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Inde, une esquisse... 3/3 (entre anachronisme et puissance économique)
Le 31/12/06

Entre anachronisme et puissance économique

En matière d’anachronisme culturel, la place des femmes, qui reste ambiguë dans la société indienne, n’a de cesse de choquer le jeune voyageur occidental dont les parents ont 1 chance sur 2 d’être divorcés... Ici, le divorce reste plus ou moins interdit dans les faits (cf. article « L’Inde au féminin ») et, à Calcutta, les foyers de femmes de mère Teresa recueillent toujours et encore des femmes brûlées vives, amputées, et jetées à la rue par leur mari... La question des castes et celle du statut des intouchables, intimement liées à la religion hindoue, sont loin d’être résolues. Dans le journal de la semaine dernière, on reportait en effet un récent incident dans un temple de Delhi. Un intouchable s’étant vu refuser l’entrée du temple, une manifestation d’intouchables a ensuite eu lieu par solidarité... mais sans effet, et, aujourd’hui, la seule décision prise a été celle de fermer définitivement le temple à tous les intouchables...

Mais les anachronismes sont loin d’être uniquement culturels

Le déficit infrastructure peut par exemple être criant. Comme au Yémen, les coupures d’électricité ou d’eau sont quotidiennes dans toutes les grandes villes. À Pushkar, c’était entre 9 h et 11 h, à Varanasi entre 11 h et 15 h, à Delhi en soirée. Mais les gens font avec, et loin de la panique générale que de telles coupures créeraient en France, c’est en moins de 30 secondes que les générateurs autonomes se mettent à gronder dans la ville, couvrant de fait le bruit du trafic pour plusieurs heures.

La plupart des rues sont, encore aujourd’hui, non ou mal pavées. En cycle-rickshaw, les conséquences du manque d’entretien des chaussées peuvent de fait être dramatiques : les ornières sont en effet si profondes et si nombreuses que le slalom entre elles peut se révéler mortel. J’ai par exemple observé à Delhi un cycle-rickshaw se prendre dans une de ces ornières creusées par le trafic, se renverser et se tordre lentement. Et tandis que la « cabine » s’inclinait sur le côté et que le chauffeur cycliste tentait de toutes ses forces de retenir l’engin, le passager a fini écrasé sous les roues du véhicule par la force de son propre poids.

Le ramassage des ordures est, comme au Yémen (notre référence :) ) plus que problématique, et c’est l’absence notoire de poubelles qui pousse même, à ma grande frayeur, les plus conscients d’entre nous (mon homme, par exemple), à jeter par terre sa peau de banane après avoir vainement erré pendant trois heures son déchet à la main. Heureusement, en Inde l’emploi ne semble pas un problème, et de la même manière qu’il y a 2 personnes pour chaque job, on trouve pour celui d’éboueur quantité de « volontaires » amateurs, femmes et hommes qui, de bon matin, se penchent sur les rues crottées et ramassent à la main, bouses et plastiques en tout genre, pour les revendre qui au chiffonnier, qui au fermier, qui à la déchetterie si elle existe, comme matière première à recycler...

Les transports, qu’on a déjà évoqués, sont, dans leur dimension la plus anachronique, époustouflants et nous ramènent aisément au temps des chaises à porteurs. Les rickshaws à main, par exemple sont, comme leur nom l’indique, des carrioles tirées au trot par de petits hommes malingres pour quelques roupies. Et c’est à Calcutta que, contre tout bon sens, dans une ville qui se vante d’être un fleuron de modernité naissante, ces rickshaws d’un autre temps transportent des familles indiennes au grand complet, tandis que les touristes atterrés tentent de fermer leur bouche grande ouverte, devant cette forme d’esclavage des Temps modernes (qui doit d’ailleurs autant aux exigences du capitalisme féroce qu’à celles de l’hindouisme).

En matière d’artisanat également, les surprises fleurissent à chaque coin de rue et ma petite mémé serait à coup sûr moins dépaysée que moi dans ce pays de l’autre bout du monde. Des milliers de petits commerces ouvrent en effet tous les jours boutique à l’aube et squattent l’ensemble des rez-de-chaussée de la ville, en strates superposées, du bâti jusqu’à la chaussée, utilisant tout ce qui est imaginable comme support de commerce potentiel : une toile au sol, une planche sur 4 roues, un brasero qui se transporte sur la tête, une valise de parfums, etc.
-  Dans les ruelles étroites et crottées d’une rue de Bénarès, à la nuit tombée, on a par exemple aperçu à plusieurs reprises un homme qui repassait consciencieusement sur une pierre en débord de la façade, le linge qui a séché dans la journée sur les rives du Gange et qui a été lavé à l’aube. Et dans son fer en fonte rougeoyaient des braises encore chaudes. Que c’est étrange de se rendre compte que cet objet de musée qui orne la commode de notre entrée a encore ici une vie à lui !
-  Les lavandières des rives du lac d’Udaipur qui battent le linge à s’en démettre les épaules, depuis le point du jour, n’ont rien à lui envier : c’est en effet au lavoir, comme chez nous au début du siècle dernier, que les femmes échangent les nouvelles du jour.
-  Dans le marché indien d’Agra, loin du marché artisanal pour touristes près du Taj Mahal, nous avons acheté du « paneer » (fromage fermenté sans goût) enveloppé dans le même drap qui a servi à l’égoutter.
-  Sur le marché de Delhi, en plein Paharganj, c’est aux « balances de la justice » que nous avons eu affaire lorsqu’il s’agit d’acheter une livre de bananes. Tenues en leur centre par une chaînette de métal, ces balances dont la taille peut varier de 50 cm à 2 m fonctionnent comme dans nos sets de marchandes de petites filles. Les poids en métal font contrepoids avec la marchandise, et ce n’est pas au gramme près qu’on détermine le prix...

[Il faut dire que, contrairement à Auchan où la balance électronique nous indique que nous venons d’acheter 127 g de pomme pour 2.96 euros, le coût des produits frais ici reste relativement raisonnable, permettant à tous d’y avoir encore accès au quotidien. Heureusement pour des végétariens me direz-vous]

L’Inde au top

Mais l’Inde, ce n’est pas que les anachronismes que le voyageur pique en vol, tout impressionné qu’il est, par la force des couleurs et des odeurs.

L’Inde, c’est avant tout dans la tête des Indiens un pays plus qu’en développement : c’est un pays au top qui va sous peu dépasser sur le plan économique et scientifique l’ensemble des nations, si pâlement représentées par les meutes de touristes crédules qui se déversent par containers entiers dans leurs marchés anachroniques.

En matière de développement réel, la télévision et les journaux nous aident bien plus que les rencontres avec les acteurs du « mur de verre » à nous rendre compte du véritable avancement de l’Inde. Le développement durable, l’observation de la tendance grandissante à la consommation chez les jeunes générations et l’apparition des méfaits du crédit à la consommation tels que nous les connaissons, ainsi que la mondialisation sont des thèmes récurrents des émissions à thèmes et de reportages que nous lisons.

Des solutions durables pertinentes

Ces préoccupations qui se traduisent en propositions concrètes visibles, même à l’échelle du quotidien à laquelle nous vivons la ville, nous étonnent par leur pertinence. À Varanasi, par exemple, nous n’avons vu aucun verre ou assiette en plastique. Comme dans toutes les grandes villes que nous avons traversées, ces deux ustensiles indispensables à un mode de vie « take away », sont invariablement des produits naturels et biodégradables. En ce qui concerne les assiettes et les bols, les Indiens utilisent en effet encore l’antique feuille de lotus séchée et cousue qui se biodégrade en quelques jours dans la rue à l’endroit même où on l’a laissée (si une vache sacrée ne l’a pas dégustée auparavant !). En ce qui concerne les gobelets pensés pour recevoir les 15 verres de chai qu’un Indien ingurgite par jour, ou pour conserver la curd (yaourt) qu’on achète dans la rue à l’unité, nous avons été plus surpris. C’est en terre séchée (et non cuite, je pense) et moulée que ces gobelets sont conçus. Légèrement poreux et de qualité moindre, ces pots tournés à la main par des dizaines de potiers tous les jours sont jetables ! Les rues sont donc jonchées de débris de terre brisée que la première pluie saura dissoudre sans peine. Pris d’une certaine fébrilité devant ces mignons petits verres, nous avons été maintes fois tentés de les conserver. Mais pour quoi faire ? Poussière, ils sont faits pour retourner à la poussière.

Une puissance mondiale qu’il est possible d’observer au quotidien

Ces pratiques anecdotiques forment l’arbre qui cache la forêt aux yeux des touristes. L’Inde est en effet avant tout une véritable puissance industrielle et de services que peu d’autres pays au monde sont capables de concurrencer. Et si on y trouve de TOUT à moindre coût, c’est parce qu’on produit de tout :

-  l’industrie pharmaceutique y est florissante et la médecine allopathique qu’elle soutient se nourrit des mêmes préceptes et potions que celle de nos médecins français sacrés. (Leurs médicaments semblent même plus efficaces que les nôtres. Pour preuve : devant la diarrhée dramatique qui a failli faire disparaître mon homme il y a quelques jours l’Imodium de nos bagages s’est en effet révélé impuissant, alors qu’un seul comprimé indien a finalement fait des miracles !)

-  l’apport de l’Inde aux sciences informatiques sur le plan mondial est également loin d’être négligeable. Les États-Unis, le Canada et l’Europe dans une moindre mesure, sont en effet aujourd’hui de plus en plus conçus, développés, et supportés par une main-d’œuvre intellectuelle indienne. Je serais d’ailleurs intéressée de connaître le nombre de familles indiennes dont au moins un membre travaille en tant qu’ingénieur informaticien dans le secteur privé à l’étranger ou dans son propre pays pour l’étranger... Sans être particulièrement familiers de la question, il nous est en effet rapidement apparu qu’en Inde, la question de l’informatique à l’export avait en effet eu d’importantes conséquences sociales, initiant une véritable métamorphose à l’occidentale des modes de vie. Et bien avant de rencontrer Védia, notre première ingénieure informaticienne qui a fait 10 fois le tour du monde en business, et tous ceux dont le frère, le cousin, ou la sœur sont aussi de la maison, nous avions en effet eu connaissance d’une polémique récente concernant l’abandon des couples âgés par leurs enfants émigrés.

[L’immigration indienne de la jeune génération à l’étranger est aujourd’hui en effet tellement forte dans le domaine informatique, que les politiques de l’Inde se trouvent confrontées pour la première fois au problème de la gestion du troisième âge. Traditionnellement laissés à la charge de la famille, les personnes âgées n’étaient jusqu’à maintenant pas un réel un fardeau pour la société. Mais, la création massive et récente de multiples associations de regroupement de personnes âgées autour d’activités culturelles a alerté les autorités. Tiraillés entre le besoin de survivre en étant connecté à la société et la honte de se plaindre d’enfants ayant réussi une ascension sociale en émigrant en tant qu’ingénieur, les parents de cette génération expatriée n’osent pas faire appel à l’État. Pourtant, aucune structure d’accueil de type maison de retraite n’existe réellement à l’heure actuelle. (Reportage d’un quotidien à Mascate début novembre)]

-  De la même manière, sur le plan infrastructure, et malgré les lacunes évidentes, le progrès est en marche. Toutes les grandes villes (30 de plus de 1 million d’habitants) sont en effet en train de se doter d’un métro (le 1er ayant été réalisé à Calcutta il y a plus de 20 ans), alors que celui de Delhi est flambant neuf.

Si la foi en la puissance économique du pays est immense, et peut-être même parfois surdimensionnée, telle que nous l’a fait sentir une pièce de théâtre critique vis-à-vis de la politique « méthode Coué » du gouvernement actuel, l’Inde dispose néanmoins d’avantages indiscutablement capables de la transformer, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, en leader mondial.

Et une pincée d’héritage britannique...

De l’héritage colonial britannique, elle a su tirer parti du meilleur en mettant l’accent sur l’apprentissage de la langue anglaise par tous et depuis le plus jeune âge. Dans un pays qui possède plus de 10 langues officielles, l’anglais, langue mondiale, sert aujourd’hui en réalité au cœur même des familles, de trait d’union entre les Indiens. Et en les connectant entre eux, elle achève de les connecter au reste de la planète, en en faisant des citoyens du monde à part entière. De l’état d’esprit britannique, l’Inde a également conservé l’esprit d’initiative, et est parvenue, il me semble, à créer une nation d’entrepreneur, grâce en la foi qu’a chacun en sa capacité à construire et lancer son propre business.

Ainsi, l’Inde, le pays aux mille anachronismes et à la pauvreté tant de fois dépeinte dans ses couleurs les plus crues, me semble être devenue aujourd’hui une contrée de rêve pour les investisseurs de toutes confessions, rassurés par la stabilité et le dynamisme au long terme dont fait preuve son économie.

Une classe moyenne qu’on ignore en Europe

La récente ouverture aux grands investisseurs commerciaux internationaux comme Wall Mart valide à mon sens un nouveau statut pour l’Inde. Si aujourd’hui 90 pour cent du commerce est en effet tenu par des petites entreprises privées et individuelles, une nouvelle classe de consommateurs moyens fait émerger de nouveaux besoins en matière de services. La vie active des femmes dans les grandes métropoles étant sur le point de devenir une constante au sein de tous les foyers, la demande pour plus de supermarchés est devenue pressante. Si, en Inde, il y a 83.000 millionnaires en dollars et 40 millions de pauvres (en dessous de 700 kcal/jour), entre les deux, il reste 950 millions d’Indiens qui permettent à une classe moyenne d’émerger. Une classe de consommateurs, qui, loin d’épargner, se lance à tout va dans le crédit à la consommation et profite de la croissance économique folle. Et même pour le touriste de passage, les exemples sont nombreux et visibles de cette explosion de la classe moyenne : Les jeunes rickshaws, qui nous tirent sur le vélo à trois roues, ont dans leurs hardes des téléphones portables dernier cri que je ne rêverais même pas de m’acheter. Les salaires de jeunes employés qui commençaient à 2000 ou 3000 roupies/mois il y a 5 ans à peine ont augmenté exponentiellement, et si l’augmentation moyenne des salaires était de 12 % en l’an 2000, c’est à coup de 100 % qu’elle se négocie désormais. (Sunday Time mi-décembre)

... Ainsi, comme nous en Europe, c’est à coup d’ordinateurs portables, de crédit pour des logements neufs et de voitures que se construisent leur vie aujourd’hui, selon des standards qui à Paris ne sont parfois même plus les nôtres.

Et si le boom du secteur des services ne profite pas à tous, puisque 30 pour cent des emplois urbains sont encore liés à la production, il n’en est pas moins que le chômage ne semble pas réellement exister ici. (1.4 % en milieu urbain contre 0.5 % en milieu rural - données 2004 -article Isocarp conférence Istanbul).

Alors, oui, la pauvreté existe et s’étale dans la rue avec l’horreur de la Cour des Miracles sur tous les trottoirs des villes indiennes (et surtout dans les quartiers touristiques), mais elle n’est pas le seul visage de l’Inde contemporaine, qui, elle, bouge et bouge tellement que, même d’ici, j’ai du mal à la suivre...



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