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Rencontres
Le 21/10/06

La gentillesse de nos hôtes d’un soir à Taez, Hadda, Sanaa, Jiblah ou Zabid, et celle aussi de tous les habitants qui sont venus nous aider à trouver notre chemin et sont allés jusqu’à nous payer le taxi, à sillonner la ville avec nous à la recherche de l’hôtel bon marché ou de galettes de pain à une heure du matin, est presque inracontable... et je doute déjà que le reste de notre tour du monde soit à l’image du dépaysement total que nous vivons ici, nourris de cette obligeance hors norme.

« Les T-shirts bilingues »

Il faut nuancer bien sûr, tous les Yéménites ne sont pas incroyablement gentils. Il y a deux catégories de « gentils ». D’un côté les pseudo anglophones, qui à part leur « hello-welcome » et les quelques dates apprises par cœur sur l’histoire de leur ville savent presque moins bien parler anglais que moi arabe :), c’est dire ! Ces « gentils » là, qui tiennent à monnayer coûte que coûte chacune de leurs précieuses traductions, pullulent au pied de certaines mosquées repérées dans les quelques guides touristiques qui se copient d’une langue à l’autre. Ils sont reconnaissables à leur jean, ou à défaut à leur T-shirt d’inspiration occidentale, négligemment porté sur la jupe yéménite traditionnelle. Ils savent coller aux basques du touriste poli, et mettre en place de multiples stratagèmes, afin de nous empêcher d’accéder à un lieu-dit pour nous offrir plus tard une faveur « d’ami » en y accédant par un chemin détourné... Ils sont enfin spécifiquement reconnaissables par leur insistance à quémander de l’argent pour leur femme, leur mosquée, leur école, leur « baby », à la fin d’une visite qu’ils viennent de nous imposer. Avec les cohortes d’enfants qui hurlent en cœur et sans relâche, « khalam, khalam » (stylos) ou « flouz » (pas besoin de traduire), ils forment la véritable plaie touristique du Yémen. Celle dont le tour operator protège, et que nous nous prenons souvent ici de plein fouet.

Mais le filtre du tour operator est trop puissant pour permettre l’autre rencontre, la rencontre fortuite, gratuite et immensément généreuse de l’habitant qui veut simplement échanger.

Demander son chemin...

À Taez, en fin d’après-midi, alors que nous tentions une nouvelle sortie désespérée de notre hôtel-hôpital pour les malades de la turista que nous étions devenus, nous nous sommes enquis auprès d’une petite boutique, du chemin à prendre pour atteindre le fort que nous apercevions sur la colline voisine. Un quidam en discussion avec le propriétaire de la boutique s’est alors spontanément détaché du groupe et nous a fait signe de le suivre. Nous pensions qu’il allait simplement nous indiquer la direction à suivre au cœur du dédale des rues de l’ancien Taez, mais non ! Il s’est mis à marcher devant nous, le regard sévère et le pas rapide, tenant par la main une fillette en pantalon. Il nous a conduits ainsi tout en haut de la colline, où il a commencé à nous présenter sa ville en arabe. La discussion est née d’un sourire sympathique et a été ponctuée des petites victoires de notre sentiment fugace de compréhension commune. Manu a juste eu le temps de mitrailler le coucher de soleil sur la ville en contrebas, lorsque quelques minutes avant la disparition du dernier rayon, notre guide improvisé a bondi comme un cabri en disparaissant dans la pente. On l’a suivi du regard, en train de courir, en tongs, vers le repas de rupture du jeûne. Nous sommes restés assis sur le rocher en surplomb, à attendre que la ville peu à peu s’allume dans le noir d’une nuit de presque nouvelle lune...

...et se laisser surprendre

Quelque temps plus tard, alors que nous étions sur le point de redescendre dans la ville constellée de lumières, a surgi derrière nous, débonnaire et souriant, Ali, notre fugueur de l’heure d’avant. Potache, il s’est assis à côté de nous, fier d’être arrivé à temps, et s’est fait d’une pierre un accoudoir de fortune. La position traditionnelle enfin retrouvée, il s’est mis à puiser de son bras libre dans la provision de khat que tout Yéménite trimballe avec lui dès le coucher du soleil. Seuls tous les 4, au sommet de cette colline, nous avons passé un moment formidable, fait de discussions mimées « arabesque », et d’aparté en français sur la beauté de la vie :) Au moment de partir, il a proposé de nous raccompagner sur la pente noire et abrupte. Il a alors habilement choisi son chemin et nous a fait passer devant sa maison. Nous ne pouvions plus refuser l’invitation ! « 10 minutes maximum » !... Bien sûr...

Notre soirée s’est éternisée dans son salon, en compagnie de deux de ses cinq enfants et de sa femme revenue de la prière un peu plus tard. Le khat, un film américain mis pour nous sur l’unique meuble de la pièce : la TV, et la discussion agréable et pleine d’humour nous ont fait oublier le temps qui passe et même le ventre qui quelques heures plus tôt se tordait encore.

Bien sûr, nous avons promis de les accueillir lors de leur prochain passage à Paris, dans un an ou deux « inch Allah », de les aider dans leurs démarches de visa par une invitation, s’il était besoin... mais je crains fort qu’ils ne soient déçus par notre ville-lumière, si un jour la chance leur permet de nous y retrouver... Une générosité comme la leur n’est pas monnaie courante chez nous, où la méfiance, dans mon souvenir, reste une vertu...

(À propos de méfiance, Papa, Maman, ne vous en faites pas... Nous faisons attention bien sûr, tout le temps nous restons sur nos gardes... mais si nous refusions ces invitations simples, si nous refusions de suivre parfois sans savoir vraiment où aller, que de rencontres inoubliables, et de moments irremplaçables aurions-nous laissés filer...)

S’enterrer dans un musée...

Tout à l’heure encore, à Jiblah, après avoir eu affaire aux « T-shirts bilingues » près de la mosquée centrale et aux enfants quémandeurs sur les hauteurs de ce village à l’architecture incroyable, nous sommes redescendus par des voies détournées vers le musée-palais de la reine Arwa. Puisque nous avions envie d’essayer un musée au Yémen, c’est avec grand sérieux que nous avons tenté de suivre les explications laconiques accompagnant les vitrines poussiéreuses qui présentaient une collection hétéroclite d’objets de valeur très inégale.

Persuadés d’être seuls dans ce bric-à-brac invraisemblable, des éclats de rire nous ont soudain tirés de nos réflexions un peu cyniques. Une « ombre noire » agrippée au bras d’un homme en costume gloussait comme une collégienne devant une scène de partage du thé. Les mannequins dégingandés d’un autre temps l’avaient mise en joie... Après nous avoir dépassés une première fois dans les couloirs étroits de cette maison-tour, ils ont rapidement cherché à entamer la conversation... Quelques instants plus tard, nous prenions la photo de « groupe » sur le palier de l’étage, avant de continuer la conversation comme de vieux amis sur la terrasse du musée. L’ombre noire, excitée comme une puce, s’était rapidement suspendue à mon bras, tandis que son mari, apparemment plus âgé, tentait d’entamer une conversation sage avec le mien de mari.

Ils avaient un minibus avec eux, et nous ont proposé de nous emmener visiter les alentours en leur compagnie. Ni une, ni deux, nous sommes sortis ensembles du musée en nous esclaffant et en laissant furieux derrière nous les enfants-gardiens que l’espoir d’un bakchich de touristes européens avait fait languir.

... pour en fuguer avec des amoureux

C’est dans une atmosphère de fugue collégienne que le minibus a dévalé les pentes de Jiblah pour remonter celles d’Ibb et nous offrir des panoramas somptueux. À chaque arrêt, notre hôte s’est fendu d’une explication agricole ou urbaine sur le paysage, avant de nous proposer de continuer toujours plus loin... Sans notre mot d’arrêt, nous serions en Arabie Saoudite à l’heure qu’il est !

Il devait être chef de la police ou quelque chose dans le genre, parce que c’est avec déférence qu’à chaque « check point » les policiers ont laissé passer le véhicule sans nous demander nos autorisations. Au cours de la discussion, nous avons appris que sa femme était en réalité sa seconde femme, qu’il avait déjà deux enfants d’un premier mariage, et que l’union de ce couple ne datait que d’un mois. La toute jeune mariée n’avait effectivement que 18 ans et tout d’une lycéenne. Les fous rires, la complicité spontanée, la coquetterie, et la folie infatigable : ils revenaient de Taez où ils avaient fait une nuit blanche, et s’apprêtaient à recommencer le soir même à Ibb. Ils nous ont bien sûr proposé de nous joindre à eux.

... et toutes les autres...

Si nous avons décliné l’invitation de ce couple amoureux et heureux, c’est uniquement parce que la fatigue ce jour là, ne me permettait pas d’envisager de longues conversations en arabe toute la nuit durant.

Mais, des histoires comme celles-là, il y en a d’autres, plein d’autres. Des plus courtes, des moins belles, des plus compliqués, des plus intellectuelles, des rencontres autour d’un verre de jus de fruit pressé, au détour d’une rue dans le noir de la nuit d’un quartier résidentiel ou au bord de la mer... Il serait fastidieux de les relater toutes ici, mais ce sont elles qui font le sel de ce voyage, le goût du Yémen, la joie qu’on a envie de vous faire partager.



Ca discute...

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