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Un petit tour et puis s’en vont
Le 16/07/07

Les centenaires au pas de charge

Une journée de bus, au rythme lent des barrages que les manifestants paysans des provinces de l’est du Pérou ont posés sur la route, nous a vus arriver éreintés dans la petite ville de Puno.

Les yeux rougis par tant de paysages immenses et brûlés par le soleil intense de ces contrées aussi arides que haut perchées, nous avons suivi une petite dame dont la tresse nous a plu, jusqu’à l’hôtel dans lequel elle se proposait de nous offrir une petite chambre en forme de bonbonnière, à prix modique.

Pour la première fois depuis longtemps, et contrairement à ce rejet touristique qui nous a révulsés au Machu Picchu, je me suis sentie incapable d’organiser la suite du parcours toute seule, dans l’espace-temps que nous nous étions imparti. On se laisse parfois dépasser par bien peu de chose...

La petite dame à la tresse a donc continué à nous faire du charme, et nous avons fini par succomber. Inscrits pour un départ à l’aube le lendemain matin sur le lac Titikaka, dans le cadre d’un « tour » de deux jours, nous sommes sortis, l’esprit libre, visiter cette petite ville « dynamique » dont le guide ne nous promettait pas grand-chose.

Et pourtant.
Les manifestants nous avaient suivis jusqu’ici, et la plaza des Armas résonnait de leurs cris furieux. Une très longue rangée de policiers en armes se tenait contre un des murs de la place, un énorme char de combat rangé face à eux.

Après le défilé de manifestants de la journée, au cours duquel j’ai vu des femmes si ridées qu’on les aurait prises pour des centenaires chez nous, marcher au pas de course derrière des femmes enceintes, des ouvriers basanés et d’autres petits enfants, cette manifestation urbaine hurlante, et la présence des armes dans la rue, m’a fait comprendre l’importance des revendications syndicales qui ébranlaient la population péruvienne.

Loin de nos manifestations étudiantes, où seuls ceux qui le peuvent font réellement grève pour protester, ici j’ai eu le sentiment vivant de voir tout un peuple s’unir et de soulever, pour « vivre mieux ».

Bien évidemment, leurs conditions de vie ne sont pour la plupart en aucun cas comparables aux nôtres, et leur mouvement de révolte est certainement plus proche de ceux qui ont secoué notre pays dans les années 30, mais un tel engouement populaire m’a tout de même touchée, comme l’expression d’un sentiment d’unité nationale que je n’ai jamais senti aussi fortement en France.

Backpacker d’un jour, touristes toujours...

Mais le lendemain toutes ces considérations métaphysiques étaient déjà loin, emportés que nous étions au cœur de la foule des 20 touristes qui allaient nous accompagner au cours notre escapade organisée.
Contrairement à ce que nous pensions, ce n’est pas au milieu d’un groupe de retraités que nous allions passer les deux jours suivants, mais bel et bien au cœur d’une « bande de jeunes » de plusieurs pays, que j’aurai habituellement pu classer dans la catégorie des backpackers s’ils n’avaient pas été dans le même bateau que nous.
Que cette appellation « flatteuse » de routard ou de backpacker recouvre une réalité bien complexe !
Backpacker d’un jour, nous crachons sur le moindre groupe de touristes à notre portée, alors que, le lendemain, nous nous fondons comme des moutons au milieu d’eux, et sans le moindre sentiment de contradiction !

Uros de roseau

Les îles artificielles sur lesquelles s’est tout d’abord arrêté notre petit bateau, étaient certes touristiques, mais avaient le charme incontestable de ces curiosités que l’on découvre pour la première fois.

Conçues comme d’immenses barques flottantes, ces îles, construites essentiellement à partir des bancs de joncs qui recouvrent la baie du lac Titikaka, ont un sol spongieux qu’il est très étonnant de fouler. Ce sont les couches successives et alternées de ces roseaux encore frais qui donnent cette élasticité si particulière à ce sol... qu’il est même possible de manger ! (voir photos)

Malgré ces quelques éléments de surprise, ainsi que la chouette expression architecturale des bateaux et des maisons que nous avons découverts par la même occasion, il est bien triste de se rendre compte que la plupart des familles qui habitent sur ces îles ne vivent plus que du tourisme. Leur artisanat y est conçu sur mesure pour les hordes d’étrangers qui comme nous viennent passer quelques dizaines de minutes sur leur sol artificiel avant de s’enfuir vers d’autres cieux, l’appareil photo gonflé de portraits volés.

Le pire, cette fois, après nous être rendus compte que la plupart d’entre eux vivaient dans des cabanes de tôle semblables à celle de tous les bidonvilles d’Amérique latine (mais cachées derrière un rideau de roseau et derrière la première rangée de maisons de bambou), était de nous confronter avec ces petites gamines de 8 à 12 ans qui, au lieu d’aller à l’école, nous tenaient consciencieusement la jambe.
Elles avaient apparemment pour mission de nous vendre « leurs dessins », en réalité de vulgaires coloriages, faits à partir de dessins aux traits tous similaires et réalisés vraisemblablement par une main adulte.
La manière, avec laquelle elles nous regardaient en nous disant « aqui, hay mi papa et mi mama cocinando » en décrivant un dessin de mauvaise qualité qu’elle espérait nous échanger contre quelques sols, m’a navrée...

Amantani, chez les bons sauvages

Après nous être enfuis de ces îles dont la visite m’avait pourtant réjouie (étrange état que celui de touriste je vous assure !), et après avoir subi quelques 3 h de bateau supplémentaires (dont une embardée dans les roseaux !), nous avons finalement atterri sur l’île, naturelle cette fois-ci, d’Amantani.

Sur cette dernière, encore aucun hôtel, ni aucun restaurant.

Les familles paysannes de l’île en ont décidé autrement. Le seul hébergement possible est donc celui de la formule « bed and breakfast », à la péruvienne, c’est-à-dire sans eau, ni électricité.

Un petit groupe de femme de tout âge en jupes traditionnelles et mantille noire, nous attendait donc sur l’embarcadère de fortune sur lequel le bateau nous a déposés.

C’est au cœur d’un paysage vierge de toute intervention occidentale que notre mère de famille ridée et toute timide nous a donc conduits jusqu’à sa « casa ».
Sa fille, qui parlait un peu mieux l’espagnol qu’elle, nous a souhaité la bienvenue dans cette maison de torchis, enroulée autour d’une petite cour intérieure, au cœur de laquelle un tapis de blé séchait sous un soleil de plomb.

Je ne l’ai peut-être pas encore mentionné, mais l’altitude et les dimensions du lac Titikaka sont réellement impressionnantes, et influent étrangement sur le climat de ces îles.
À 3800 mètres d’altitude, le fond de l’air est en effet très frais, même à midi, et les nuits y sont glaciales.
Et pourtant, si haut, et disséminées au milieu du plus grand lac d’altitude du monde, c’est une architecture et une végétation méditerranéenne qui poussent sur les flancs arides de ces îles, perdues sur cette étendue turquoise qui se confond avec le ciel.

La combinaison est si étrange que nous avons mis du temps à nous y faire : entendre ses poumons siffler comme en haute montagne sur un petit sentier traversant un paysage de garrigue italienne, en suivant une petite ombre en sandales peut se révéler tout à fait incongru.

Pour ne pas brader son intimité...

La formule d’accueil dans la famille ne l’était pas moins.

Alors que nous avions envie de lier connaissance et de comprendre ce qui poussait ces agriculteurs du coin à brader leur intimité pour si peu d’argent, ils ne nous ont pas réellement offert l’occasion de partager leur vie quotidienne.
Si la nourriture était très locale et préparée dans une cuisine des plus rudimentaires que nous ayons vue jusque-là (le foyer à même le sol y servait de repère central), c’est seuls que nous devions la consommer, tandis que tous les membres de la famille (6 ou 8 personnes en tout) s’accroupissaient dans cet antre sombre.
Que nous nous sommes sentis loin des invitations spontanées yéménites, indiennes ou laotiennes !

Cela dit, le folklore et la véritable authenticité que cette famille a apportés à ce « tour » étaient non négligeables.
Et je crois même que je leur suis reconnaissante d’avoir accepté cette formule d’accueil chez l’habitant sans avoir pour autant bradé leur intimité à moindre coût.

Les quelques discussions que nous avons eues avec le père en revenant de la place centrale de l’île dans la nuit noire, après une après-midi de grimpette et de soleil couchant, ont été extrêmement enrichissantes.

Le matelas est de sortie

La sortie suivante, toujours dans l’obscurité la plus totale, avec le ciel étoilé pour seul guide, nous a plongés au cœur d’une réalité parfois dure à supporter.
Compte tenu du fait que nous habitions très loin de la place centrale (à près d’une demi-heure de marche rapide), notre père de famille nous a demandé, l’air hésitant, si nous désirions nous rendre à la « soirée traditionnelle » organisée au cœur du village après le dîner.
Le froid était mordant et nous étions fatigués. Mais nous avons tout de même dit oui.

À partir de ce moment-là, le plus étrange ballet qu’il m’ait été donné d’observer s’est mis en branle. De l’unique pièce de rez-de-chaussée dans laquelle la moitié de la famille dormait, les garçons de la famille se sont mis à extraire un lit en pièces détachées.
Matelas de jonc tressé, bois de lit travaillé et sommier lourd se sont entassés dans la cour intérieure, tandis que toute la literie se sortait, elle aussi, petit à petit, des coffres.

La petite mère, frêle et âgée, s’est brusquement attachée sur le dos, le très lourd matelas de jonc à l’aide d’un simple tissu (qui a d’ailleurs craqué au cours du chemin), et nous a enjoints de la suivre.

Elle avançait vêtue de ses chaussons glissants dans le noir, sur ces sentes caillouteuses et glissantes qui dans l’après-midi même nous avaient déjà joué des tours. Elle ne portait pas de lampe de poche, puisque, comme nous allions le découvrir plus tard, la seule que la famille possédait était déjà utilisée par les 5 hommes qui nous suivaient avec le reste du lit démonté.

À trois, avec l’unique mini lampe de poche que nous avions acheté en Chine, j’ai plusieurs fois cru qu’elle allait déraper et dévaler les terrasses en contrebas jusqu’à l’eau glacée du lac...
Mais non. Comme un chat agile qui retombe toujours sur ces pattes, elle nous a guidés à travers la pampa sans accepter aucune aide.

Au bout d’une vingtaine de minutes de ce cauchemar nocturne et glaciale, elle s’est tout de même arrêtée devant une maison de terre qui nous semblait inhabitée.
Elle a déposé devant la porte fermée son matelas de joncs, et un ballet inverse s’est alors déroulé, chacun déposant son offrande de bois dans ce bout de champs apparemment abandonné.

Puis, sans nous donner plus d’explications, elle a poursuivi sa route et nous a conduits sur la place centrale du village où se donnait, dans une petite pièce voisine, la fête pour les touristes.

En fait de fiesta, il s’agissait surtout d’un regroupement de la plupart de nos compagnons de route, tous déguisés en paysans du coin, et dansants au son des tambourins et autres flûtes de pan qu’un groupe de jeunes enfants maniaient avec virtuosité.
Nous ne sommes pas restés longtemps, mais il faut vous dire tout de même que la musique ce soir-là fût vraiment intéressante.
De celles qu’on cherche à entendre plus souvent...

Au retour, dans la nuit glacée nous sommes repassés devant la maison abandonnée de tout à l’heure : le lit démonté n’y était plus, mais les fenêtres étaient toujours aussi noires...

Encore un mystère paysan que ces apparitions et ces disparitions qui se font à la faveur de la nuit.

Des souvenirs agréables... mais à quel prix ?

Le lendemain, nous avons eu droit au même type de visite que la veille, mais, sur une autre île, le coucher de soleil incroyable en moins et le marché touristique en plus.

La lumière était toujours aussi incroyable, et les conversations allaient bon train avec nos petites Françaises rencontrées pour la seconde fois depuis notre long long voyage en train depuis le Machu Picchu.
Je n’ai ni la place ni l’envie ici de décrire en détail cette journée plus touristique, et je préfère donc vous confier les souvenirs qui me restent de cette journée très ensoleillée :
Entre le souvenir des explications loufoques de notre guide qui se donnait un mal fou pour nous intéresser aux coutumes vestimentaires de l’île de Taquille sur laquelle nous venions de débarquer.
et celui de la silhouette inimitable des femmes et des enfants de cette île, que l’activité touristique empêche de s’habiller aux normes mondiales occidentales.
je me souviens surtout de la douce torpeur dans laquelle le retour en bateau m’a plongée.

Enfin !
Demain, nous partons en Bolivie, des images plein la tête et l’envie de continuer de voyager presque intacte...



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