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Takayuki
Le 26/04/07

Takayuki

C’était un soir de pluie, dans notre petite guesthouse tout en bois et tatamis, que nous avons rencontré Takayuki. Un grand bonhomme japonais dont il est difficile de juger l’âge et la vie à priori.
Son gros gabarit engoncé dans un recoin de la minuscule salle à manger, il nous regardait avec intérêt tenter désespérément de composer la suite de notre itinéraire. Notre guide acheté neuf, à prix d’or à Pékin, présentait malgré toutes les précautions que nous avions prises, le fâcheux inconvénient d’avoir été imprimé sans le chapitre sur les Alpes Japonaises. Et comme par hasard, c’était justement l’endroit où nous avions l’intention d’aller...
Son envie de communiquer et la gentillesse avec laquelle il émaillait notre recherche d’informations forcément précieuses, nous ont poussés à faire les efforts nécessaires pour tenter de repousser la barrière de la langue. Par ce que l’anglais de Takayuki, c’est tout un poème...

Invitation impromptue

Soudain, alors que nous avions la tête plongée dans le guide d’un trio d’expat. français bossant à Hong Kong, il nous a dit, comme s’il venait d’avoir une illumination :
« You come to Ogaki ? »
« ... ? » (sourire gêné d’incompréhension)
« euh,... no, we’re planning to go to Takayama, and maybe Shirakaya-go »
« Yes Yes, very good ! So you come to my place in Ogaki tomorrow with me, before going to Takayama »
« euh... where is Ogaki ? »
Le nom de cette ville n’étant ni sur notre carte ni sur l’index d’aucun des 2 guides sous nos yeux nous étions intrigués...

Takayuki a dû le sentir parce qu’il s’est mis à redoubler d’efforts de persuasion. À l’entendre, Ogaki était le centre du monde, de là il était possible de trouver des trains pour partout au Japon, etc, etc.

« Well, tomorrow we cannot come as we already planned to go to Nara, but on the 26th, if it’s still ok for you, we could definitely pop-up at your place », lui a-t-on finalement promis, un peu gênés...
Nous ne le connaissions que depuis 10 minutes, et tout ça nous semblait un peu rapide : les invitations impromptues à la yéménite étaient bien loin dans nos mémoires !

Bon, ben qu’à cela ne tienne, puisqu’il nous invite si facilement, invitons-le à notre tour à dîner, histoire de lier connaissance !
Takayuki sur notre demande nous a donc entraînés dans le quartier de Kyoto où il avait ses bonnes adresses. Après une petite demi-heure de course effrénée dans les petites rues mouillées, nous avons finalement atterri dans son « bar préféré ».
Ambiance « rock’ n roll 80’ s » à London, ce petit bar, était squatté par de jeunes Japonais à cheveux longs, look rebelle à la peau douce. Même les tatouages de certains n’arrivaient pas à faire crédible, tant leur comportement était respectueusement japonais.

Takayuki, notre énorme ours japonais avait quelque chose de leur candeur rebelle, malgré la vingtaine d’années supplémentaire qu’il devait afficher au compteur.

Un drôle d’oiseau

À la fois ultra timide et stressé de ne jamais faire assez bien les choses - son coté japonais sans aucun doute -, c’est également le Japonais « le moins japonais » que tout ayons rencontré jusque-là.
Derrière l’homme très extraverti, on devine assez rapidement un grand adolescent un peu timide qui se déguise par des coups d’éclats et de grands gestes impulsifs. Son côté brouillon, constamment « éléphant dans un magasin de porcelaine », et sa créativité débordante nous ont d’ailleurs souvent dépassés.
Ainsi malgré les nombreuses heures que nous avons passées à discuter, sa vie, à l’image de son débit, nous semble toujours aussi confuse et sujette à de nombreuses interprétations.
Il nous dit qu’il est marié, mais « séparé » (faut-il comprendre divorcé ?), et que sa femme, pianiste, ainsi que ses trois enfants habitent à Tokyo. De son côté, c’est la compagnie d’informatique pour laquelle il travaille, qui s’occupe de le loger et de le faire régulièrement changer d’endroit en fonction de missions qui lui sont confiées.
Parallèlement à ce premier tableau « officiel », on apprend au cours de la conversation qu’il a travaillé 3 mois l’été dernier en Slovénie, « for another job », et son blog sur « myspace » fait état de sa profession de « model agent ». En effet, il semble avoir de nombreuses amies top model,
sur « myspace » en tout cas...
Quant à son attachement à nos petites personnes, il n’a de cesse de le prouver en exhumant un peu au hasard, au cours de notre conversation éclectique, des mots de français qu’il aurait appris « il y a longtemps... » (Où, quand, comment, pourquoi ??)

Son côté pile électrique, sans tabou, est fatigant et fascinant à la fois. En courant sous l’averse au sortir de notre soirée « branchée », alors qu’il n’avait pas de veste (contrairement à nous, globe-trotters prévoyants que nous sommes !), il n’a pas hésité, à piquer prestement un parapluie, accroché au guidon d’un vélo, garé dans la rue...
J’ai cru que nous avions quitté le Japon à cet instant même ! Mais non, il nous a souri, comme si c’était normal :
« An ombrella like this one, only costs 130 yen (90cent d’euros), it’s no problem ! »
Nous avons souri en retour, estomaqués par un tel manque de respect dans LE pays du respect, et un peu anxieux quant au séjour que nous avions désormais planifié chez lui...

Ogaki nous voilà !

Lorsque 3 jours plus tard nous avons débarqué dans la petite gare d’Ogaki, nous étions donc pleins d’appréhension. Mais il n’y avait pas de quoi à priori : c’est en effet un Takayuki, tout frais, dynamique et presque organisé qui nous a accueillis à la gare avec un quart d’heure d’avance. En deux temps, trois mouvements nos sacs étaient à l’arrière de sa petite voiture (qu’il avait louée pour l’occasion, comme nous nous en rendrons compte un peu plus tard.)

La ville d’Ogaki à première vue n’avait ni la richesse culturelle de Nara, ni la densité incroyable de Tokyo ou de Kyoto. Mais la manière qu’ont l’ancien et le récent de se mêler avec un « petit air de ne pas y toucher » m’a rapidement séduite.

Takayuki habite un tout petit « une-pièce » que sa compagnie lui fournit gratuitement, un peu à l’extérieur de l’hypercentre de la ville. Sans grand charme, ce petit bâtiment de béton à coursives est posé au cœur d’un quartier résidentiel de petites maisons accolées, typiques au Japon.

Agriculture urbaine

Ce qui fait tout le charme de l’endroit malgré tout, c’est la manière dont des champs de riz s’intercalent entre deux pâtés de maisons, donnant un véritable air de campagne à cette « petite ville » (de 600 000 habitants tout de même). De petits tracteurs y labourent en effet la terre et il n’est pas incongru d’observer un paysan et un homme en costume allant presque côte à côte dans la même direction, l’un vers l’autre bout du champ, l’autre vers sa quotidienne station de « RER ».

Au fait, nous nous sommes déjà fait la remarque à plusieurs reprises, que cette intrusion au cœur de la ville, de terrains privés cultivés de toutes les tailles, du petit potager au champ de riz, en passant par quelques serres de fleurs, était vraiment exceptionnelle.
Dans la plupart des petites villes que nous avons traversées (Nara, Ogaki, Takayama), et même dans la banlieue de Kyoto (dans le quartier d’Asharayama), la fusion entre la nature et l’urbain est en effet particulièrement harmonieuse

Après les mégalopoles de Chine telles que Kunming, Ghangzhou ou Chengdu, j’appréhendais une nouvelle cure à haute dose d’asphalte brute et agressivement commercialisée.
Mais le Japon est un pays plus âgé, plus mûr aussi peut-être, et en tous les cas à la recherche d’une certaine forme de « qualité de vie esthétique », qui n’est pas encore partagée par delà la mer du Japon.
Au Japon, j’ai l’impression que chaque bout de trottoir, même dans les très grandes villes que sont Tokyo et Kyoto, est couvert de fleurs, d’arbustes en pot, et de petits aménagements changeant au gré des saisons.

Improvisation continue...

Les premiers instants de gêne seront un peu longs à se dissiper malgré la gentillesse illimitée de Takayuki. C’est que c’est un Japonais si éloigné du stéréotype japonais qu’on a du mal à se positionner. Son appartement, aussi minuscule qu’il soit, parvient par exemple à concentrer un bordel monstre. On a l’impression d’être au cœur de son intimité et c’est un peu gênant.
En outre, son anglais est plus qu’hésitant et il nous faut tous les trois faire d’intenses efforts de concentration pour nous comprendre...
Mais Takayuki ne compte pas se laisser abattre pour autant : il nous a invités et il compte bien faire en sorte que nous nous souvenions de cette journée.
Sur ce qui ressemble à une série de coups de tête, nous sommes ainsi coup sur coup allés rendre visite à tous les « highlights » d’Ogaki. C’est le centre culturel, une petite cité des sciences complètement déserte, qui a eu droit en premier à notre visite. Nous y avons joué aux écoliers en passant avec application d’un atelier interactif à l’autre. C’était marrant et étrange à la fois, et le regard un peu effaré de la seule petite fille en uniforme que nous y ayons croisée m’a d’ailleurs confirmé ce que notre présence avait d’inhabituel en ces lieux.
Puis nous nous sommes fait inviter à déjeuner (contre notre gré bien entendu) dans une sorte de mall commercial tout neuf, un centre de vie la société consumériste japonaise comme nous nous en rendions compte un peu plus chaque jour.
Mais Takayuki n’était pas venu là par hasard. Son porte-monnaie était plein de coupons de réductions et à peine étions-nous sortis de table qu’il nous a entraînés au bowling (où nous nous sommes fait battre à plate couture.)
Là encore, il a été impossible de payer...

Ahhh les onsen... !

Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises. À peine étions-nous sortis du bowling qu’il nous a entraînés devant un nouveau complexe de bains traditionnels japonais, les fameux « onsen ».
Une fois de plus, nous avons été exemptés du tarif ordinaire et nous en sommes sortis pour une somme ridicule rapportée au luxe de l’établissement.
Une série de bains chauds très chauds, intérieurs et extérieurs était dédoublée selon les sexes. Et tandis qu’Emmanuel avait l’insigne privilège de se faire guider par un Takayuki tout nu, comme les dizaines d’autres hommes qui devaient peupler cette partie des bains, c’est toute seule et sans connaissance du protocole que je me suis aventurée dans le complexe.

La foultitude de corps nus de femmes japonaises de tous les âges qui m’a entourée dès mon entrée dans les vestiaires m’a un peu choquée d’entrée de jeu, mais ne voyant pas trop comment faire autrement, je les ai rapidement imitées.
Rien que le passage à la douche est une expérience en soi : des rangées de petits tabourets en bois font face à des petites tablettes sur lesquelles sont posées de grosses bouteilles de savon liquide, de shampoing et même d’après-shampoing. Un miroir permettant de se regarder se doucher ainsi qu’un jet de douche individuel réglable complète le dispositif. C’est assez étrange de se doucher assis face à un miroir, mais le fait d’être entourée de femmes nues qui font pareil, l’est encore plus. Cela dit, l’habitude est très vite prise, et ça devient alors très agréable.

Malgré toute cette félicité aquatique, un petit malentendu a failli nous faire frôler l’incident diplomatique, lorsqu’ayant suivi au pied de la lettre les instructions de Takayuki, je me suis retrouvée à attendre « les hommes » au sauna mixte pendant près d’une heure. À bout de nerf et échaudée ( !), j’ai craqué lorsque je les ai enfin vus arriver, tous contents de leur série de bains, bains que je n’avais pas osé approcher, justement à cause du rendez-vous que je supposais immédiat au sauna.
Nous avons signé la trêve en nous accordant deux bonnes heures supplémentaires dans ce paradis terrestre afin que je puisse à mon tour goûter aux plaisirs alternés du chaud et du froid humide, de ces bains fumants en plein air, et des bouillonnements venus tout droit des entrailles de la terre.
C’est donc épuisés que nous sommes sortis sur le coup dès 8 h du soir de notre premier onsen.

Une soirée dans les règles de l’art

Mais Takayuki n’en avait pas fini avec nous. Profitant de nouveaux coupons de réduction que l’onsen nous avait délivré à la sortie, nous sommes allés faire un petit tour dans une salle de jeu, toute proche. Les Japonais sont de grands fans des jeux en tout genre. D’argent surtout, mais aussi de foire. N’ayant jamais gagné, je n’attendais pas grand-chose de cette expérience, si ce n’est l’excitation de pouvoir essayer d’attraper avec les pinces fragiles une de ces peluches entreposées dans des cages en plexiglas...
Takayuki et moi avons donc perdu de bonne grâce chacun à notre tour.
Mais lorsqu’Emmanuel a tenté sa chance, c’est avec des hurlements de joie - enfin, y’ a que moi qui aie crié :) - que nous avons accueilli notre nouvelle mascotte « Rilakkuma », immédiatement rebaptisée Takayuki pour l’occasion.
(C’est un chouette petit ours que vous n’allez pas tarder à apercevoir sur nos photos... quand on pourra les télécharger !)

Excités comme des puces, nous avons alors poursuivi la soirée, comme la journée, c’est-à-dire dans le luxe complet.
Takayuki nous a tout d’abord conduit dans son « bar préféré » (il en a un dans chaque ville !), un mélange de chic rétro à l’européenne, où nous avons dégusté, à prix d’or (partagé heureusement cette fois-ci), une minuscule assiette de fromage à 15 euros. (Faut le voir pour y croire : il devait y avoir 20 g de fromage en tout et pour tout, reparti en 6 miettes distinctes, de parmesan, brie, gorgonzola, etc. !) accompagnée de vin rouge bien sûr.
Enfin, comme pour nous prouver plus encore son attachement à la France, c’est dans un café gourmet français (les plus chers au Japon) que nous nous sommes ensuite arrêtés pour acheter des parts de « quiche » (un luxe de raffinement ici apparemment) afin de nous restaurer plus substantiellement de retour à la maison.

Takayuki, toujours au mieux de sa forme nous a en outre débouché une belle bouteille de Champagne Moët et Chandon, premier cru, histoire de fêter tout ça !

Dédicace

La soirée s’est donc achevée, comme la journée avait commencé (le verre de champagne en moins), assis dans le capharnaüm terrible de sa cuisine de célibataire, et nous avons feuilleté ses albums de famille en tombant de sommeil...

Devant nos bâillements insistants, on a déroulé les lits sur le sol (au Japon c’est comme ça tous les soirs), couvrant ainsi toute la surface disponible de sa petite pièce.

Les derniers mots qui me sont parvenus ne semblaient n’avoir ni queue ni tête :
« Dear Magali and Emmanuel,
En acquérant le long voyage et l’air, appréciez s’il vous plaît amicalement avec deux personnes. Et afin de pouvoir retourner à Paris sans risque, vous priez »
Sur la petite carte qui accompagnait notre ours Takayuki, gagné à la foire, Takayuki le vrai venait de nous offrir en guise de dédicace de départ une traduction littérale (grâce à un traducteur en ligne) de ces voeux de bonne chance.

J’adore le japonais !



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