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Japan Perfection 2/2
Le 15/05/07

Jardin zen et poisson rouge

Ce sens du détail exact, cette recherche constante il me semble de la perfection, après notre séjour en Chine où TOUT n’était qu’imperfection, me semble être l’essence même de la culture japonaise.

Ici, tout est planifié pour atteindre une potentielle perfection possible des formes et des usages.
À commencer par le jardin zen qui - selon Emmanuel - est l’expression la plus parfaite d’une nature idéalisée. La nature y est mise en scène (grandeur nature et sans le kitsch de certains mini jardins zen qu’on trouve en Europe) avec génie et harmonie. Contrairement à nos jardins à la française, rigides et tellement peu naturels, ici les couleurs, les formes et les odeurs se répondent en continu. De clin d’œil en clin d’œil, on gravit les collines, on franchit les ruisseaux qui parsèment les étendues de mousse vallonnées et impeccables.
Les feuilles qui tombent des arbres et pourrissent habituellement sur le sol sont ici méticuleusement ramassées par des jardiniers orfèvres.
Le vert pâle de la mousse qui recouvre le sol plus parfaitement que ne saurait jamais le faire un gazon (fut-il anglais) contraste agréablement avec le rouge sang, le jaune d’or et le vert sombre des arbres.
Le blanc argenté des sols de gravier ratissé nous entraîne dans leurs tourbillons, immenses et symboliques au pied de Mont Fuji, figuratif et très géométrique.
Et puis, toujours, au coeur de ce jardin où il est possible de rester des heures à oublier le monde autour, le bassin aux formes libres, et aux eaux noires, fonctionne comme le véritable point de mire. Tandis qu’assis sur un banc ou un gros rocher moussu, le temps semble immobile, la nage lente des poissons choisis pour leurs couleurs incroyables, rouge, orange, nacre et or, s’offre comme un ballet savant au spectateur séduit.

Mais le jardin zen ce n’est qu’un exemple. Un reliquat de culture religieuse qui vit encore pleinement au coeur des villes, une pause contemplative, hors du temps, qui n’est pas la vie de tous les jours.

Une architecture contemporaine très traditionnelle

L’architecture contemporaine, digne héritière des temples bouddhistes de bois, noir et blanc, aux lignes remarquablement épurées après les effusions de couleurs chinoises, est toujours conçue, sur un mode minimaliste aujourd’hui très mis en avant en occident.
Mais contrairement à l’occident où cette mode est récente, au Japon, les maisons traditionnelles ont toujours été pensées avec une rigueur et une exigence d’harmonie qui semble primer, au premier abord, sur le confort de vivre.

De la même manière que la philosophie de vie zen japonaise parvient encore à occuper une place de choix, et ce, même dans la vie des Japonais urbanisés, la fusion entre le traditionnel et le contemporain en architecture est continue.

Les intérieurs japonais, tout en tatamis tressés et fragiles, sont faits pour être parcourus en chaussons d’intérieur uniquement et pour être traités avec soin tout au long de la journée. Ici, il n’est pas question d’oublier de faire son lit. Il faut le rouler dès le lever, le ranger dans les placards coulissants qui se dissimulent derrière le mur de papier, et, dès l’aube, réordonner la pièce à vivre qui va changer de fonction avec le petit déjeuner.
Tout dans ces intérieurs est fragile, et pourtant tout est impeccable.
Le foyer traditionnel avec ses braises rouges se trouve en effet au milieu des tatamis de paille. Une seule étincelle suffirait à provoquer une catastrophe !
Mais la confiance est tellement grande en « l’ordre » japonais que personne ne semble s’en formaliser. Dans le temple qui nous a servi de guesthouse à Takayama, cette configuration traditionnelle était d’ailleurs toujours en fonction, malgré le danger que représentent des invités occidentaux maladroits et inconscients !...
Les murs eux aussi, sont de papier, même s’ils sont livrés aux intempéries. Alors souvent, avec un trou en plus de la finesse déjà extrême du mur, il fait donc aussi froid dehors que dedans...

Il faut poser la question autrement !

On pourrait, à première vue, trouver ça absurde. Pourquoi dans un pays où il fait si froid, si souvent, les populations locales n’ont-elles pas trouvé le moyen d’adapter leur architecture au climat ?
Pourquoi, contrairement au Yémen apparemment plus fruste, les gens ici acceptent-ils de souffrir des intempéries, du froid et de la chaleur, sans rien changer à leurs habitudes millénaires ??
Une fois de plus, c’est la question qui n’est pas la bonne. Puisqu’ici ce n’est pas la maison qui doit s’adapter, c’est au corps d’être éduqué.

Si nous tremblons de froid dans les rues de Tokyo, sous la pluie de Takayama ou les nuages de Kyoto, les Japonais ne semblent en effet pas s’en formaliser outre mesure. Une jeune Tokyoïte rencontrée dans le temple de Takayama nous a expliqué que c’est l’éducation traditionnelle du corps depuis l’enfance qui est à l’origine de cette résistance particulière des Japonais aux éléments.
Dès l’enfance, les enfants japonais sont habitués par leurs terribles mamans à se balader en T-shirt en hiver, et ont souvent à subir l’épreuve « de la friction à la serviette mouillée » avant le départ à l’école...

A contrario, on sait aussi prendre soin de son corps avec un savoir traditionnel qui ne se perd pas. Prendre un bain de 40 minutes avant d’aller se coucher est un minimum pour tout Japonais qui se respecte. Et tant pis si on ne revient du boulot qu’à minuit. Le corps n’est pas un élément qu’il faut sacrifier pour si peu !

Sushi perfection

Mais cette perfection qui colle avec le confort du corps ne se limite pas aux bains chauds et aux onsens, elle est aussi à mon sens pleinement au coeur de l’expérience culinaire quotidienne.
La cuisine japonaise a, on le sait, pour particularité de justement n’être pas cuisinée. Si en France j’ai toujours trouvé un peu aberrant les prix prohibitifs que proposent les restaurants japonais pour un peu de riz et un petit morceau de poisson posé dessus, ici je comprends soudain bien mieux ce qui fait l’exceptionnel de cette cuisine japonaise.
C’est la perfection du goût.

N’ayant jamais vraiment goûté que « de l’insipide sushi au saumon gras d’élevage » précédemment, nos premières expériences de vrai poisson cru de qualité - au marché aux poissons de Tokyo- nous ont vraiment surpris par leur fondant.
Et le verdict s’impose comme évident : le thon c’est vraiment meilleur cru que cuit !!

Du fastfood au marché

Mais même sans se sustenter quotidiennement au marché aux poissons, j’ai cru remarquer que le moindre sushi-bar bon marché, ou le plus petit fastfood à 3 euros, semble lui aussi vivre avec ce souci de perfection permanent. Les mets sont le plus souvent équilibrés, à la fois pour le corps, l’œil et le palais.
Un bol est rarement seul, souvent accompagné de soupes, et autres sauces au parfum fort.
L’équilibre des goûts qui résulte des mélanges qu’on fait soi-même entre les différents ingrédients mis à disposition sur le plateau, est sans aucun doute bien plus élaboré que ceux qu’on nous propose en occident dans un fastfood deux fois plus cher...
La chaleur de la lamelle de viande cuite plongée dans l’oeuf cru, le sucré du gingembre confit et le salé de la sauce soja, sur le fondant d’un sushi...
(Ah ! qu’ils me manquent dans ce pays fait de hamburgers et de pizzas où nous sommes aujourd’hui !)

Sur les marchés plus encore, cette explosion des saveurs inconnues par leur qualité nous a vraiment surpris. Si, lors de nos escapades précédentes, la profusion et les couleurs étaient les deux ingrédients les plus importants de notre fascination, ici, c’est le goût qui a toujours le premier rôle !
Tout est offert à la dégustation, et il va sans dire que nous ne nous sommes pas une fois privés de ce privilège.
Les légumes assaisonnés et marinés de manière incongrue, les tas de minuscules poissons argentés et assaisonnés qu’on déguste à la pincée, les « pâtisseries » moelleuses en pâte de riz et la texture impressionnante de peau de bébé, forment une explosion de saveurs pour laquelle je manque, pour une fois, de superlatifs.
Je ne savais pas, tout simplement, qu’il était possible d’atteindre une telle perfection gastronomique !

Takeshi Kitano

En conclusion, et parce qu’il faut bien finir, j’ai envie de me souvenir d’une des premières images du Japon qu’un film hermétique de Takeshi Kitano m’avait offerte*.
À l’époque, je me suis dit qu’il fallait être bien poète pour présenter un univers aussi étrange, aussi détaché et esthétique, où les acteurs ne parlaient pas ou presque, ou le paysage était si présent ou le temps était si différent...
Un peu comme un tableau vivant.

Maintenant je comprends que ce n’est pas Takeshi Kitano le vrai poète, mais le Japon en lui-même qui est comme ça.
Portant en lui une esthétique incroyable, et pas seulement dans ces cerisiers en fleurs, le Japon, sa nature, et ses habitants sont eux-mêmes la poésie de Takeshi Kitano, dont le seul talent finalement est de parvenir à nous la révéler si bien.

* Au fait, je parle aussi bien de « Dolls » que de « A scene at the see »


(P.-S. Le Japon n’est pas parfait, je le sais bien... mais je réserve ces aspects pour une discussion autour d’un verre plus tard !)



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