Je veux vous parler d’un passage éclair dans cette capitale dont nous avions tant rêvé avant de partir et qui nous a choqués par le décalage qu’elle a entretenu entre notre rêve et sa réalité grise, coloniale, immensément américanisée et humide.
Lima est une de ces villes bipolaires dont nous, voyageurs occidentaux, n’apercevons malheureusement que la surface émergée de l’iceberg. Nous avons stupidement une fois de plus suivi les conseils de nos guides de voyages qui conseillaient de séjourner uniquement dans le quartier de Miraflores, un quartier riche qui serait plus « sape » que le centre ancien...
L’obsession de sécurité dans les guides de voyage tourne à la création de ghettos de « faux » backpackers qui s’enterrent dans les banlieues résidentielles riches des villes que nous traversons. La fadeur de l’expérience qui en découle n’est pas à la hauteur des espérances que nous plaçons dans ce voyage.
Miraflores, donc, où nous nous sommes posés quelques 2 nuits et 3 jours, est un quartier sans âme, fait de tours et de centres commerciaux, de bazars à touristes et de restaurants de luxe. Tous les touristes qui visitent le Pérou semblent transiter par ici et c’est avec stupeur que nous avons découvert leur nombre exponentiel. Le nord du Pérou, d’où nous venons, semble en effet être complètement épargné par ce tourisme de masse dont nous apercevons juste l’ampleur et qui préfigure des foules que nous allons certainement croiser à partir de dorénavant sur les routes menant au Machu Picchu.
(Pour preuve, à chaque fois que, dans un magasin de souvenir, un vendeur essaie de vendre un de ses objets particulièrement attractif ou spécial, il nous dit « ça vient du nord du Pérou »... Comme il est sûr que nous nous n’y rendrons jamais, il compte sur le coté mystique de la chose, pour nous attirer.)
Cela dit, nos objectifs relativement logistiques (faire un colis et acheter de quoi le rendre plus consistant) collaient relativement bien avec cet environnement particulièrement commercial et disneylandisé.
Le lendemain, la visite du centre ancien, fondé par Pizarro, le grand conquistador espagnol, malgré son intérêt historique significatif a elle aussi manqué de piment et de vivant. Downtown est certes animée, mais par et pour les touristes. La seule rue où il est possible de croiser ces habitants de Lima, urbains à l’extrême et parfois un peu arrogants, est une rue piétonne commerciale qui trouverait aussi bien sa place à Paris qu’à Melbourne ou à Pékin.
Nous sommes là-bas dans une « rue du monde moderne » ou l’espace commercial a remplacé la notion même d’espace public.
Comme nous explique Gonzalo, un ami d’ami, architecte péruvien, converti depuis la mort de son père au dur métier de représentant d’incubateur de poulets (ça gagne très très bien cela dit : les fauteuils en cuir de sa grosse voiture en témoignent, ainsi que les restaurants où il nous a emmenés) :
« Downtown, je n’y vais jamais, je ne sais même pas à quoi ça ressemble, c’est vraiment fait pour les touristes là-bas. Nous, Limaiens (riches), ne nous déplaçons qu’en voiture et le modèle américain gouverne notre manière de concevoir notre ville... même si elle possède contrairement aux villes américaines une histoire et un centre ancien. Comme à Los Angeles, ici Downtown ne nous concerne plus. En tant qu’architecte ayant vécu à Londres, je ne saurais que déplorer cette manière de faire... mais c’est ainsi, j’en suis bien conscient. »
Pour lui, Lima est une ville qui a du mal à se remettre de la perte de son statut de Grande et Puissante capitale, « la ville des rois », et ses habitants gardent imprimés au fond d’eux un mépris indicible pour le reste du Pérou, sous développé, et sous urbanisé.
Au point que la plupart de ceux que nous voyons dans les quartiers balisés dans lesquels nous évoluons, choisissent d’en oublier que plus de 60 pour cent de la ville, cette portion invisible que l’on ne fait que traverser en bus à l’arrivée et au départ, n’est composée que de Shandi towns, des sortes de bidonvilles en briques, autoconstruits et dépourvus de quasiment toute infrastructure. Les rues n’y sont bien évidemment ni pavées ni régulièrement nettoyées. Et si l’eau y est parfois courante, l’électricité y est quasiment inaccessible.
Bien sûr, comme en Inde ou dans la plupart des pays en voie de développement, chacun tire son câble depuis la ligne à haute tension qui survole le bidonville, et l’électricité, de fait, illumine ces rues de terre...
Il faut dire que le Pérou, comme la Chine, est parfois extrêmement surprenant tant les paysages qui se succèdent sur quelques kilomètres sont violemment contrastés.
Les voyages en autobus entre deux villes sont d’ailleurs les meilleurs instruments pour apprécier cette violence, à laquelle nous sommes presque déjà trop accoutumés.
(9 mois de voyage, ça émousse et nous sommes maintenant tellement habitués aux extrêmes qu’il nous faut presque faire un effort pour remarquer un état de fait, qui venus de France nous semblerait incroyable)
La grandeur du pays et la variété incroyable de climats, qui se succèdent du nord au sud et d’est en ouest, sont certainement un premier élément pour tenter d’expliquer cette variété de cultures régionales. De la Jungle à la Selva en passant par le désert, les manières de construire, de se vêtir et d’être tout simplement, sont forcément différentes.
Mais plus encore que ces différences à l’échelle régionale, c’est une fois de plus la scission urbaine/rurale qui fait toute la différence.
Et ici, elle est énorme.
Hier encore, en quittant Lima pour nous rendre à Ica, nous avons traversé l’énorme désert au coeur duquel la capitale de la nation péruvienne s’est implantée, il y a quelques 4 siècles de ça.
Un désert composé de dunes de sable terne au coeur duquel la Panaméricaine trace son chemin de manière rectiligne.
Parfois un bout de côte à l’ouest.
Et une plage misérable, le long de laquelle quelques habitations composées de quatre murs de brique recouverts d’un mince tressage de bambou, ponctuent très aléatoirement la bande de sable enfin plane, nous réveille de notre somnolence.
Parfois aussi, et de manière plus surprenante, alors qu’aucune ville ne précède ou ne succède à ces campements de fortunes surréalistes, de petites villes au plan carré et composées des mêmes habitations cubiques précédemment décrites surgissent au coeur du désert.
Qui habite là ?
Comment ?
De quoi ?
Aucun champ n’est visible, et le sable semble coloniser à perte de vue un horizon qui n’en finit pas de se confondre avec la brume.
Aucune usine.
Aucun centre commercial.
Une banlieue perdue sans ville à laquelle s’accrocher.
Et personne dehors. Aucune silhouette. Et pourtant, aucune de ces quelques centaines d’habitations ne semble vraiment en ruine. Les tressages de bambous, dont la durée de vie est limitée, semblent encore entiers. Et parfois du linge, la seule touche colorée de cet univers en camaïeu de bruns et de gris, flotte sur un grillage aléatoirement disposé.
Lorsque la nuit vient, ces quartiers de villes fantômes, abandonnées en plein désert, semblent pourtant s’animer faiblement. Aucune silhouette n’est visible, mais de temps à autre, une lueur filtre d’un carreau de verre placé sur un toit.
D’une véranda récupérée on ne sait où, et placée à côté d’une fenêtre sans vitre.
Je suis fascinée par ces apparitions subites que la vitesse du bus ne me permet pas de détailler.
Je suis fascinée aussi par cette manière qu’on a d’oublier que ces espaces existent, une fois que le bus s’est rangé dans son terminal au coeur de la ville et qu’un taxi nous emporte dans notre ghetto de backpacker.
Je n’ai pas aimé ce Lima que nous avons visité trop rapidement.
Cette ville où il ne pleut jamais, mais où le froid et l’humidité nous transpercent de manière continue alors que nous sommes au coeur d’un des déserts les plus arides du monde.
Je n’ai pas aimé cette parenthèse internationale, si loin et si près pourtant d’une réalité qui m’échappe et me fascine à la fois.
Mais un jour peut-être je reviendrai, avec le temps le courage me permettra de rencontrer des gens « pour de vrai ».
Un jour, je m’échapperai de ces itinéraires « safe » dans lesquels on nous étouffe et on nous ment.
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