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Phnom Penh, à l’heure du nouvel an chinois
Le 18/02/07

Les sens en émoi

Après la douceur laotienne, Phnom Penh, par contraste nous semble un peu rude. Sa chaleur moite et étouffante aux heures les plus proches du zénith, et surtout sa circulation, plus dense que celle de n’importe quelle ville du Laos, constituent une première agression pour le voyageur fatigué.

Pourtant, la ville possède une atmosphère étrange, presque attirante, un mélange subtil de confusion et d’ordre architectural colonial, de prolifération spontanée et d’obéissance latente.

Dans notre quartier, loin du ghetto des backpackers, la vie est animée. Au pied de notre hôtel, qui nous rappelle ses pendants yéménites par son absence de référence au tourisme international, un marché couvert s’étend en un carré de plus ou moins 200 mètres de côté. La densité des échoppes à l’intérieur y est phénoménale. On se croirait presque de retour au souk... Les coiffeurs, vendeurs d’habits en vrac, de clémentines et de durian au kilo, et autres bouchers, faiseurs de porridge de riz, s’entremêlent dans la plus grande confusion, respectant avec peine les zonages par métier, que l’on devine. Les allées de moins de 50 cm de large sont jonchées de déchets étranges et glissants. Le bras manque à chaque instant d’effleurer un quart de viande recouvert de mouches, tandis que du pied il faut savoir habilement jongler pour ne pas marcher sur un tas de poissons morts...

Contrairement au Laos ou à la Thaïlande, la viande est ici rouge et bien plus présente sur les étals qu’auparavant. Les poissons, quant à eux, ne sont plus conservés vivants dans des bassines d’eau oxygénée au moyen de grossiers tuyaux, mais étalent leurs tripes au grand air... Les poules encore en vie, elles, complètent ce magma coloré et sombre à la fois, d’une touche sonore particulière.

Il n’est pas étonnant alors que les odeurs, celles de l’Inde, qu’on avait presque déjà oubliées, refassent surface par intermittence dans les rues qu’on traverse, aux abords de ces marchés ou de certaines maisons. Puanteurs exceptionnelles, qui donnent la nausée, et senteurs de jasmin alternent au gré de la marche.

Ici, comme en Inde la population est nombreuse, et la ville me semble relativement dense pour ses 1 millions d’habitants.

Peut-être avons-nous oublié que dans les villes les gens peuvent vivre « les uns au-dessus des autres » ? (J’emprunte cette expression à une Californienne qui ne savait pas comment désigner les immeubles de San Francisco tellement la notion même d’empilement des familles lui semblait étrange !!... Forcément à Los Angeles, la ville de l’étalement urbain, les appartements, on ne connaît pas).

Mais la ville, malgré tout, me séduit. Est-ce la proximité de la rivière ou la couleur de la lumière qui fait dire à Emmanuel qu’on a presque le sentiment d’être à la mer ?

Ou bien cette agitation qui tout de même un peu me manquait, cette vie caractéristique des villes d’Asie, où l’organique est si présent, animal et végétal, où l’on vit par terre sur le pas-de-porte de son magasin, et où les enfants et la famille font encore partie du quotidien...

Le Nouvel An chinois à la cambodgienne

Il faut dire que la capitale, en ces jours de Nouvel An chinois, a tout pour nous réjouir. Contrairement au Vietnam où cette fête est nationale, ici elle ne concerne officiellement que la communauté chinoise, et ne paralyse donc pas la vie du pays. (Au Vietnam, le Nouvel An chinois c’est un peu comme l’Aïd el-fitr au Yémen, un temps mort et exclusivement familial de la vie du pays, où tous les commerces, musées, et autres institutions ferment).

Pourtant durant ces deux jours que nous avons passé ici, l’équivalent de nos 31 décembre et 1er janvier pour les Chinois, la fête était bien présente dans l’air, à chaque instant.

Des centaines de cochons laqués de toutes les tailles et de toutes les couleurs (depuis le rose fushia jusqu’à l’orange profond) étaient suspendues par les pattes arrière le long des rues près des marchés. (En y réfléchissant, je me dis que ça a peut-être un rapport avec le fait que nous entrons cette année dans l’année du cochon...)

Des gâteaux ronds, une sorte de biscuit à l’œuf, portant la marque d’une croix prononcée sur le dessus et marquée de 4 taches roses s’étalaient hier encore par dizaines sur les comptoirs des échoppes.

Sur tous les seuils de magasin dans le quartier chinois, et un peu partout ailleurs dans la ville, des braseros allumés et des familles rassemblées autour y jetaient à pleines brassées des faux billets et des papiers colorés. Une jolie jeune fille chinoise a bien voulu nous éclairer : il s’agit d’envoyer à « ceux qui ne sont plus » de quoi fêter, se nourrir et dépenser dans l’au-delà. On leur envoie donc en fumée, ces simulacres d’habits et de monnaie, en espérant qu’en échange ils nous protègent pour l’année à venir... C’est une manière agréable et festive de penser à ses morts je trouve, loin de l’austère tradition de la Toussaint chrétienne...

Derrière les braseros, sur les seuils larges de ces magasins contigus qui s’ouvrent dans toute leur largeur, de grandes nappes sont installées sur le sol. Recouvertes de mets les plus divers, en abondance, soupes, salades, riz parfumés et emballés de feuilles de lotus, montagnes de viandes et de fruits de mer, fondues « laotiennes », ces nappes regorgent également de fruits, de fleurs et de bâtons d’encens qu’on s’apprête à brûler. Quel dommage de ne pouvoir partager ces repas de famille qui ont l’air si goûteux !

Les dragons dansent dans les airs

Aujourd’hui, le premier jour de cette nouvelle année du Cochon, c’est au tour des parades de dragons (en fait, c’est des lions) de faire le tour de la ville.

Composés d’une cinquantaine de jeunes qui jouent du sabre et miment des combats d’art martiaux, d’un orchestre de percussions et de cymbales qui rythme les performances, et de plusieurs acrobates qui se relaient au fur et à mesure des numéros, ces défilés sont impressionnants. De station en station, ils poursuivent leur progression dans la ville tout au long du jour.

J’ai eu la chance cet après-midi de tomber sur l’un d’eux, au moment où ils changeaient de maison. Commandés à l’avance, il me semble par des familles souvent riches et commerçantes qui souhaitent que la danse du lion leur procure chance et prospérité pour l’année à venir, les groupes de danseurs poursuivent donc leur itinéraire dans la ville, de seuil choisi en seuil choisi.

Lors de la deuxième station à laquelle j’ai assisté, la troupe avait sorti le grand jeu : 8 dragons-lions (composés à chaque fois de deux acrobates danseurs sous le déguisement) s’agitaient sous les fenêtres de la demeure à l’air cossu. Au balcon, une famille apparemment nombreuse se pressait : une dizaine d’enfants en joie, des parents, des grands-parents, et peut-être même des arrières grands-parents. La maîtresse de maison, une femme qui devait appartenir à la génération des grands-parents, avait accueilli tout ce petit monde et organisé son installation sur le trottoir, avant de bénir d’offrandes (plats de riz et d’orange) et de parfumer de bâtons d’encens, leurs agrès.

Dans la rue, face aux cinquante « performers » (acteurs), une foule toujours plus grande s’amassait pour le spectacle. Un agent de circulation, attaché à la troupe, et tout sourire, avait pour mission de faire régner l’ordre...

La danse introductive des dragons, au rythme lancinant des cymbales, s’est poursuivie au cœur de la maison. Leurs trémoussements un peu comiques, leurs clins d’œil et mouvements d’oreilles mécaniques, mais si évocateurs donnait un vrai air de cirque à l’ensemble.

Sur le balcon sont soudain apparus deux dragons et deux hommes masqués. Leur danse s’est alors poursuivie sur ce qui me semblait de loin être un autel couvert de bâtons d’encens... (Hélas, nous ne nous y connaissons pas encore vraiment en matière de confucianisme et leurs rites nous paraissent encore étranges, malgré la familiarité qu’ils entretiennent de loin avec le bouddhisme).

Les rites une fois accomplis, les dragons sont redescendus, pour laisser place au clou du spectacle : la danse acrobatique sur de faux piliers de bambous en métal de différentes hauteurs.

Un dragon-lion composé de deux jeunes hommes s’est alors élancé sur la piste, sautant et virevoltant sur les agrès qui se tendaient vers le ciel. Leurs sauts synchronisés et parfaitement calculés donnaient l’impression que la bête mythique dansait dans les airs...

Un poil comique, la prestation atténuait la tension perceptible dans l’air : le cirque de rue était là, sans filet ni barrière, pur dans ses exploits, et ses évocations ancestrales.

Le soleil se couchait lorsque je me suis désolidarisée de la foule pour aller rejoindre mon Emmanuel qui depuis plusieurs heures déjà, devait m’attendre...

Un énorme chapiteau sur l’esplanade devant notre « maison » attirait une foule immense au moment où je suis rentrée : des groupes de musique moderne cambodgienne y évoluaient, filmés, à grand renfort de sièges élévateurs et de projecteurs par la télévision locale.

Et la fête n’est pas prête de se terminer : la chaleur du jour se lève, celle des corps en fusion peut désormais commencer...



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