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L’ombre derrière le sourire 2/2
Le 01/03/07

Démocratie, et corruption

En allant au palais royal de Phnom Penh, quelques jours après notre journée de plage de luxe à Sihanoukville, nous avons traversé des rues non pavées. Le bourdonnement des centaines de mouches tournant autour des stands de soupe, où des travailleurs étaient attablés à leur déjeuner d’un bol de soupe, nous a attirés. La faim au ventre, et le porte-monnaie creux, nous les avons rejoints. Dans ce genre d’endroit, si la viande est rare, les intestins et autres abats sont par contre plus présents.
Manu grimace : il a encore mal au ventre, il rentre à l’hôtel...

Bon, tant pis, j’irai seule à la pagode d’argent finalement.
En quelques rues, le décor change, et à l’intérieur c’est comme un autre monde.
Dans la cour pavée et « spotless », les jardiniers arrosent en continu des pots de terre sculptés dans lesquels poussent des arbustes de toutes les essences. On entend les oiseaux chanter. Sur les portes hautes de différents palais, de l’or, de l’argent, des diamants ; l’architecture complexe des toits empilés resplendit au soleil.
Je jette un coup d’œil autour de moi : les peaux sont toutes blanches ici, les gabarits ont eux aussi dramatiquement changé...

Je m’installe à l’ombre du mur d’enceinte, à côté de la maquette d’Angkor wat, symbole de la splendeur du royaume khmer.
Après voir lu consciencieusement mon Lonely Planet et observé la salle du couronnement ainsi que toutes les images de la royauté millénaire qui gouverne ce pays, je retourne à mon « Cambodia now ».

Et là, j’ai l’impression de devenir schizophrène : le Cambodge qu’on m’y décrit à force d’interviews est si éloigné de ce paradis policé dans lequel je me trouve, que je mets du temps à me réadapter à la cruauté des mots. Autour de moi, les touristes sourient béatement en suivant leur guide japonais devant la « splendeur du Cambodge », tandis que, sur la page, les mots écrits tout petits me parlent d’un pays qui s’est construit sur des valeurs qui ne sont pas celles de l’Ouest.
Angkor, qu’on admire tant aujourd’hui, était une civilisation d’esclaves et de seigneurs qui a poussé le système jusqu’à l’effondrement (un peu sur le même schéma que Rome). Angkor était donc une civilisation d’inégalités féodales, comme notre Moyen Âge, mais d’inégalités acceptées grâce au bouddhisme.
(Le karma explique la condition de chacun, et si on est en bas c’est qu’on a fait, dans les vies précédentes, des « conneries » qu’il faut racheter. Tout en haut de l’échelle, le roi est donc forcément bon, puisque la vie le gâte tant, tandis que « tout en bas », la femme paysanne pauvre a, elle, vraiment dû faire quelque chose de grave avant pour en arriver à ce degré de dévalorisation sociale.)

Au Cambodge, on est fait pour accepter et assumer son destin, sans une plainte, sans un cri en espérant que, dans la prochaine vie, cela se passera mieux.

Et c’est face à cette culture millénaire, que le livre me parle des efforts des Nations Unies pour tenter de mettre en place un simulacre de démocratie à l’occidentale.
Mais l’ONU n’a tenu que jusqu’aux élections de 98, quand, après avoir observé un partage des voix intéressant validant le vote, il s’en est retourné vers d’autres contrées plus tourmentées.
Manque de bol, au Cambodge ce n’est pas si simple que ça.
Ceux qui ont le pouvoir ne le lâchent pas si vite. Et pendant près d’un an, aucun gouvernement ne peut être formé, parce que perdant (l’ancien gagnant) ne veut pas perdre. Il finit donc par gagner, rabaissant la valeur de la voix du peuple à rien ou presque, en prenant la place de premier ministre du roi que le vote populaire lui avait refusé...

En conséquence de quoi, au Cambodge, même en 2005, personne ne semble plus capable de croire à la démocratie selon Coates. La corruption des forces de police et du gouvernement est partout selon les gens « d’en bas », et d’après Coates, rien que cette certitude et la perte de confiance qu’elle induit, suffit à démontrer que la démocratie n’existe pas encore.
C’est que le gouvernement, ici comme au Laos, ne fait pas grand-chose pour que le peuple ait l’impression qu’on l’écoute...

Aider quoi, aider qui ?

Et si les choses changent malgré tout, petit à petit, si en nous promenant dans les campagnes nous pouvons noter que les infrastructures s’améliorent, que les routes sont graduellement refaites, les ponts réparés, et les écoles construites, ce n’est certainement pas grâce au gouvernement. En effet sur chacun des panneaux de chantier que l’on déchiffre en passant rapidement, c’est toujours le logo d’un gouvernement étranger, ou d’une ONG qui est à côté de la ligne « financement ». Le Japon, la France et l’Australie forment le peloton de tête des vainqueurs de la reconstruction au Laos comme au Cambodge.
Mais qu’advient-il de ces écoles, de ces hôpitaux, de ces programmes de formation et de soin, une fois que les ONG repartent, une fois que les fonds disparaissent ?
Rien.
Rien du tout. Le gouvernement ne prend jamais le relais. Ou si rarement.
Alors parfois, une autre ONG arrive, réétudie la question et remet 3 ans avant de faire redémarrer l’affaire à sa sauce, créant une confusion sans précédent chez les locaux, et perdant un temps précieux. Les projets-prétexte-à-bonne-conscience, en déversant des sommes colossales sur ces pays, qui ne refusent jamais une telle manne, font souvent doublon, ne se coordonnent que très mal, et finalement semblent faire plus de mal que de bien. (cf. « Another quiet American » - Brett Dakin - 2003)

Alors, je me pose la question : faut-il aider ? Et comment ?
Nous qui cherchons toujours un peu une organisation à infiltrer, pour notre conscience et notre confort, j’ai presque honte de la méconnaissance des problèmes des pays qu’on traverse, et de l’absolue arrogance qui nous fait penser que nous pouvons aider.

Peut-être effectivement qu’il est possible d’aider en donnant du temps ou de l’argent à une organisation locale très ancrée dans le contexte et qui a fait ses preuves. (1) Mais est-ce que ça aidera réellement le pays à se reconstruire ? Comment gérer l’aide dans ces pays dont le lourd passé colonial, suivi de guerres dont ils ne se sont pas remis, et avec à leur tête des gouvernements « communistes », mais corrompus, semble avoir érodé les réflexes d’initiatives les plus élémentaires, ainsi que le sentiment de devoir et de responsabilité citoyenne ?
Un homme, que Coates interviewait dans son livre, finit même par dire en conclusion de son long discours que, finalement, selon lui, le Cambodge a juste besoin maintenant qu’une « nation forte » le reprenne en main, le « colonise » à nouveau, afin de lui permettre de retrouver une impulsion économique et infrastructurelle réelle !

Décidément, ces livres me hantent, mais, si je ne les avais pas lus, mon expérience du pays en aurait été très différente. Je crois que j’aurais quitté le pays, simplement heureuse d’avoir appris sur la culture khmère, effarée par les effusions de sang du génocide khmère rouge, très impressionnée par les films sentimentalistes que les autorités nous livrent sur cette période atroce, ou peut-être, plus simplement, énervée par tous ces mendiants amputés (comme des amis français nous l’ont confié), mais, du Cambodge d’aujourd’hui, je n’aurais vu que les sourires sur la plage, un peu de poussière dans la rue, des mendiants amputés (comme en Inde) et une image paisible de la campagne rurale.

Les rats quittent le navire

Le livre m’a permis d’ouvrir les yeux, et quand on est rentré de nuit de notre restaurant de luxe pour « Khmers en chemise » et « twentysomething » plein d’argent, je me suis facilement connectée à la réalité qu’il y décrit...
Nous sommes en effet passés devant un marché coloré près de « chez nous » qui retentit de cris dans la journée. À cette heure tardive, il était bien sûr fermé et aucune lumière n’éclairait la rue qui le bordait. Une ombre rapide sur le sol, puis une autre : des rats énormes que j’ai pris pour des chats ont frôlé ma jupe.

Quelques mètres plus loin, au coin notre rue, au pied de notre hôtel, se trouve cinq moustiquaires sur le sol.
Une petite famille dort dehors ce soir... comme tous les soirs d’ailleurs et à tous les coins de rue de Phnom Penh. Et grâce au livre, mon esprit fait rapidement le lien entre les rats, les détritus plus loin dans la rue, et les enfants par terre. Les méfaits de la pollution, comme le livre en parle, deviennent soudain vivants. « Ici, pas de déchets toxiques ou de déchets nucléaires » m’étais-je dit, « ça ne peut pas être si grave que ça, cette histoire de pollution ».
Et bien si.
80 pour cent de la pollution est faite par l’homme à partir de déchets domestiques, jetés à même la rue, sans qu’aucun système efficace de nettoyage, de ramassage des ordures et d’évacuation des eaux usées ne soit mis en place.
La tuberculose, les affections respiratoires (qui expliquent peut-être les centaines de masque sur le visage de conducteurs de motobikes dans la ville (2)), les diarrhées aiguës provoquées par une pollution continue de l’eau (apparemment, à n’importe quel instant « t », il est possible de recenser 50 pour cent des enfants au Cambodge qui sont sujets à une diarrhée aiguë), toutes ces maladies, qui en France n’existent que dans les livres, tuent encore au Cambodge, tous les jours, et à cause de la pollution domestique justement.

Contrairement à Calcutta, où le système de traitement des eaux usées est efficace, entièrement bioclimatique et intégré à l’économie régionale, à Phnom Penh, depuis que les Français sont partis, le réseau de canalisation sous-dimensionné n’a jamais été revu, amélioré ou même entretenu.
Or dans un pays où la mousson est connue pour raviner les campagnes et provoquer de fortes inondations dans les villes, la présence de tonnes de déchets amoncelés dans la rue, est rapidement catastrophique. Le flot d’eau boueuse et polluée qui se jette alors dans la rivière est sans arrêt la source d’épidémies sans nombre. Ici, en effet le Mékong est la base de tout : c’est l’eau du riz, celle du thé, celle de la douche, et celle de la pêche.
Alors, évidemment, quand elle va mal, tout le monde va mal.

...

Mais le Cambodge, c’est déjà fini, et les souvenirs qui me restent sont trop confus pour que j’arrive à conclure ce soir.
Une seule chose peut-être, le Cambodge, c’est compliqué, trop compliqué de trop de couches d’histoire successives pour le comprendre en 15 jours...
Le Cambodge, c’est donc un pays dans lequel il nous faudra sans aucun doute retourner ! ...


(1) Voir « Friends » à Phnom Penh
(2) La pollution aérienne est aussi due à la cuisson généralisée au charbon de bois. C’est Coates qui m’a appris que, le gaz étant trop cher pour la plupart des nouveaux habitants des villes, ces derniers avaient repris leurs habitudes de la campagne et rapatrié ces dangereuses sources de fumées sur les balcons. L’air est donc parfois tellement saturé de poussière et de fumée en saison sèche qu’il est difficile de voir au bout de la rue, ai-je remarqué lors de notre premier jour à Phnom Penh !



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