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El Machu Picchu, maravilla del mundo 2/2
Le 10/07/07

Urbanisme au sommet

Quelle puissance faut il qu’un site possède pour arriver à renverser l’étonnante armée de préjugés défavorables que j’avais réussi à constituer contre lui ?

Une puissance fantastique, une puissance complexe et inattendue, une puissance qui dépasse celle de la seule architecture pour s’y adjoindre la supériorité sans conteste du paysage et de l’urbanisme.

Le Machu Picchu pour moi est une révélation de ce point de vue là.
Aucun des bâtiments que nous avons visité au cours de cette longue journée n’est en effet vraiment à la hauteur d’un Taj Mahal - aussi décevant qu’il puisse être.
L’ensemble par contre, la combinaison de chacun de ces éléments modulaires aux nuances infinies, est, elle, cent fois plus puissante que le plus magnifique des palais.

L’imagination, l’astuce et la l’incroyable adéquation de toutes les fonctions de la ville au site dépasse l’entendement.

Une organisation sans faille

C’est en effet une ville entière que nous découvrons depuis les terrasses au sommet desquelles le chemin d’entrée nous même. Une ville suffisamment grande pour contenir la complexité d’un centre urbain, mais assez petite malgré tout pour nous permettre de l’appréhender dans son entier en une seule journée.

Son organisation implacable sur ce site d’apparence encore si sauvage est sans faille. A toutes les échelles les Incas qui ont pensé et construit cette ville avec minutie.
Ils ont su s’appuyer sur les failles et les atouts de nid d’aigle perché en haute montagne.

Un simple exemple le prouve aisément : La faille géologique qui fragilise la totalité du site, est devenu sous leurs mains un axe de circulation central supportant sans peine les déformations que le temps imprime à la terre, et qui a en plus pour fonction de séparer géographiquement et symboliquement les zones rurales des zones urbaines.

Les terrasses sur lesquelles on cultivait les plantes les plus improbables importées de la cote et de la selva afin de les acclimater à de plus hautes altitudes et les redistribuer par la suite dans le reste de l’empire Inca, suivent parfaitement la pente de la montagne, et servent même à l’occasion de contrefort aux constructions les plus osées.

Les places centrales, tout en terrasses géométriques, offrent au coeur de cet ensemble agrippé, un sentiment d’espace presque incongru : cet espace immense qui servait aux rassemblements sportifs et civiques, et qu’on se saurait comparer qu’à la fameuse agora athénienne dont on nous rabâche les oreilles, est fantastiquement protégée par les différents « quartiers » qui s’organisent tout autour.
Relativement plat, cette agora Inca va jusqu’à nous faire oublier que nous sommes sur un site escarpé sur lequel chaque mètre carré de ville, est gagné contre la montagne.

Mais l’urbanisme ne s’arrête pas aux principes organisationnels. La question des réseaux est elle aussi traitée avec brio.
L’eau par exemple, ne manque nulle part, malgré la rudesse du site.
Le système hydraulique de redistribution est magnifiquement pensé à partir d’une seule source, qui se distribue en cascade le long de la rue principale, reliant les deux moities hautes et basses de la ville que l’agora sépare.
Chaque fontaine est un ouvrage d’art en soit, creusée au coeur de la pierre en canaux et tunnels de redistribution, tous précis, calculés, mesurés.
L’eau vient de si loin pourtant !
Combien de Km d’aqueduc sous terrain a-t-il fallu construire pour amener à force de gravité et depuis un sommet encore plus haut que la cité, ce précieux liquide au coeur de la ville ?

Mon admiration est ici décuplée, lorsque je repense à ces pauvres femmes yéménites qui parcouraient des dizaines et des dizaines de Km par jour au cœur du Djebel Bura, ces énormes jerricans sur le dos, afin d’amener de l’eau jusqu’à leurs villages eux aussi perchés au sommet de leurs montagnes arides...

Le diable est dans les détails

Nombre de bâtiments sont construits sur d’immenses rochers dont les concavités ont donné forme à des sous sols sculptés de la manière la plus impressionnante.

La rectitude des lignes, l’orthogonalité des plans, la rigueur de qui préside à l’organisation de chacun des sous ensemble, et surtout l’absence de fioriture architecturale donne à l’ensemble un aspect ultra contemporain, et intemporel à la fois.

Les Incas étaient constructeurs et artistes nous répète t on sans cesse.
Mais qu’on est loin de l’expression artistique boursouflée et baroque dont les œuvres coloniales ont tartinées les villes du Pérou !

Ici la sculpture est minimaliste : elle s’infiltre dans chacune des œuvres des tailleurs de pierre. Ces derniers semblent en effet s’être efforcés de transcender toutes les possibilités que leurs outils leur ont offert, afin de donner à la pierre une consistance plastique par endroit.
Des surfaces gauches identiques entre deux blocs cyclopéens ne manquent pas d’interroger celui qui comme moi a déjà tenu un ciseau et un massette, encore l’ingénieur mathématicien qui ne peux concevoir l’équation mathématique qui préside à de telles formes.

Le plus impressionnant je crois sur le plan architectural, reste ces énormes blocs de pierres taillés dans la masse avec la plus grande humilité afin de constituer des autels parfait ou des marches presque égales.
L’absence de joint entre le sol et le mur reste en effet à mon sens l’expression parfaite de l’ascendant que prend l’homme sur la nature en parvenant à faire émerger d’une nature chaotique un volume parfait.

Parce que c’est bien sur une carrière que les Incas se sont mis à construire. Une énorme carrière de pierres dont on aperçoit encore un petit vestige, et de laquelle ils ont extrait cet ordonnancement parfait au sommet de la montagne.

Culture contre nature

Il serait honteux de s’extasier ainsi sur ce site archéologique (que c’est étrange de parler de site archéologique devant un ensemble datant de la fin de notre moyen âge !) en en relevant ses qualités architecturales et urbaines, mais sans mentionner la perfection avec laquelle il s’insère dans le paysage.

Tout autour du pic sur lequel le Machu Picchu s’installe, des montagnes aux noms et aux significations particulières s’élèvent. Mises à distances par le précipice que creuse la rivière entre elles et le site qu’elles entourent, elles paraissent à la fois incroyablement proches et terriblement incessibles.

Chacune d’elle a pourtant son histoire et son rôle à jouer au coeur du complexe d’observation astronomique qui préside à la fonction universitaire du Machu Picchu.
Grâce à elles, et aux points de repères qu’elles offrent, il a apparemment été possible de déterminer à l’aide d’instruments très simples en apparence - de simples assemblages de pierres, ou encore des architectures courbes aux tracés scientifiquement calculés - un calendrier agricole extrêmement précis.

Ici contrairement aux observatoires indiens du Rajasthan en Inde, il n’est en effet pas question de calculer l’heure à la seconde près. Si le ciel tient une importance particulière dans la vie des Incas c’est essentiellement par rapport aux indications qu’il offre quant aux récoltes futures.

Point d’horoscope, ou de lecture des lignes de la main. Ici on est fils de la terre mère (Pachamama) et on garde les pieds sur terre !

Villes oubliées du monde entier...

Je pense que je pourrais encore écrire longtemps sur ce site fascinant qu’on a eu la chance, grâce à la grève de ne pas voir inondé de ponchos jaunes fluos.

La manière dont il a été découvert dans la jungle par un explorateur américain est fascinante, les routes qui y menaient sont presque incroyables - étranges fils vert accrochés à la falaise - et la complexité architecturale de chacun des sous ensemble mériterait bien un paragraphe chacun.

Mais je décide aujourd’hui de ne retenir qu’une derrière chose de cette expérience unique :
La supériorité incontestable de l’urbanisme sur l’architecture, que cette œuvre de pierre m’a fait comprendre.

Je repense en effet avec regret et émotion au site d’Angkor au Cambodge (*) ou nous avons visité énormes temples sur énormes temples, tous enfouis au coeur d’une jungle qui a repris ses droits.

Anciens cœurs de villes oubliés, seuls au centre d’une énorme enceinte de pierre, ils ne nous ont livré qu’un fragment de ce qu’était la vie quotidienne des villes qui les entouraient, du temps de leur splendeur.
Toutes les sculptures qui ornent leurs murs ne sont en effet pas suffisantes pour palier à l’absence des rues et des quartiers entiers qui ont péris, pourris par l’humidité ambiante que des décennies de moussons ont infligés à leur structure de bois.

Je repense à ces villes perdues, et je comprends ici ce qui m’a manqué là bas : la ville comme témoin d’une histoire que le génie artistique et religieux de quelques sculpteurs ne parviendra jamais à transmettre complètement.


(*l’apogée des civilisations d’Angkor correspond peu ou prou à celle des Incas)



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