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Zhongdian, incursion en territoire tibétain 2/2
Le 28/03/07

Songzanlin

Mais Zhongdian n’aurait pas produit la même impression durable que celle que nous gardons jalousement dans nos mémoires, si nous n’avions eu la chance d’aller visiter, à la sortie de la ville, le monastère de Songzanlin. Un feeling de retour dans l’Inde rurale nous a saisis dès la montée dans le bus. À côté du conducteur échevelé, une boite de carton un peu défoncée était remplie à ras bord de billets verts de 1 yuan dans laquelle nous étions supposés jeter notre contribution au voyage. Les passagers qui montaient et descendaient au fur et à mesure que nous avancions sur la ligne, étaient chargés de fruits et de légumes du marché. Les costumes traditionnels de vieilles Tibétaines se mêlaient avec étrangeté aux permanentes des jeunes Chinoises dont les bébés retenaient immanquablement l’attention de tous les passagers.

Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre quand nous nous sommes approchés du terminus... notre guide ne contient aucune photographie indicative, et nous avions déjà visité tant de temples et de monastères que nous n’espérions pas plus qu’un regroupement de quelques pagodes, un peu d’encens et quelques drapeaux de prière tibétains.

Quelle n’a pas été notre surprise, d’être lâchés au pied d’une petite ville escarpée, un petit village au fait, dont les maisons cubiques accrochées à flanc de colline formaient comme un socle massif et délicat à la fois, supportant le complexe des temples proprement dit.

Un peu comme un Lhassa miniature, sans la furie touristique qui l’accompagne,

Un Shibam du désert posé comme un diamant au cœur des hautes plaines tibétaines...

Le Yémen au Tibet

L’ascension s’est révélée pleine de surprises. Les cours entre les maisons résonnaient tour à tour de murmures de prières ou de coups de burin. Les moines à robe pourpre (et non orange comme partout ailleurs en Indochine) passaient discrètement d’une ruelle à l’autre. Mais surtout, l’architecture des maisons nous a rapidement fait quitter ce qui nous restait de souvenirs nord-indiens, pour nous retrouver dans le désert de l’Hadramaout au Yémen, au cœur de la forêt de maisons-tour en terre qui nous avait tant séduits.

Ici, comme là-bas, les murs massifs ne sont percés que de petites fenêtres. La forme élancée de leur silhouette contraste en outre avec la masse initiale du bloc de terre qui sculpte le profil de chaque ruelle. Les murs en effet s’affinent au fur et à mesure que les étages augmentent, donnant l’illusion optique que les bâtiments sont plus grands qu’en réalité. Le fait, également, qu’ils s’étagent continûment sur la colline et que chaque ruelle perpendiculaire à la pente est nettement plus haute que la précédente, contribue à accentuer cette impression de grandeur.

Les toits, que l’on s’est mis à apercevoir rapidement au cours de notre montée, sont quant à eux bien différents de tout ce qu’il nous a été donné d’observer jusque-là : faits d’une charpente de bois qui dépasse des murs de terre (créant de fait un interstice de ventilation), ils sont recouverts d’une épaisse couche de terre, ainsi que de mottes d’herbes, déposées de manière plus ou moins régulière. Ce terreau actif (censé éviter que les toitures ne s’envolent ?) est un humus fertile où les herbes folles s’en donnent à cœur joie, offrant un petit côté échevelé à l’agencement rigoureux de ces maisons à l’allure un peu cubiste.

Depuis le toit du Monde :)

La grande esplanade au sommet de la ville sur laquelle s’ouvrent les temples est imprégnée d’un fort sentiment mystique. Comme sur le toit du monde, le vent souffle dans les ribambelles de drapeaux colorés attachés aux mâts de prières. En surplomb sur la ville, avec les montagnes enneigées pour seul horizon et la puissance des constructions massives dans le dos, on se sent à la fois invincible et conquis.

En grand contraste par rapport à cette esplanade si lumineuse dont le vent vous étourdit rapidement, l’entrée dans les bâtiments religieux trapus, un peu glacés et tout en contre-jour, est saisissante. Les yeux mettent du temps à s’habituer à la pénombre. Les banquettes couvertes de velours rouge sombre où les moines se rassemblent pour faire leurs prières quotidiennes, émergent petit à petit d’une forêt de poteaux laqués, tandis qu’au fond, une lueur diffuse indique que les bougies de beurre de yak brûlent près de l’autel croulant sous les offrandes. Nous faisons plusieurs fois le tour de ces intérieurs remplis de fresques plus saisissantes les unes que les autres. La silhouette d’un moine en contre-jour dans la fumée des bâtons d’encens, avec les montagnes trop lumineuses en fond, nous semble presque cliché. Nous n’osons pas prendre la photo tellement elle nous parait irréelle. Aujourd’hui, et par contraste avec l’atmosphère très urbaine de la Chine de l’Est que nous parcourons depuis quelques semaines, j’ai du mal, sans témoin graphique, à croire que nous n’avons pas rêvé...

Le Tibet reste en Chine...

La visite se poursuit doucement. Sur le pas de porte d’un autre temple, nous sommes surpris d’entendre un rare touriste chinois s’adresser sur un ton sévère à un jeune moine de moins d’une dizaine d’années. Nous pensons tout d’abord que ce dernier a fait une petite bêtise que l’homme aurait surpris, mais la réprimande semble prendre la tournure d’un interrogatoire inquisitorial. On a l’impression que l’homme chinois vérifie que l’enfant a bien appris sa leçon. L’enfant un peu terrorisé acquiesce rapidement à chaque question, et semble parfois réciter des réponses toutes faites. On a bien lu dans nos guides que les Chinois n’avaient récemment ré-accordé la liberté de culte aux moines tibétains qu’après un endoctrinement massif à la chinoise sur les priorités de l’État, mais nous n’en croyons pas nos yeux. (En même temps, nous ne comprenons pas un mot de chinois, ni de tibétain, et notre interprétation n’est peut-être pas la bonne...)

Un univers presque parallèle

Plus tard, nous quittons presque à regret ce monde de clair-obscur et de spiritualité pour nous glisser dans les ruelles à l’atmosphère plus profane.

Nous croisons quelques cochons (dieu que c’est sale un cochon !!), quelques hommes au pas lent et de nombreux tas d’ordures bien yéménites dans l’esprit, au détour des maisons qui auraient souvent besoin d’un sérieux coup de peinture, à défaut d’une restauration complète. Mais ici, nous ne sommes pas dans le Zhongdian d’en bas, celui des nourritures terrestres et touristiques. Ici point de fausse-vieille-ville ou de marchands de faux souvenirs... Point de rénovation subventionnée non plus en conséquence. Mais c’est justement ce qui nous donne l’impression de redécouvrir un univers anachronique. Un mode de vie original que la folie consumériste de la Chine n’aurait pas encore atteint...

[Je sais bien que les Tibétains sont connus pour leur ferveur religieuse, mais je me demande encore combien de temps ils parviendront à résister à l’effervescence commerciale qui a toujours fait des Chinois les colonisateurs les plus insidieux qui soient...]

Plus haut encore que la plateforme des temples, à l’arrière de la ville, après une légère dépression de terrain, un stupa blanc est entouré d’une myriade de guirlandes de voeux colorés et textiles qui flottent au vent. Sur le chemin qui nous y mène, nous remarquons des traces de feu sur le sol. Au cœur des foyers de cendres froides, nous retirons de minuscules rouleaux de prières qui ne se sont pas consumés...

Plus tard, plus bas, après avoir fait le tour de la ville, nous verrons nos premiers yaks. Une femme en costume traditionnel tente de les faire avancer sur le chemin. Elle peine, et leur court sans arrêt autour. Une petite fille les accompagne. Une autre femme en costume rit avec nous de ce spectacle un peu comique... Le bus arrive, et c’est déjà fini. Quel dommage de ne pas avoir le temps de nous plonger plus avant au cœur de cette civilisation tibétaine qui semble si fascinante vue d’ici !

Et le Tibet, le vrai... ?

L’idée d’aller au Tibet semble séduire énormément de gens parmi les voyageurs que nous rencontrons dans cette partie de la Chine... mais il est difficile de mesurer à quel point le jeu en vaut vraiment la chandelle. Aux coûts prohibitifs du permis obligatoire et du véhicule avec guide imposé par le gouvernement (le 4x4) s’ajoute la peur « d’arriver trop tard ». Le Tibet est, en effet, encore sous loi militaire et les centaines de milliers de « colons », qui ont été incités par le gouvernement à s’y installer, ont soi-disant fait de Lhassa, une ville où les Tibétains sont presque des pièces de musée. J’imagine qu’il y a à prendre et à laisser dans ces peurs qui se transmettent aux frontières d’une province dont l’aura dépasse de loin les limites de l’Empire du Milieu... mais tout de même. On nous a bien souvent dit que les Tibétains en Chine étaient plus libres que ceux du Tibet...

Mais qui sait, un jour plus tard, quand on aura à nouveau le temps et l’argent, le Tibet nous appellera peut-être plus fortement. L’envie de le découvrir, en tout cas, est bien là, reste à savoir si on désire vraiment donner un visage à notre Shangri-La tibétaine, ou si elle n’est pas mieux dans nos rêves, comme une extrapolation un peu étrange de cette belle journée offerte par les aléas du voyage...



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