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Du vide au coeur de la fourmilière
Le 25/10/06

Au cœur de la ville

Toute la journée nous marchons, nous traînons sous le soleil moite de ces cœurs de ville yéménite, nous arpentons le pavé. Nos escapades pour tenter d’échapper au bâti, de le survoler pour mieux le comprendre, ne sont jamais très longues ici à Aden. On gravit la colline attenante à la ville en suivant les quartiers résidentiels qui s’étagent sur son flanc et on contemple. La nuit dernière, c’est de la fenêtre d’une maison encore en construction et sans carreaux qu’Emmanuel a pu prendre ses clichés longue pause, et que j’ai pu m’imprégner de la densité de cette ville emprisonnée dans son cratère.

Toute la journée nous la passons dans « l’espace public ». L’espace commun à tous, celui dans lequel, même nous, qui nous inscrivons en porte-à-faux dans le schéma sociologique, avons droit de citer.

Au-delà des rues commerçantes, des quartiers résidentiels et des parvis de bâtiments publics modernes, un des premiers faits urbains qui m’ont marquée est l’absence de place au cœur des villes yéménites traditionnelles. Tout au plus quelques dilatations de rues à l’approche d’un carrefour, un parking pour taxi collectif, le marché couvert, ou la dent creuse d’un édifice public jamais achevé. À Sanaa, seule l’approche de la tour de Bab al Yaman fait exception dans mon souvenir.

Des vides symboliques, laissés à la contemplation

Pourtant, malgré cette absence de place telle qu’on les connaît en Europe, la ville ne manque pas de respiration, de « vide structurant » comme on dit dans mon sérail.

À Sanaa, les jardins des mosquées sont les premiers vides à m’avoir interpellée. Ces grandes emprises foncières au cœur de la ville, cultivée avec art et soin par de multiples petits propriétaires, surgissent au détour d’une rue comme le ferait une oasis au cœur d’un désert minéral. L’unité architecturale et urbaine très forte de la vieille ville de Sanaa, ce dédale de maisons-tours, couleur rouille et crème, fait vibrer le vert des palmiers et du blé encore tendre. On longe ces jardins, derrière des murs percés de fenêtres sans vitrages, et sans toit. Ces cadres naturels, qui renforcent le caractère esthétique de ces tableaux vivants, en font de véritables chambres à ciel ouvert, des « maisons végétales » offertes à la lumière du ciel, mais ceintes de murs, et dont l’accès se fait par une porte, semblable à celle des autres maisons. Toujours dans le voisinage proche d’une mosquée, irriguée par les eaux d’ablution de cette dernière, c’est un magnifique exemple de recyclage et de préservation de respirations urbaines dans une ville si dense.

À Taez, ce sont les cimetières aperçus du haut de la colline que nous avions gravie avec Ali (cf. article « Rencontres »), qui m’ont marquée. Souvent ignorés du passant, ils se cachent derrière des murs de parpaings parfois mal finis, qui laissent croire à un bâtiment abandonné. Ce n’est qu’aux abords d’une mosquée proche d’Al Afriya, que j’ai eu le loisir de contempler ce vide tapissé d’herbes folles, que ponctuent quelques pierres tombales inclinées en tout sens, comme si un récent mouvement de terrain les avait soulevées et déplacées avant de les figer dans cette posture grotesque et peu sage. Le matin de mon passage, quelques chèvres broutaient l’herbe autour des tombes...

À Aden, plusieurs jardins publics, qui ressemblent à s’y méprendre à des squares parisiens et qui doivent dater de l’occupation britannique, offrent leurs allées abandonnées aux animaux de passage. Clos, depuis des années peut-être, leurs grilles ouvragées permettent au passant d’imaginer la splendeur passée de ces espaces autrefois habités par de belles Anglaises exilées, telles que je me plais à les imaginer, portant des robes en corolles et protégées par des ombrelles de dentelles. Ces jardins d’Al Tawahi et de Crater font un clin d’œil colonial nostalgique auquel les maisons à colonnades abandonnées répondent tristement de leurs peintures écaillées.

Ces espaces vides, inaccessibles du commun des mortels, mais visibles de tous, ponctuent de manières apparemment aléatoires les villes yéménites. Mais ces espaces, où le regard se perd, sont surtout à mon sens des espaces de méditation véhiculant un imaginaire collectif et des valeurs qui signent l’identité de la ville.

Des « vides » qui aspirent

L’activité, elle, le grouillement de la ville et des gens, se fait autour de ce vide et dans d’autres espaces qui soudain sont investis par des familles entières à certaines périodes de l’année, de la semaine ou du jour, des lieux identifiés et eux aussi porteurs de ces valeurs traditionnelles ou en évolution qui font le visage du Yémen d’aujourd’hui.

La mosquée

En matière de valeur, il est évident qu’au Yémen, les valeurs de l’Islam et de la famille sont primordiales, et que ce sont elles qui aujourd’hui peut-être encore plus qu’autrefois façonnent la ville. La mosquée dans ce contexte tient un rôle fondamental dans la polarisation de la ville. La mosquée : repère avec son minaret, la mosquée : respiration avec son jardin et son cimetière, la mosquée : lieu de rencontre et de socialisation aussi... Loin de nos cathédrales gothiques aux effets lumineux dramatiques et aux sculptures de martyrs souffrants, les mosquées proposent un lieu de calme et de méditation, une véritable oasis de fraîcheur dans la vie d’un citadin yéménite. Les mosquées vivent un quotidien animé, loin de nos églises désertées, et résonnent des conversations de leurs fidèles entre les prières. Si les calligraphies élaborées et le blanc lumineux de ces murs éclatants de lumière ajoutent au spirituel de l’instant, une mosquée est avant tout un lieu de vie par excellence. Les croyants peuvent y passer toute la journée s’ils le désirent. Entre la salle de prière, la cour centrale, les antichambres extérieures, ou l’école coranique, les fidèles entrent et sortent de la mosquée tout au long du jour. Ils peuvent même y passer la nuit sur les moelleux tapis de prière, y dormir du sommeil du juste, enveloppés dans un simple drap, comme ils le font au pied de chaque boutique dans les rues de Taez.

Le souk

Mais le souk aussi est souvent un espace en soi, plus qu’une rue commerçante et normale d’une ville. À beaucoup d’égards, il se rapproche du mall commercial : un espace parfois protégé du soleil par des nattes suspendues, linéaire ou en réseau, sur un espace limité, accessible par des « portes » ou des points précis et réalisable à pied en quelques heures. Un espace bordé sur ses deux côtés par une continuité de vitrines commerçantes. Un espace où il est possible de trouver de tout, de quoi manger, boire, dormir, s’habiller, décorer, construire, offrir, etc. Bien sûr, le souk n’a pas les inconvénients du tout privé de nos malls commerciaux, il a également les avantages de l’espace public : les mendiants y sont autorisés, les pauvres, ceux qui n’achètent pas, les contemplateurs, pour toute la journée peuvent s’installer par terre et dormir ou khater en regardant passer les gens...

Les espaces naturels apprivoisés

Enfin, les espaces naturels apprivoisés dont Vincent Battesti (www.vbat.org) saurait parler avec plus de talent, de précision et de science que je ne saurais jamais le faire, frappent ici par la concentration de monde qu’ils parviennent à attirer à certains moments de l’année, de la semaine ou du jour. Si Vincent a écrit sur ces espaces partout dans le monde arabe, depuis les berges du fleuve à Khartoum, en passant par les jardins du Caire, ou le zoo de Sanaa que nous n’avons malheureusement pas eu le loisir de visiter, je suis aujourd’hui frappée par les plages d’Aden.

La plage, celle des riches et celle des pauvres, est unique dans la manière dont elle est apprivoisée par les Yéménites, et révèle beaucoup de leur mode de vie à celui qui découvre le pays. La plage d’ici ne ressemble pas à celle de nos côtes atlantiques ou d’azur aujourd’hui. Il ne s’agit pas de culte du corps, ou de bronzing..., la plage ici, c’est les vacances en famille, les vacances entre amis aussi. Autour d’une table et sous un parasol dans le « resort » payant (une partie de la baie séparée de son autre moitié par un muret de parpaing) Sur de grandes nappes, ou tapis parsemés de carrés de mousse tapissés, ramenés en minibus, par les familles moins fortunées, sur la partie libre d’accès. Sur cette dernière, les ordures ne sont pas ramassées et la nappe protège efficacement des canettes et autres paquets de chips vides... mais la différence s’arrête là.

Dans les deux cas, le parfum de grandes vacances qui se dégage de cette ambiance bon enfant à un arrière-goût de front populaire et de congés payés... Les femmes sortent enfin de la maison pour autre chose que pour faire des courses. Les femmes sortent pour apprécier le temps qui passe à l’ombre d’un large palmier planté sur la plage, et toute la famille suit. La famille qu’on ne voit jamais réunie sinon hors de la maison, puisque les hommes sortent avec les hommes et les femmes se retrouvent entre elles dans des maisons voisines autour d’un thé.

Les femmes portent bien sûr toujours le voile intégral, mais ne sont plus des ombres qui filent dans le souk, la tête et le dos droit, portant avec équilibre de lourds paquets de courses sur leurs têtes voilées. Elles sont posées et elles causent, entre elles ou avec les hommes de la famille, posés sur la nappe avec elles. Elles semblent prendre les décisions de logistique importantes et sont au cœur des discussions et des rires... Les enfants courent autour de la nappe dans le sable et se font parfois attraper par une femme, histoire de se faire rajuster une tresse, ou fourrer un sachet de gelée orange à aspirer par le coin de la bouche en guise de goûter...

Parfois, on se baigne, mais ce n’est pas le but de ce long pique-nique permanent. D’ailleurs, la hauteur de la marée n’a qu’un effet relatif sur l’occupation des plages. L’ombre restreinte de palmiers sous la chaleur du soleil en plein midi en a certainement davantage... Ici, on mange, on khate, on boit du thé au samovar, on discute. On achète une glace au cornet rose fluo au marchand ambulant qui a tout de Dame Tartine à Royan (hein, maman !). On passe du temps en famille à ne rien faire de physique, à profiter d’un lieu qui ne rappelle en rien la ville ou la campagne où il est dur de travailler. On prend des vacances comme j’imagine qu’on le faisait il y a encore cinquante ans en France.

Un mot de la baignade tout de même, à laquelle je n’ai pas participé, ayant oublié ma burka... Si les hommes et les enfants n’hésitent pas à faire trempette (on s’arrête là où on a pied et on ne nage pas, je répète on s’amuse !), on aperçoit peu de femmes dans l’eau. Et pour cause, comment faire pour se baigner sans dévoiler un centimètre carré de peau ? Tout habillées bien sûr ! et sans cabines de change pour changer de djellaba, on porte la même à la ville comme à la mer ici... Alors, bien sûr, on voit des mères ou des sœurs (comment savoir) qui accompagnent les plus petits et se jettent à l’eau en grappes de voiles gloussants, mais ce n’est pas la majorité, et je les comprends... L’épaisseur de tous leurs voiles superposés, sans compter les sous-vêtements, collants, gants et autres habits normaux de maison (jean, etc.) entre les voiles et les collants, m’effraie rien que d’y penser. Mouillés, ils doivent peser des tonnes. J’ai vu une petite fille, la djellaba trempée et encore lourde du poids de toute l’eau de la baignade, se glisser sur une des banquettes arrière du minibus à la fin du pique-nique. Quel inconfort...



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