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Minsk trip (3/3) : le troisième jour, suite et fin
Le 20/03/07

Redescendre sur terre

La descente dangereuse à cause de l’étroitesse de la route est pourtant plus relaxante. Les enfants surgissent à nouveau des maisons de bois en hurlant des « hello » de bienvenue, tandis que les nuages que le soleil arrive presque à percer remplacent peu à peu le brouillard blanc.

Nous nous arrêtons relativement tôt, dans la première bourgade de la vallée afin de déjeuner d’un énorme plat de tofu, d’une montagne de riz et d’une mare de soupe de choux au gingembre. Il est 11 h du matin et nous attirons tous les regards. Nous et nos motos surtout, il faut bien l’avouer, autour desquelles les hommes se sont attroupés dès qu’on les a attachées avec notre petit cadenas fantoche. Couvertes de boue rouge, elles font bien dix ans de plus que leur quart de siècle respectif et la curiosité des habitants est à peine retenue.

Nous repartons, la dernière bouchée à peine avalée (la dernière bouffée à peine tirée pour Manu...) direction Tad Giao. Nous avons repris courage et nous avons la ferme intention de couvrir les 200 km qui nous restent en 6 h, avant que le soleil ne se couche.

Hélas, les 90 km qui nous séparent de Muong Lang seront fatals à notre emploi du temps rêvé. Nous mettrons 5 h à les parcourir, alors même que les pauses que nous nous accorderons, histoire de contempler de plus près les paysages de carte postale au coeur desquels nous roulons, ne seront jamais très longues.

Mais, heureusement, l’ambiance, cette fois-ci, est complètement différente.

Au coeur des collines jaunes

La route est très étroite, pleine de cahots, de cailloux et d’accidents, de flaques de sable et de rivières à traverser à gué... (Heureusement, leur niveau d’eau à cette époque de l’année est relativement bas). Mais les hameaux qui ponctuent le parcours sont nombreux et le dépaysement à la hauteur de nos efforts. On nous hèle en coeur du haut d’un champ très en pente où l’on moissonne en famille, on nous sourit beaucoup à chaque pas de porte, on rit un peu de nous quand on slalome avec difficulté entre les poules et les buffles qu’on ne manque pas de croiser tous les 500 m.
Les petits papis du coin nous doublent à chaque virage avec leur vielle Honda toute rouillée. Ils connaissent chacune des bosses de ces routes toutes en lacets serrés et pourraient presque conduire les yeux fermés.
Souvent, une jeune femme tout en costume (guêtres, jupe et chemisier brodés, plus la coiffe et les bijoux) nous fait un petit signe de la main de l’arrière de la mobylette sur laquelle son « ami » la conduit au marché, ou la ramène à la maison.

Au détour d’un chemin, alors qu’on s’était arrêté admirer le paysage sensationnel, une rencontre étrange et silencieuse nous fait prendre conscience de notre étrangeté dans ce paysage presque intouché. Toute une famille, en remontant du champ en contrebas s’est arrêtée sur le bord de la route afin de nous observer.

Rencontre décalée

Mais les sourires ne sont pas au rendez-vous cette fois-ci. Un peu comme les enfants stoppent brusquement de nous crier des « hello » quand on s’arrête, on sentait la peur presque palpable entre ce groupe de petites gens et nous. En souriant, nous avons essayé de leur expliquer que nous ne faisions que passer que nous allions vers Muong Lang ... Mais ils n’ont rien répondu. Pas même un hochement de tête ou d’épaule en signe d’incompréhension. Les hommes se sont approchés de nos Minsks aux sièges de sky un peu défraîchis et les ont palpées, avec un regard de doute.
Nous avons remis nos casques en 4ème vitesse et avec un grand sourire leur avons dit « au revoir »...
Si près d’une dizaine de backpackers (porteurs de sac à dos) doivent passer par ici par semaine, nous venons de nous rendre compte que nous ne sommes, la plupart du temps, que des ombres de passage, un peu comme doivent être perçus les motards du Paris Dakar dans le désert. Et, il est rare que de véritables contacts aient le temps de s’établir. La probabilité que d’autres motards se soient arrêtés au même endroit que nous, au moment même où cette famille remontait sur le chemin, est en effet très faible.

Nous avons donc peut-être été les premiers qu’ils voyaient de près ! et à voir leurs têtes méfiantes et ahuries, la surprise n’était pas des plus agréables...

Le vert et noir de ce matin tôt a fait place à des couleurs plus chaudes. Le jaune s’impose comme la couleur dominante de cet après-midi : jaune pâle de l’herbe desséchée, jaune d’or du sable qui mange le bitume de la route, jaune sombre des collines brûlées face à nous...

Il n’y a pas de fumée sans feu

Jusqu’à l’air qui est lui-même un peu jaune. On ne peut pas dire qu’il soit transparent, ça non. Ici, il y a comme un filtre permanent qui unifie tout ce qui nous entoure dans un tableau un peu « turner-esque »*.
Mais cette fois, il ne s’agit pas de nuage : il s’agit de fumée, de dioxyde de carbone qui s’échappe par tonnes des feux que les villageois font en masse à cette période de l’année. La culture sur brûlis qu’ils affectionnent de manière traditionnelle est en effet très consommatrice de forêts et l’usage permanent qu’ils font du charbon, pour le chauffage, la cuisine et le moindre de leurs usages ne font qu’aggraver la situation.
Il arrive même parfois dit-on, que les avions des aéroports des villes voisines ne puissent pas décoller en cette fin de mois de février tellement la visibilité est mauvaise !

Petit à petit, alors même qu’il décline, le soleil nous réchauffe et colore de rose la mer de sable dans laquelle nous naviguons.
Les cols se succèdent. Et Muang Long apparaît enfin au fond de la vallée.

Le repos du guerrier

Ce soir, nous mangerons dans le salon-salle à manger-cuisine d’une petite dame qui fait un peu de cuisine pour arrondir ces fins de mois semble-t-il. Il n’y a en effet que deux tables dans la petite pièce qui s’ouvre entièrement sur la rue, et nous sommes seuls. D’un côté de la pièce, trône une télévision sur l’écran de laquelle le candidat malheureux du « Qui veut gagner des millions » vietnamien, visiblement sponsorisé par OMO, perd tous ces moyens. De l’autre côté, une petite cuisine, composée d’un garde-manger en bois, d’un âtre noir au fond duquel quelques potailles pendent au mur, et d’une poêle en action, nous fait saliver.

De retour dans notre chambre immense, aux lits à baldaquin, je recouds mon pantalon, tandis qu’Emmanuel se bat dans la salle de bain avec les taches de pétrole qui ont fait de son pantalon, une serpillière.

Good bye Vietnam

Les deux jours suivants, entre Muang Long et Sapa, puis entre Sapa et Lao Cai, seront eux aussi éprouvants et magnifiques à la fois.

Mais nous sommes rôdés maintenant. À 6 h le réveil sonne, à 7 h, douchés, et « petit déjeuné » nous sommes dehors, à 8 h sur la route, les réparations et le plein faits, les bagages bien ficelés.

Les paysages se succèdent les uns après les autres souvent en complet contraste avec ceux de l’heure qui les a précédés. La route nous guide tour à tour sur le flanc de grandes montagnes grises et vertes aux gorges profondes, aux ponts de corde fragiles, et au coeur des plaines vallonnées, habitées par les Hmongs. Les costumes changent petit à petit, deviennent plus complexes, plus noirs, plus brodés, plus contrastés, plus élaborés. Les sourires ne diminuent pas pour autant.

J’ai envie de vous parler du déjeuner du lendemain dans un petit restau du bout de la ville de campagne où nous nous sommes arrêtés, des discussions pleines de malentendus et de sourires que nous avons eus avec les serveuses. De la chouette « cérémonie du thé » qui a suivi, pour nous tout d’abord, puis pour les ancêtres ensuite. Et du rire entendu du jeune garçon qui nous a servi le thé quand Emmanuel s’est encore une fois étouffé avec la pipe à eau, sur les minuscules chaises de poupée.

J’aimerais vous montrer le visage grave de cette toute petite rencontrée avec ses frères et sœurs sur le bord d’un chemin, et que ni nos sourires ni nos mots doux n’ont pu dérider.

J’aimerais vous parler des heures de montée difficiles et glaciales jusqu’à Sapa, dans la boue glissante et sous la pluie de neige fondue, au milieu des camions, sur des routes en surplomb, encore en construction. Des sourires de compassion des Vietnamiens bien au chaud dans leur 4x4 de montagne, et du courage qu’il nous a fallu pour aller jusqu’au bout.

De notre arrivée à Sapa dans le nuage mouillé, de cette ville qu’on a découvert mètre après mètre tellement la visibilité était courte. De notre attente et de notre espoir vain de voir enfin le soleil se lever. Des fous rires que nous avons eus avec un groupe de petites femmes Hmong en costume qui traînent dans les rues bitumées de cette capitale touristique du Nord Vietnam, quelques marchandises manufacturées.

De notre départ vers Lao Cai en dérapage dans les lacets comme sur une patinoire, des points de vues incroyables sur les centaines de rizières en espaliers qu’on a réussi à apprécier malgré nos états avancés de serpillières dégoulinantes, de notre paquet de biscuits qu’on a partagé avec deux hommes de passage, sur le bord de la route, et sans un mot,

... de notre voleur d’appareil photo aussi, celui la même à qui on a rendu, à regret, nos motos...

Mais il est trop tard, et ce serait trop long.
Les photos en outre ont disparu et ça me pince le coeur de savoir que les souvenirs avec le temps s’estomperont au point de se confondre les uns avec les autres, de disparaître enfin. Mais c’est ainsi. Je n’ai plus le courage de trouver les mots justes. Il manque ce soir, trop de couleurs pour les faire résonner.

Sachez juste que dans nos cœurs, ces quelques jours en Minsk seront certainement l’un de nos plus beaux souvenirs de voyage, un de nos plus durs aussi, un de ceux enfin, pour lesquels nous sommes partis...

* à la manière de Turner


Pour vous donner quand même une idée de ce à quoi ressemblaient nos motos, voici un lien vers un site de Hanoï : http://www.minskclubvietnam.com/thebike.html



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