Quand nous sommes partis de Cuenca, il pleuvait des cordes.
Je venais de me faire couper les cheveux chez le coiffeur le plus moderne que j’avais pu trouver afin de ne pas risquer le même désastre qu’au Japon (le coiffeur devait trouver que j’avais déjà les cheveux trop courts et n’a pas osé me les couper vraiment...), et ça m’arrangeait bien de me balader avec ma capuche sur la tête.
Malgré tout, la pluie, le brouillard, les chaussures et les chaussettes trempées, on commençait sérieusement à en avoir notre claque. Il était temps de nous enfuir vers la côte !
Les trois premières heures de voyage pour Guayaquil, la plus grosse ville de l’équateur (Quito la capitale n’arrive qu’en deuxième position), ont beaucoup ressemblé à toutes celles qu’on a faites depuis le début de notre arrivée en Équateur.
Dans un paysage de montagne ultra vert, comme recouvert d’un dessus de lit bien moulant en patchwork anglais sans arbres ni accrocs, les sommets, qu’ils soient à 2000, 3000 ou 4000 m, sont ici tous cultivés. Bien qu’au-dessus de 3500 m, mis à part la patate, y’a pas grand-chose à cultiver...
Des lacs de montagne apparaissent et disparaissent de temps en temps, au détour d’un virage ou dans un trou de la mer de nuage, dans laquelle le bus se dirige comme un sous-marin.
Les routes pour la plupart sont soit couvertes de nids de poules, ou ne sont même pas pavées. On nous dit que c’est le passage del Niño en 1998 qui est responsable de ce problème d’infrastructure... Peut-être. M’enfin, ça a aussi souvent l’air de coller avec le reste du développement des campagnes.
L’ennui en tout cas s’installe vite dans tout ce blanc qu’on traverse.
Peut-être a-t-on déjà un peu perdu l’habitude des longs voyages en bus ?
Mais soudain, vers 5 h alors que le ciel commence déjà à rougeoyer, le paysage mute en l’espace de quelques secondes, et les deux pulls que nous portons superposés sur un empilement savant de T-shirts deviennent insupportables.
De la haute montagne, nous sommes passés à une plaine verdoyante, qui étrangement, a des allures de savane verte. Les champs ici sont en effet aussi verts qu’au nord du Vietnam, mais les arbres semblent appartenir à un paysage de savane africaine.
Le bus s’arrête alors comme souvent et les habituels vendeurs de chips et autres glaces montent en criant dans l’allée centrale. Et là, c’est le choc. Les vendeurs sont noirs. Je ne rigole pas, c’est un choc.
Ça fait vraiment longtemps qu’ils ont disparu du paysage (depuis notre arrivée en Asie au fait), et ça nous fait presque plaisir de nous retrouver brusquement un peu « à la maison ».
Au fait, le paysage qui nous entoure désormais est familier à plus d’un titre.
Les champs inondés et verts pâles nous rappellent les rizières du Vietnam ; les maisons en bambou écrasé (est-ce possible par ici ??) ou en planches, mais sur pilotis, ont un étrange air de ressemblance avec leurs homologues laotiennes.
Et puis surtout, pour la première fois depuis plusieurs mois maintenant, les gens vivent à nouveau à l’extérieur. Les murs semblent tous un peu poreux, on voit facilement à travers les murs, ou les portes béantes qui donnent sur des intérieurs presque extérieurs. Sur tous les pas-de-porte, un homme est assis à regarder les voitures et les gens passer.
Et la rue à nouveau devient un lieu de vie plus prisé que le salon : on y mange, on y change les enfants, on s’y lave...
Et ça, ce n’est que le début de la mutation.
À peine arrivés à Guayaquil, une énoooorme métropole à laquelle pour tout dire nous ne nous attendions pas, le taxi nous a déposés dans un quartier aux parfums indiens et arabisants très très puissants.
Les énormes cafards couraient à nouveau sur le trottoir, les vendeurs de rues se pressaient sous la lumière des restaurants tout ouverts sur la rue. L’éclairage urbain y était quasi inexistant, et les zones d’ombre, où, comme par hasard, s’entassent tous les déchets de la rue, semblaient plus que menaçantes.
La chambre que nous avons louée ressemblait en outre comme deux gouttes d’eau à nos pires chambres du Yémen : sans lumière, avec une peinture bien glauque et sale au mur, un cafard qui craque sous le pied à l’arrivée et un ventilateur qui remue l’air sans grande passion.
Mais, ça faisait longtemps que nous n’avions plus senti nos corps coller de sueur comme ça. Et quelque part, ça nous manquait !
Le lendemain matin, la course au vaccin antirabique de rappel pour Emmanuel dans un soi-disant hôpital (en réalité un centre de consultation de plus d’une centaine de médecins... dont la plupart, à 11 h du matin n’étaient pas encore arrives au travail...), nous a confirmé que nous étions vraiment dans une de ces grandes métropoles un peu folles, typiques de pays en voie de développement. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !
Heureusement, au bout du troisième médecin, que nous sommes allés consulter (un pédiatre !), nous avons réussi à prendre rendez-vous pour le lendemain matin 7 h 30, pour la première injection. Il était midi quand nous avons enfin pu nous laisser aller à explorer cette ville que nous n’aimions déjà pas et dont on nous avait dit tant de mal.
Et pourtant, je vous le dis tout de go, Guayaquil est une ville fantastique.
Une métropole ultra busy et très cosmopolite où les découvertes sont partout à portée de main.
Il suffit de cheminer quelque temps sur la promenade le long du fleuve Guaya pour apercevoir sur la terrasse d’un café abandonné en contrebas, un iguane vert fluo qui écoute de la musique pop sur un ciment rouge sang.
Il suffit de s’aventurer dans le cimetière de la ville, la « ciudad blanca », pour découvrir un univers complètement fou. Des casiers de tombes s’entassent sur plusieurs étages jusqu’à 10 m de hauteur. Les rues qui sillonnent cette ville tachée de fleurs artificielles débouchent sur des allées pleines de palmiers bordées de tombeaux dignes d’un conte baroque. Sur la colline où vient mourir ce quartier étrange de la ville, des tombes en folie, les croix déglinguées des plus pauvres de la ville, semblent danser la samba en regardant les nuées de voitures qui irriguent les artères de cette ville, pourtant, si vivante.
Nous croisons de nombreux peintres dans ces allées. Ils passent leur temps à monter sur des échelles pour atteindre les casiers les plus élevés et réécrire d’une main experte au pinceau et à l’encre de chine, dans une écriture gothique des plus élaborées le nom des décédés dont on vient de repeindre la maison...
Ils sont habillés comme des peintres du bâtiment, mais manient le pinceau comme des artistes. C’est très étrange.
Mais ce n’est pas tout.
Il suffit ensuite de se balader un peu plus loin pour que, au détour d’un square, face à la cathédrale, nous soyons surpris dans une allée par un iguane orange gris et vert fluo, un iguane à crête et goitre, une grosse bête comme j’ai toujours rêvé d’en voir de près, là, juste à nos pieds. Il suffit de regarder un peu autour de nous et soudain ils sont des dizaines autour de nous : dans les arbres, sur le gazon, partout !!
Et quand la nuit est tombée, peu avant 7 h sur notre quartier arabo-chinois, c’est une nouvelle ville que nous avons vu s’éteindre.
Une ville où nous avons eu encore plus chaud que nous ne nous l’imaginions, une ville où nous avons sué et eu parfois un peu peur, mais une ville où nous nous sentons déjà un peu de retour à la maison, mais dans cette chaleur humide si semblable à celle de Bangkok ou d’Hanoï, et pourtant encore tellement à l’étranger...
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