Depuis que nous sommes au Laos, une impression de bien-être similaire à celle ressentie au Yémen nous enveloppe. Bien sûr ce pays est touristique, bien sûr la culture bouddhiste n’a rien à voir avec la culture islamique... et pourtant. Dans les deux cas, il s’agit d’un pays encore « en voie de développement », qui a raté le train que ses voisins ont pris faute d’opportunité, encore limite en infrastructures, et dont les habitants ont le cœur sur la main.
Le Laos, quelque part, c’est le dépaysement agréable qu’on recherche, celui d’une vie quotidienne réellement décalée, mais non agressive.
Une minute dans la rue et déjà quelques détails vous sautent aux yeux. Ici, dans le nord du Laos, toutes les femmes portent la même jupe noire ornée au pied d’une large bande brodée. En soie raide le plus souvent ou alors en coton, depuis l’enfance, les fillettes sont en costume. Mais comme la jupe d’homme au Yémen, le costume est ici une chose naturelle, une couleur du pays plus qu’un signe distinctif, une silhouette reconnaissable certes, mais qui ne fait pas « traditionnel » ou surfait.
Au moment où le soleil est le plus haut dans la journée, sur les deux roues qui peuplent les quelques routes goudronnées du pays, ces mêmes demoiselles roulent toutes avec une seule main, l’autre étant occupée à tenir l’ombrelle au dessus de leur tête dont le teint pâle doit être préservé...
Mais les différences subtiles entre le paysage thaïlandais qu’on vient de quitter et celui laotien qui nous accueille, sont bien plus importantes encore... À croire que malgré leur culture bouddhiste partagée et leurs bouts d’histoire commune, ces deux pays sont tout à fait différents.
Peut-être est-ce, je l’ai déjà dit et je le redirai encore, parce que le bout du monde n’est pas au bout du monde, mais à la campagne ?
Et au Laos, contrairement à la Thaïlande bien urbanisée (à la mode occidentale des resorts touristiques en plus !), 80 pour cent des habitants vivent encore à la campagne et l’agriculture est de loin la première ressource économique du pays.
En prenant nos bus depuis quelques jours à 5 h 30 ou 6 h 30 du matin, les premiers bus de la journée, ceux qui partent avant le lever du soleil et ne sont pas proposés par les agences de voyage pour touristes, la confirmation de ces données ne se fait pas attendre.
On est plongé au réveil dans une atmosphère fébrile à laquelle on ne s’attend pas.
Loin des bus pour touristes thaïlandais, dont le but était de nous décharger dans le plus de magasins possible tout au long du trajet, au Laos, au contraire, dans les bus, on charge. Des sacs de canne à sucre, de tronçons de bambous remplis de riz gluant au lait de coco, de poissons encore frétillants dans des bassines en plastique bleu, et des cageots de fruits et de légumes de toutes sortes.
On charge sur le toit et sur les sièges, entre les bébés attachés sur le dos et les panières de linge.
Au Laos les véhicules individuels, mis à part les deux roues et les tracteurs, sont rares, très très rares même. Alors le matin, le bus c’est forcément plus rapide et on charge pour aller au marché de la ville suivante, on charge quand le bus s’arrête sur un signe de la main pour vendre sa production de balais en feuilles de « ? » qui s’étale sur le bas- côté de la route, on charge encore et encore, tout en douceur et sans cris pourtant... sans oublier de charger enfin son coq personnel, la tête et les plumes de la queue qui dépassent du manchon en osier porté autour du cou !
Les coqs parlons-en : s’il est un gros défaut que je reconnais au Laos ce sont ses coqs : ces petites bêtes prétentieuses et un peu arrogantes, qui, aussi nombreuses que les chiots en Inde, mais certainement moins mignonnes, passent leur temps à s’époumoner sur le trottoir et dans les courées. Les coqs crient de leur voix éraillée qui tombe d’une octave à l’autre en moins de deux, de 3 h du matin à la tombée de la nuit. Sans discontinuer. En relais.
Et comme le Laos est encore bien rural, ils sévissent même en ville. Même en ville où les fenêtres n’ont pas de vitre et les moustiquaires ne sont pas assez isolantes pour étouffer leurs cris, même en ville où parfois nous tentons de dormir dans des bungalows de bambous tressés ou le jour filtre à travers les murs... et le son bien évidemment aussi.
Mais les coqs sont pour l’instant le seul désagrément que je trouve à ce pays dont le charme est discret, mais sans cesse présent.
Et il faut bien le reconnaître, c’est essentiellement grâce à ses habitants que la magie opère ainsi.
Le premier jour de notre arrivée à Luang Prabang, alors que la brume épaisse, froide et humide qui recouvrait la ville nous avait transis et découragés d’aller visiter les sommités architecturales religieuses « à voir », nous avons tout de même eu la chance de rencontrer une famille qui nous a, comme au Yémen, tout simplement invité à partager leur après-midi.
Nous passions dans un quartier résidentiel à la recherche des fameuses « zones humides » classées par l’Unesco, quand une ruelle nous a interpellés.
Comme en Inde dans les impasses de Delhi où nous nous faisions refouler, nous nous sommes avancés un peu par curiosité architecturale, mais pas trop : nous avions vite compris qu’il s’agissait d’une impasse et qu’au fond l’espace dilaté était « privé dans les usages ».
Nous étions sur le point de faire demi-tour de peur de paraître indiscrets ou voyeurs, lorsqu’un homme que nous distinguions mal s’est levé de la table où il était assis avec d’autres au bout de l’allée, et nous a hélés : « Come ! Come ! « . Nous avons hésité puis nous nous sommes finalement rapprochés. Contrairement à Hadda au Yémen, nous ne connaissions encore aucun mot de laotien (là-bas d’arabe), et j’avais un peu peur que cette rencontre ne se transforme en « chien de faïence »...
Mais c’était sans compter avec l’ambiance joviale qui régnait autour de cette petite table recouverte d’une toile cirée un peu collante, dans cette brume poisseuse de samedi après-midi. Notre hôte principal, celui qui nous avait appelés sans qu’on puisse refuser, devait avoir la soixantaine (ou plus, comment savoir... les visages ne sont pas les mêmes ici) et était assis à côté d’une femme du même âge, très belle au demeurant. Sur les deux autres côtés de la table, deux couples plus jeunes, de notre âge peut-être complétaient l’assemblée... Ces derniers, enfants mariés de l’hôte principal, ou couple de voisins on ne sait pas trop, ne nous ont pas énormément parlé, cela dit, mais n’ont pas oublié de beaucoup nous sourire.
L’alcool de riz tournait depuis quelques heures déjà semble-t-il, et tournait vite.
À 3000 kips, le litre pour les Laotiens (20cents d’euro), cet alcool blanc à 45 degrés, était efficace !... Mais les souvenirs de langue française de Pang Pim Prasset, notre hôte, n’étaient pas altérés pour autant. Mêlant avec force sourires et blagues, quelques mots d’anglais, de français et des phrases entières de laotien à nos échanges faits essentiellement de gestes, nous avons petit à petit fait connaissance. Comme souvent lors de nos rencontres au Yémen, il y avait autour de la table un policier et un agriculteur. Une des femmes qui travaillait au marché de nuit, nous a quittés rapidement. La belle « amie » de notre hôte qui était en réalité sa gouvernante ou femme de ménage (on ne sait pas trop) nous semblait très intelligente malgré sa discrétion. Elle venait de la capitale Vientiane.
(En y repensant maintenant, depuis Vientiane, je me dis qu’elle avait du être, elle aussi un peu dépaysée, la première fois qu’elle s’est retrouvée dans ce quartier très rural de Luang Prabang.)
Les enfants jouaient autour de nous, les visages maculés de terre et le regard curieux. Une des filles était couverte de boutons violets très nettement dessinés sur l’ensemble de son visage.
On nous a proposé de goûter aux mets encore disposés sur la table : au menu, sang en gelée, tendons de bœuf grillés, miettes de porc sauté au piment...
Belle introduction à la cuisine laotienne :)
Le riz glutineux dont je suis devenue depuis ce jour-là une véritable adepte, est quant à lui arrivé plus tard, à la nuit tombée, avec une omelette qu’il fallait manger avec des baguettes sans avoir l’air ridicule.
Comme au Yémen, on a ri pendant des heures en essayant d’apprendre des mots en laotiens, en faisant des blagues « internationales » avec force mimiques théâtrales, en parlant un peu de notre voyage aussi, et beaucoup d’eux.
Quand nous sommes partis, la nuit était noire. Nous avions la tête qui résonnait d’une foultitude de sons, de mots, d’odeurs et de goûts nouveaux. Nous avions vu de près nos premières maisons laotiennes toutes en bambou tressé (voir article « architecture laotienne, quelques notes en passant » - à venir). Et pu observer cette structure urbaine spécifique qui regroupe en petites unités, plusieurs maisons autour d’une impasse, d’une mare et d’autres équipements communs (genre sanitaires et hangars).
Nous sommes rentrés à pied jusqu’au night market qui brillait de mille feux dans le froid désormais pinçant de la nuit. Nous avons déambulé entre les rangées de marchands installés par terre sur des nattes, en espérant recroiser notre interlocutrice de l’après-midi. Mais elles étaient trop nombreuses, les femmes marchandent ce soir-là. Nous n’étions en outre pas encore assez habitués aux visages et aux costumes qui nous semblaient tous similaires, pour arriver à faire une vraie distinction entre tous ces sourires qui s’offraient à nous. Au lieu de ça, nous avons discuté le prix de quelques objets, pour le plaisir, avec de petites demoiselles, toutes plus charmantes les unes que les autres, au regard très timides et qui - oh surprise - marchandait en semblant s’excuser.
Arrivés « à la maison », nous avons comme à l’entrée d’un magasin, d’un restaurant, d’un internet café, ou d’un temple, enlevés nos chaussures sur le pas de la porte, les laissant là pour la nuit, avant de gravir pieds nus l’escalier de bois grinçant de cette maison coloniale un peu abîmée.
salut Magali,
merci pour tes textes très agréables à lire , en ce vendredi après midi calme au Crous .
depuis janvier je me suis mise à suivre un peu vôtre voyage , quelques moments volés au service social des étudiants ...
Philippe et moi revenons également de voyage : nous étions 1 semaine marcher dans le désert Lybien , un petit groupe de 10, avec un guide touareg , un cuistot et son véhicule , et un chamelier et ses 3 dromadaires pour porter nos bagages.
Même impression de calme et de vie au rythme de la nature et des histoires touaregs au coin du feu le soir au bivouac sous le ciel étoilé . la journée marche à travers les paysages étonnants et variés du desert "tassili et dunes "une semaine hors du stress de nos villes .
Enfin voilà pour nôtre voyage à nous ...
Encore bonne route à vous deux ...
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