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Les mines et l’architecte
Le 22/07/07

Bonnes résolutions

Pour notre deuxième jour à Potosi, cette ville minière qui fut autrefois la plus riche et la plus peuplée du monde devant Londres et Paris, nous avons décidé que simplement profiter des rues et des rencontres de petites dames vendeuses de châles, comme hier, n’était pas suffisant :

Aujourd’hui, nous allions nous lever tôt et visiter ce qu’il y a à visiter !

Malgré le fait que l’eau de la douche ait gelé pendant la nuit (et ce, malgré la présence d’un ballon d’eau chaude !), nous avons réussi à nous extraire de nos duvets bien chauds avant que la température ne remonte significativement (c’est-à-dire avant midi !), et nous sommes donc partis à la découverte des trésors architecturaux et culturels que cette ville recèle.

Surdose de culture coloniale

Les flaques d’eau glacée brillaient de cet éclat particulier qu’ont toutes les villes d’altitude.
Ici, la lumière est vraiment extraordinaire.
Et les contrastes si élevés qu’il est souvent difficile, voire impossible, de prendre des photos sur lesquelles distinguer quelque chose.
C’est le type de climat dont on rêve tous,
... tant qu’il y a un peu de soleil pour nous réchauffer.

Les visites successives d’un mirador baroque métis (aussi vomitif que le baroque normal) et d’un couvent dont les 40 salles étaient couvertes de peintures coloniales de borderies à n’en plus finir, remplies à craquer d’autels dorés à la feuille d’or ramassés dans toutes les églises disparues du coin, ont fini de me frigorifier.
Nous en étions à nous dire qu’il est finalement bien plus intéressant de flâner dans les rues et de nouer de brefs contacts avec des indigènes urbains-nomades, pour qui la journée n’a pas vraiment plus de structure que pour nous, que de visiter ces édifices coloniaux à l’esthétique pas toujours raffinée, lorsque nous nous sommes fait rattraper par la visite des mines...

Les mines et l’architecte

Cette visite, apparemment incontournable pour le touriste de base, est pourtant une de celle qui ne peut que marquer les esprits les plus blasés.
Il faut dire qu’en Bolivie, contrairement à l’Europe, même si une visite est ouverte « à tout public », et que personne n’est à priori rejeté d’aucune activité, il est nécessaire de savoir qu’une bonne condition physique est un préalable indispensable à toute aventure bolivienne, même la plus touristique qui soit...

Nous sommes donc partis pour cette mini-aventure en minibus, en compagnie d’un guide local débonnaire et d’un couple mère-adolescent de La Paz. Il s’est trouvé pour mon plus grand bonheur que cette femme était architecte d’état, et il s’en est fallu de peu pour que je ne l’assomme sous les questions avant que nous n’entrions dans la mine proprement dite.
Je vous livre donc ici quelques-uns de ses secrets : un architecte gagne environ 1000 dollars par mois par ici, ce qui est correspond, si on le compare au niveau de vie bolivien, à un salaire d’au moins 7000 euros nets à Paris ( !)
Question boulot, elle m’a avoué qu’ici comme ailleurs, les logements sociaux (120 dollars le m² !), sont également une des priorités numéro un de l’état. Si chez nous l’explosion de la demande de logement est en partie due à la diminution de la taille des foyers, ici c’est bien pour répondre à une démographie galopante que l’état tente de contrôler l’expansion infernale de la capitale. La Paz serait en effet une des villes du monde à croître le plus vite !

Et bien sûr comme tous les architectes du monde elle a tout fait pour éviter que son fils ne suive la même voie qu’elle : il est ingénieur en mécanique et elle espère que, lui au moins aura l’opportunité certaine d’appartenir à l’élite de ce pays ou les différences de niveau de vie sont si extraordinaires (même avec son salaire mirobolant comparé à celui de la moyenne nationale, elle ne fait pas partie de l’élite...)

Pénétrer dans l’antre

Ce préliminaire à l’entrée dans l’univers de la mine, quand j’y repense, était un peu comique. Ici, les gens n’appartenaient définitivement pas au même univers que ma nouvelle collègue bolivienne qui se plaignait de ses 1000 euros par mois...
Les premiers mineurs que nous avons aperçus, en train de décharger des brouettes de minerais à l’extérieur, avaient en effet à peine 12 ans...
Ils nous ont hélés afin que nous leur donnions avant de pénétrer dans l’étroit boyau, quelques poignées de ces feuilles de coca que nous avions achetées précisément à cet effet avant de monter.
C’est qu’ici il n’y a évidemment pas de sécurité sociale, pas de RMI, ni d’assurance chômage. Tout ça, on le sait avant de venir, mais le fait de voir les enfants travailler à la mine et non plus seulement à vendre des bonbons sur les places de village, afin d’aider leur famille, fait quand même un choc.

Le souffle parfois court, le visage caressé par des courants d’air un peu chaud, nous avons donc pénétré dans cet antre centenaire.

Tout au long de notre pénétration au cœur du boyau principal de cette petite mine, une des 400 qui percent la montagne du Potosi, nous avons ensuite croisé de jeunes adolescents au corps mince et nerveux, à côté desquels le corps grassouillet de notre ingénieur en mécanique (sûrement du même âge) faisait pâle figure.

Tandis que notre guide toujours aussi nonchalant et mâchant ses feuilles de coca comme un mineur nous lançait de ci et de là quelques explications sur les conditions de vie des mineurs et le travail en coopérative qui a succédé à l’exploitation étatique, nous tentions tant bien que mal de le suivre dans ces galeries informes, souvent trop petites pour nous et humides de surcroît.

Nous étions heureusement équipés d’un surpantalon, d’une veste et d’une lampe de mineur... un déguisement au premier abord dont nous n’avions pas mesuré toute l’utilité.

Ce n’est qu’après quelques escalades sur la terre glaise détrempée et la peur de tomber au fond de trous profonds de 40m qui bordaient le chemin étroit de ces corridors humides et sombres, que nous l’avons pleinement apprécié.
Comment en effet éviter de se coller à toute vitesse le long de ces parois gauches lorsqu’une brouette déboule sans prévenir ?
Comment ne pas se traîner à genoux sur des pentes imprécises pour se glisser dans les boyaux supérieurs pour y rejoindre des mineurs solitaires ?
Comment éviter de trébucher et de tomber dans les multiples trous qui ponctuent ces boyaux noirs comme de la suie ?

On s’enfonce

Les mineurs que nous avons croisés au cours de la visite ont pris de l’âge au fur et à mesure que nous nous sommes enfoncés dans la mine.
Il semblerait que les enfants restent tout de même au-dehors tandis que les adolescents se chargent de faire la navette entre les points d’excavation et les enfants. Au plus profond se trouvent les mineurs plus âgés, « confirmés » en quelque sorte, ceux qui avec une simple pioche, un marteau et un burin - ou pire encore un marteau piqueur - suivent la veine et s’y accrochent comme si leur vie en dépendait.
Le plus souvent, ils ne sont pas sur le chemin principal, et il faut dégringoler les pentes humides d’une glaise qui s’enfuie sous nos pas pour accéder à leur antre temporaire.
Après l’effort que l’on fait pour y parvenir, gauches et dodus que nous sommes, seul le sifflement de nos respirations irrégulières meuble le silence qui soudain se crée autour de l’homme qui s’arrête de travailler pour nous observer.

Lorsque le guide se résout enfin à rompre le silence, la bouche pleine de coca, ses explications sur le travail de cet homme qui nous regarde avec un air plus blasé que curieux, sont succinctes.
Il se borne à nous parler brièvement de leur salaire, leur emploi du temps, un peu leur histoire aussi. Mais des enjeux économiques véritables, des techniques d’extraction, nous ne saurons rien...
Nous réussissons tout de même à comprendre qu’ici ce n’est plus après l’argent qu’on court. Potosi n’est plus et de loin la ville la plus riche du monde : après cette période bénie qui a fait de l’Europe des conquistadors le continent le plus riche et pour longtemps, c’est aux filons d’étain qu’on s’est attaqué. Mais aujourd’hui, si le gouvernement a lâché prise, c’est surtout parce qu’il ne reste plus qu’un alliage coûteux de zinc et d’argent à extraire...
Et pour combien de temps encore ?...

L’homme que l’on trouve terré au fond de son boyau toujours un peu maigre, nous propose parfois un peu ironiquement de « l’aider »...
L’air toujours relativement ridicule nous prenons alors (enfin Manu pour être plus juste) les instruments avec lesquels chaque jour il arrache sa pitance à la montagne et tapons faiblement quelques coups pour la photo...
Nous payons enfin, sa patience avec quelques poignées de feuilles de coca.
Souvent, il en réclame plus : on dit que c’est sa force, son énergie, sa raison de vivre presque...
Et nous n’avons pas de mal à le croire : l’ascension du Huayna Potosi nous a à nous aussi enseigné la valeur de cette plante en or, et nous ne rechignons jamais à remplir sa « bolsita »...

Histoires de mineurs

De temps à autre, le bruit sourd et lointain des explosions résonne. Nous n’en verrons aucune « face à face », mais leur bruit de percussion sourd nous laisse imaginer la scène, la poussière et la violence de l’attaque.

La visite est à la foi longue et courte.
Longue parce que nous sommes perdus dans les entrailles de cette motte de minéraux qu’on appelle montagne, et que sans la voix empâtée de notre guide qui résonne parfois à l’avant de notre colonne, nous serions presque effrayés.
Courte aussi, parce que dans l’absolu nous ne passons qu’un peu moins de deux heures avec ces hommes dont, pour rien au monde, je ne voudrais partager le destin.
Il est dit dans notre guide, mauvais au demeurant, mais friand d’anecdotes de ce type, qu’il y a 10 ans un mineur de Potosi ayant atteint la retraite, sa photo a été publiée dans tous les journaux !
C’était le premier qui l’atteignait depuis la création des coopératives privées...

Cela dit il faut relativiser. S’ils ne gagnent 200 bolivianos par jour c’est-à-dire environ 4500 B ou 450 euros par mois, ils sont en moyenne financièrement mieux lotis que d’autres de leurs concitoyens qui doivent se contenter d’une fraction de cette somme.
À La Paz j’ai souvent observé des offres d’emploi pour serveuse ou vendeuses placardées sur les murs, pour une offre de salaire de moins de 2000 bolivianos par mois... (c’est à dire 200 euros) à temps plein s’entend, c’est à dire souvent après 8 h du soir...

Avant de partir, nous avons bien évidemment rendu hommage au diable de la mine, une espèce d’hurluberlu en glaise, parfois pourvu de cornes de bouc, et en tous les cas recouvert des pieds à la tête de serpentins multicolores, et de feuilles de coca jetées sur lui en forme d’offrandes, que l’on trouve à tous les étages.
De cet amas informe, le sexe dressé et protubérant de cet être mi-homme mi-démon, censé signifier la fertilité de la montagne émerge sans qu’on puisse le louper.
Après nous avoir expliqué qu’ici, il n’y a plus d’autres dieux que lui, que si les hommes sont tous catholiques « au dehors », ici on est sans aucun doute tous païens, le guide avec son attitude débonnaire habituelle a donc planté une cigarette allumée dans le bec de cette divinité encore vénérée, en signe de « dévotion »...

Back « home »

Nous sommes finalement sortis de ce trou à rat, et nous avons retrouvé le soleil déclinant de cette fin d’après-midi.
Il était 4 h et les plus jeunes redescendaient déjà le long de la route en lacet qui se dirige avec lenteur vers les quartiers de mineurs - ensemble de baraquements à l’allure presque militaires, et rejoint ensuite les faubourgs de la ville.
Les « vieux », ceux qui creusaient sans relâche, allaient encore rester un peu plus longtemps à l’intérieur, histoire de lancer les dernières explosions avant la tombée de la nuit...
Vers 6 h ils sortiraient eux aussi, rejoindre leurs femmes et leurs enfants, à la tienda de la famille, autour d’un jeu ou d’une séance interminable de feuilles de coca.

La redescente vers la ville s’est effectuée en silence. L’agitation du discours architectural qui avait la visite précédée avait disparu.
Que dire après s’être plaint du sort des architectes et avoir ensemble partagé quelques instants le sort des mineurs ? !

C’est tout de même avec chaleur, sur une paire de bises bien claquées que nous nous sommes séparés près de la place centrale de Potosi, où les gens filaient déjà à vive allure de magasins en maisons chauffées, dans l’atmosphère glaciale de la ville, loin du souffle chaud de la mine...



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