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Décharge sur le Djabal Bura - 2/3
Le 13/10/06

La décharge au village

La famille dans laquelle nous sommes accueillis ce soir doit compter presque 10 enfants (j’en ai vu au moins 8) et ça me semble peu ! Muttia, notre guide de 15 ans a apparemment 15 frères et sœurs... dont 8 déjà morts malheureusement. Le taux de mortalité infantile dans les villages au Yémen serait très élevé selon lui...

C’est triste de penser que ces nuées de galopins qui nous entourent à chaque entrée dans un village risquent d’être décimées dans les années qui viennent. Ils ont 1, 2 ou 10 ans et passent leur journée dans leur quartier ou leur village, à jouer avec tout ce qui traîne... Et il en traîne des trucs dans les rues au Yémen...

Dès que l’on approche de ce qui en France nous semblerait être une décharge, on sait sans pouvoir se tromper que le village est là, au détour du prochain mur de terrasse. Les rues de ces villages sont toutes jonchées du contenu des poubelles quotidiennes que les Yéménites jettent par leurs fenêtres. Heureusement que leur rapport à la société de consommation est encore limité. On nagerait dans une marée de déchets sinon...

Il semblerait pourtant que cette attitude de jeter hors les murs ne soit pas une nouveauté. Elle serait même ancestrale et se fonderait sur la tradition de propreté et d’hygiène que préconise l’Islam... Autrefois cependant, les déchets étaient biodégradables pour la plupart, et surtout une caste d’esclaves était chargée de les ramasser...

Le tournant de la modernité, démocratie et société de consommation demande encore un temps certain de digestion dans ces contrées reculées.

Pieds nus, jeux de hasard

Pour en revenir à la mortalité infantile, je me demande si une bonne campagne d’assainissement et de nettoyage ne changerait pas vraiment la donne. Hier en effet, je regardais les enfants jouer autour de nous : ils étaient perchés dans des arbres pour la plupart et cherchaient à attraper des fruits marron et plutôt longs, dont j’ai oublié le nom. Cela va sans dire, ils étaient tous pieds nus. Lorsque l’un d’eux a sauté de l’arbre, j’ai eu vraiment peur : des tessons de bouteille jonchaient le sol à cet endroit-là, et seules son agilité ou sa chance peut-être lui ont permis de les éviter, cette fois-là...

Mais j’imagine que ce n’est pas toujours le cas, et que, lorsqu’il s’agit d’une boîte de conserve rouillée, le tétanos ne doit pas se priver de prendre sa quote-part de gamins à faire mourir (dans la même veine, ça me rappelle, un père qui nous a demandé des médicaments pour son enfant qui a « mal à la tête » : on cherche de l’aspirine dans nos bagages, lorsqu’en regardant le garçon en question, on se rend compte qu’il a un bandage sur la tête, un bandage rouge de sang... il avait plus que la migraine : il avait un trou infecté dans la tête !)

Écoles, lacets et présidentielles

M’enfin y’ a peut-être un travail de prévention qui se met en place par le biais d’une éducation primaire plus suivie. Hier soir après le dîner pris sur le toit-terrasse de la bergerie, nous sommes allés dans la famille d’un « guide » avec lequel nous avons grimpé ce matin. Si ses deux soeurs n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, la petite Soda, par contre est la « meilleure à l’école » nous a annoncé fièrement son père. Les paysages que nous avons traversés nous renseignent effectivement sur le fleurissement récent des écoles, même dans ces montagnes reculées où les villages sont perchés jusqu’à 3000 m d’altitude. Ces écoles (madrasa) poussent en effet comme des champignons le long des nouvelles routes que le président Ali Abdullah Saleh, maintes fois réélu a fait construire en masse avant les dernières élections présidentielles de septembre.

Exode rural, et bilinguisme

Ces routes en lacet bitumées, qui désenclavent réellement les villages de montagne, peuvent toutefois avoir également l’effet pervers de les vider de leur population agricultrice. Près d’Al Ajira, où nous avons effectué notre première marche longue sous le soleil de plomb du Haraz il y a quelques jours de cela, les villages vieux de mille ans, à l’architecture incroyable tombent en ruine... ils continuent d’abriter 30, 50 ou 100 personnes (c’est-à-dire 1, 3 ou 5 familles) qui cultivent encore les terrasses alors que le reste des habitants est parti travailler en ville. Certains ont la chance de conserver un rythme hebdomadaire avec le retour à la maison des pères le jeudi et vendredi (le week-end)... mais ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux...

Le désastre que cet abandon représente sur le plan architectural et paysager est incalculable. En effet, si les maisons tombent en ruine, les terrasses aussi, lorsqu’elles ne sont pas cultivées et entretenues s’effondrent partiellement sur ces pentes abruptes. C’est donc une catastrophe quasi infra structurelle à laquelle on assiste impuissant, en se promenant le long de ces murs parfois fragiles, reliant des villages dans lesquels la jeune génération du Haraz préfère apprendre 5 langues au contact des touristes randonneurs et servir de « guide » de fortune, plutôt que de reprendre la faucille de papa.

Bref, on verra bien ce qu’il adviendra de tout ça. Peut-être qu’un revirement économique permettra de transformer le Yémen en Arabie Saoudite d’ici peu, grâce à la fin du règne annoncée de l’ère du pétrole et l’avènement de l’essence de khat, inch Allah !

Allah Akbar

On est dans le nuage maintenant. Il est apparu en filament vers midi et quelques heures après, il vient de coloniser l’ensemble de la montagne. À droite, la visibilité n’atteint pas 50 m : les maisons-tours en surplomb se découpent sur un fond gris opaque et indéfini. Il fait froid et humide soudain et j’ai pitié pour les guides qui ont décidé de dormir sur le toit pour préserver mon intimité ce soir tandis que la famille de 12 personnes se tassera dans la cuisine... « Allah Akbar » résonne enfin dans les montagnes qui se répondent en écho : nous rentrons enfin manger.

Suite de l’aventure : Henné au Djabal Bura - 3/3



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