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Khat et ramadan, les rythmes de Sanaa
Le 08/10/06

À Sanaa en plein Ramadan

Il faut plusieurs jours au voyageur inexpérimenté pour comprendre le tempo de la ville et s’y ajuster... Les temps de la capitale yéménite, s’ils semblent avec du recul être extrêmement bien réglés, commencent tout d’abord par échapper au sens commun.

C’est ainsi que les premiers jours ici, nous avons cru que cette ville était désertée, et que nous étions seuls à parcourir les rues abandonnées d’une capitale figée dans le temps ! Il devait être 11 h du matin le jour de notre arrivée, et pourtant en pénétrant dans le centre-ville, nous avons été frappés par le mur aveugle que formaient les portes closes des boutiques, sur la rue principale d’Al Zubayri. Nous n’étions pas vendredi, ni un jour férié pourtant... que pouvait-il bien se passer ?

Dans les premiers temps, alors que nous avions décidé d’adopter un rythme un peu espagnol, en explorant la ville le matin et rentrant à l’hôtel vers 14 h pour y déjeuner « en cachette », et y faire une petite sieste avant de ressortir vers 17 h, nous n’avons jamais croise que quelques passants qui manquaient d’énergie ou des silhouettes de femmes furtives...

Entre abandon et frénésie

Pourtant, cette atmosphère lourde d’abandons contraste terriblement avec la réalité de la ville de Sanaa en ce mois de Ramadan.

Vers 14 h en effet (pendant notre déjeuner caché) la ville soudain s’anime : les boutiques s’ouvrent, et les passants se font plus nombreux, le pas traînant, mais en foule de plus en plus compacte. Vers 16 h, une véritable frénésie, de folie furieuse même, semble s’emparer soudain de la ville : les voitures taxis et minibus se pressent sur les quelques larges avenues, qui quelques heures plutôt semblaient surdimensionnées.

Vers 17 h 30 par contre (au moment de nos premières réapparitions sur les trottoirs de la capitale), une nouvelle accalmie trompe le passant non averti... avant que vers 19 h le grondement de la foule et des souks ne reprenne le dessus, crescendo et jusque vers une heure du matin...

Un rythme quotidien décalé

Deux phénomènes en se conjuguant, semblent pouvoir expliquer cette synchronisation de la foule, sur un rythme quotidien décalé :
-  la religion marquée par le mois du ramadan
-  le khat, cette plante-drogue dont les Yéménites font un usage quotidien

Si la religion, avec ses cinq appels à la prière quotidienne, domine l’espace sonore de la ville, c’est, après observation et discussion, le rituel du khat qui semble régler le rythme des circulations et des activités de la ville de Sanaa.

Le khat, drogue puissante et addictive à laquelle la population locale sacrifie près de 30 % de ses revenus s’impose, en effet, comme un rituel de sociabilité dont la récurrence quotidienne concurrence celle de la religion. Connu pour ses vertus calmantes, mais aussi ses effets secondaires comme le manque d’appétit ou les insomnies qu’il provoque, le khat est une plante que l’on « mâchouille » durant plusieurs heures et que l’on stocke sous forme de « boule » dans une joue.

khat et ramadan

En temps normal, c’est après le repas de midi que le khat, arrivé de la campagne sur les souks dans la matinée, est consommé. Calquées sur le rythme de la nature (activité des le lever du soleil, pause dans l’après-midi à cause de la chaleur, etc.), les activités liées au khat (acheminement quotidien vers le centre-ville, achat, consommation) semblent alors se fondre dans un rythme urbain diurne « normal ».

En temps de ramadan, par contre, l’importance de l’influence du rituel du khat sur le rythme de la ville est plus nettement mise en évidence. En effet, le khat consommé après le « repas de la tombée de la nuit » au lieu du « repas de midi », n’arrive donc de la campagne que vers le milieu de l’après-midi (16 h), au lieu de l’aube habituelle... Inversant ainsi les périodes de congestion de la capitale.

Le rituel du khat, qui prend une importance exceptionnelle dans le déroulement de la vie quotidienne de tous les Yéménites, au point d’éclipser tout autre rituel de sociabilité comme le repas familial (cf. notre expérience à Hadda : « Soirée yéménite à Hadda - 1/2  » et « Soirée yéménite à Hadda - 2/2 »), prend généralement la forme de réunions durant plusieurs heures rassemblant les hommes d’une même communauté dans une pièce de la maison yéménite prévue à cet effet (le dernier étage des maisons tours ou le toit), ou dans un salon de khat en ville. Il est aussi consommé sur le lieu de travail, de tous ceux qui n’ont pas le temps ou le loisir de quitter leur activité professionnelle : les chauffeurs de taxis et commerçants ’khatent’ par exemple dans leurs voitures et leurs boutiques.)

Khat, insomnie et marche nocturne

Contenant notamment des amphétamines, et provoquant des insomnies, le khat consommé par toute une population devenue dépendante (tous les hommes à partir de 15 ans sont concernés), influe donc sur les périodes d’activité (achat de khat et séance partagée) ou d’immobilité de la ville. La majorité de la population faisant la « grasse matinée » jusque vers 14 h, les boutiques sont closes le matin, à cause des nuits d’insomnie. Ces périodes spécifiques, en se conjuguant au temps du ramadan (déjeuner vers 5 h et dîner vers 18 h à Sanaa), se trouvent donc considérablement renforcées.

À titre d’exemple, il nous suffit d’évoquer notre soirée d’hier où, vers une heure du matin en revenant à Bab-al-Yémen, alors même que la moitié de la ville était privée d’électricité (les coupures sont fréquentes à Sanaa lorsque le réseau est trop sollicité), une foule dense et compacte se pressait le long des trottoirs pour acheter à de nombreux vendeurs et artisans ayant ouvert boutique, qui des bouilloires, qui des sandales ou des foulards, etc. Dans chacune des nombreuses boutiques en activité, il était alors possible d’observer le boulanger, le menuisier, le tailleur, le vendeur de raisin, celui de tomates, etc. en train de khater.

Ces premières tentatives d’analyse du rythme de la ville de Sanaa sont fort imprécises et négligent notamment d’expliciter le quotidien que le Ramadan suivi par toute une ville impose, ou le fait que le khat semble également renforcer la dichotomie du rapport homme / femme à la ville. Les femmes ne khatant que peu, elles s’emparent de la ville lorsque les hommes eux se réunissent pour khater...

Elles nous ont toutefois permis de mieux comprendre le pourquoi de la folie intermittente qui anime Sanaa ces jours-ci, et de nous y adapter avec succès.

À la prochaine pour un autre sujet, encore à trouver !



Ca discute...

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