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Voyager... à deux
Le 13/04/07

Bouger, toujours bouger, oui, mais où ?

Confrontés à nos problèmes « d’organisation spontanée », on passe notre temps à tenter d’ajuster nos envies à la réalité.
Un exemple parmi d’autres, à Xian, le soir de notre arrivée, le remords nous étreint à la pensée qu’on a laissé s’échapper la mythique Hong Kong.
À 1 h du matin (sachant qu’on se lève rarement après 6 ou 7 h...) nous signons virtuellement, le bonnet sur la tête et le nez tout rouge, enrhumés par cette incubation en chambre froide, à laquelle la recherche sur ordinateur nous a condamnés (la pièce dans laquelle se trouvent les deux ordinateurs de la guesthouse est glaciale...). On vient de dépenser notre budget du Yémen pour un week-end pascal, dans l’ancienne colonie britannique...
Et pourtant malgré tout le temps qu’il nous a fallu pour prendre la décision nous n’en sommes qu’au début de nos surprises.

Dieu que c’est difficile de parvenir à faire la part des choses entre le rêve, les impératifs financiers qu’on s’impose, les impératifs financiers réels, et le besoin chronique de repos.

Faire le « bon choix » ?

Comment faire le bon choix effectivement, quand on ne maîtrise que très partiellement les données du problème ? Il faudrait pouvoir pour chaque changement de destination potentielle (c’est à dire tous les 3 jours en moyenne, parfois moins) passer des heures à vérifier les données climatiques de chaque endroit, et les implications temporelles (temps de transport, calendriers locaux, etc.) de chaque option, tout en se renseignant sur les points attractifs de chacune, afin de faire le meilleur choix possible...
Et encore, même dans ce cas de figure là, ce ne serait pas suffisant...

Preuve en est qu’à chaque fois, au moment d’arriver sur place, on se rend compte qu’on a oublié l’essentiel. À Hong Kong par exemple, l’essentiel c’est qu’on était en plein week-end pascal...

J’imagine souvent pour me consoler de ne maîtriser que si partiellement les choses que justement, c’est cette habitude de prendre des décisions à la dernière minute qui est constitue la véritable différence entre la vie « réelle » où on prend de simples rendez-vous plusieurs jours à l’avance, et la nôtre, ici et maintenant.
Que c’est cette nécessité d’accepter que les choses soient différentes de celles qu’on avait imaginées, qui nous change en profondeur.
Et j’imagine que c’est ce côté imprévisible des décisions de dernière minute qui fait le véritable charme d’un voyage au long cours...

Méthodologies...

Mais, en y réfléchissant, je me rends compte que ce n’est pas tout à fait vrai.
Que tout ça dépend surtout des manières de voyager.
Au cours de notre périple, nous avons en effet eu tout le loisir de nous rendre compte que le voyage au long cours est une affaire de choix.
Et qu’il y a presque autant de manières de voyager que de voyageurs. Le tout à ranger dans de grandes tendances quand même.

Le voyage « self organisé »

Il y a tout d’abord la catégorie de ceux qui font le choix de tout planifier à l’avance.
Évidemment, ça représente un véritable travail de titan que de savoir 6 mois à l’avance dans quel lit ils iront dormir le 14 avril, quelle visite ils feront le 12 mai ou encore quel train ils prendront le 25 août : leur chiffrage est défini aussi précisément que leur emploi du temps.
Étrangement, ce ne sont pas les plus âgés qui ont recours à ce mode d’organisation : nous avons en effet croisé un couple très jeune du nord de la France, encore étudiants et qui avait décidé de financer son voyage avec les quelques mois de salaire gagnés dans un supermarché avant le départ...
Si j’ai tendance à penser que les gens qui font ce type de voyage sont aussi rigides que les tableaux Excel qu’ils transportent dans leur sac à dos, je ne nie pas qu’il y a des avantages certains à entreprendre ce type de voyage. Puisqu’à l’avance ils savent où ils seront le lendemain, le jour même ils sont peut-être plus réellement en mesure d’apprécier l’endroit dans lequel ils se trouvent que nous. Ils n’ont en effet aucun besoin de dédier une part importante de leur emploi du temps à l’organisation du quotidien. C’est finalement un peu comme opter pour la solution du voyage organisé, mais sans les inconvénients du groupe...

Les largeurs d’amarre

À l’opposé de cette organisation un peu draconienne, et de manière plus fréquente, on trouve les backpackers « pure-souche », dignes héritiers de l’image qu’on se fait du hippie des années soixante, les sous et la bière en plus, l’herbe en moins.
Ces derniers n’ont aucun impératif temporel fixe. Ils sont partis un jour parce qu’ils en avaient marre. Ils ont souvent tout plaqué parce qu’ils voulaient changer de vie, poursuivre un rêve d’enfant ou trouver leur « moi intérieur ».
Ils ont dans la tête un vague espoir de s’installer un jour lointain dans « l’autre hémisphère » (en Australie le plus souvent), après une période indéterminée d’essai de métiers. Les seules véritables limites de ces voyageurs qui se laissent porter par le courant sont l’argent et l’ennui.

La « gap year » à la bière

Et puis il y a tous les autres. Ceux qui partent, mais ne larguent pas les amarres. Ceux qui savent qu’un avenir les attend à leur retour.
Souvent frais émoulus de leurs études à peine validées, ils prennent un an avant de se lancer dans le monde féroce du travail, du commerce souvent, qu’ils espèrent bien dompter.
Alors entre le stress des examens de la fin et le stress des premières nuits blanches au boulot, ils boivent de la bière sur le bord des rivières d’Indochine, et passent leurs nuits à se raconter leurs expériences de voyage les plus folles (j’ai vu un Thaï manger une araignée hier !), le soir dans des guesthouses customisées.
Les Européens du nord (Anglais, Allemands, Suédois et autre Danois forment le plus gros du bataillon)
Les Israéliens, quant à eux, forment une variante de ce premier groupe en ce sens qu’ils sont le plus souvent frais émoulus de l’armée, et non de l’université.
Cela induit donc un léger changement de mentalité. Si j’ai toujours l’impression qu’ils partent à la conquête du monde, ils se regroupent pourtant fréquemment dans des hôtels qui leur sont quasi réservés, avec soupe halal (casher) et tout le tralala, où ils accompagnent le silence des nuits laotiennes de brailleries ivres et hébraïques.
À leur retour, entre 22 et 24 ans ils commenceront leurs études...

La saison en vadrouille

Les saisonniers, et les instituteurs en mi-temps annualisé, forment une catégorie à part, plus libre à la fois de leur temps et de leur argent : ils ne sont pas pressés que tous les autres, avec un boulot qui les attend à leur retour.
Pas stressés par le temps pour autant puisqu’ils reviendront l’année prochaine.
Pas stressés par l’argent non plus, puisque les assedics s’occupent bien d’eux, ils sont généralement des compagnons de voyage agréables, et ont une vision du monde intéressante à force de faire l’aller-retour entre les cultures.
C’est eux que j’admire le plus.
C’est eux aussi, les seuls qui, en voyage, réussissent à me faire douter de mon choix de vie

... aussi, le « voyage à deux »

Enfin, il y a ceux qui, comme nous, partent à deux, emportant un bout de leur maison sur le dos, comme pour ne jamais se perdre, même au bout du monde.
Plus âgés que les autres, de manière générale, avec quelques années d’expérience professionnelle derrière eux, et souvent un boulot qui les attend à leur retour, ils voyagent un peu plus loin de la masse en sac à dos, sont un peu moins ivres, un peu plus à la recherche de la rencontre, un peu plus conscients que c’est là, la chance de leur vie, cette année sabbatique qu’ils ne peuvent se permettre de vivre qu’une fois...
Pour eux, le stress est plus grand : il faut un peu rentabiliser ce sacrifice financier auquel ils consentent.

Évidemment, on appartient au dernier groupe de ceux qui essaient de construire leur couple, le voyage et l’avenir tout en même temps... sans lâcher prise.

Mais on se rend compte qu’on est aussi peu préparé que des backpackers qui se laissent guider par le courant, tout en ayant aussi peu de temps que ceux qui sont en voyage self organisé !

Peut-être est-ce parce qu’on s’est laissé piéger par l’illusion d’acheter notre liberté en nous décidant à l’avance pour un itinéraire aérien soi-disant flexible ?
Le temps fou que nous avons passé à choisir les destinations nous piège aujourd’hui et nous n’osons déplacer aucun avion : et si un pays nous plaisait encore plus après ? On a tellement rêvé de cet « après ». Comment y renoncer ?

Et puis, il y l’argent. Ceux qui ont un boulot qui les attend ou arnaquent les assedics une partie de l’année ne dépensent pas de la même manière que nous.
Ceux qui ont tout largué non plus : pour eux le temps n’est pas une contrainte, ils pourront bien travailler quand ils en auront besoin quelque temps, pour quelques sous, dans une ferme ou à donner des cours d’anglais à des petits Chinois.

Mais nous, on n’a pas de marge, ni d’argent, ni de temps...

Le voyage nous bouscule pourtant, nous questionne, et les contraintes avec lesquelles on est naturellement parti (qu’on s’est même imposées pour se rassurer), deviennent chaque jour de plus en plus lourdes.
Un peu plus de 6 mois de fatigue et de rencontres font douter :
De tout ce qui nous emprisonne « là-bas »
De l’opinion qu’on avait de certaines choses, mais qui n’était pas forcément la nôtre,
De l’envie de retrouver la pression de la « caste socioprofessionnelle » à laquelle on est immanquablement affilié...

Qu’est ce qu’on attend vraiment de la vie ?

... et « je » noyé dans le « nous », il passe où ?

Le voyage à deux, on nous l’avait dit et répété, c’est l’épreuve du feu.
Celle de la connaissance de soi à travers le regard de l’autre, qui lui aussi lutte pour sa propre liberté, sa propre intégrité qu’il ne veut pas dissoudre dans le « nous » quotidien.

Confrontés aux différents modèles de vie qui nous entourent, nos rêves intimes se révèlent au grand jour. Pourtant, à deux, il n’est pas vraiment possible de rêver pour de vrai à tout changer. Mais c’est normal, la présence de l’autre, comme un miroir implacable, oblige à une certaine tenue.
On ne largue pas tout (ni le passé, ni les projections d’avenir) si facilement quand on est deux.
Ou alors, on largue tout à deux (1)
... Ou alors, on en largue un des deux.

Alors pour ne pas s’éloigner trop au risque de se perdre, on tente de changer en parallèle, même si les directions qu’on prend ne sont pas toujours les mêmes.
On tente de rester l’ami, l’amant, la sœur ou frère, le confident, et on devient le bouc émissaire, punching-ball, le bourreau et la victime.

Et forcément au bout d’un moment, ça tire et ça crie, et ça pique et ça pleure.

On se frotte, on s’écorche, on s’use, on s’attaque,
On en rit, on sourit, on s’étreint et on recommence.


(1) comme un couple rencontré avant le départ qui construit et vit maintenant dans des cabanes dans les arbres au fin fond du Massif Central).



Ca discute...

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