir trois éléphants monter un mur de 25 sur 3 mètres en 30 secondes en troncs d’arbres m’a fait penser que nous en aurions bien besoin « back home » : en plus d’être une vraie source d’énergie durable, ils apporteraient un peu de fun dans la grisaille bétonnée de nos chantiers parisiens].



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