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Siphandon, ou l’aventure à portée de main...
Le 15/02/07


Vite, vite... Écrire avant que ne s’estompent les souvenirs déjà lointains de nos derniers jours au Laos...

Aujourd’hui, la visite du musée du secteur S21 sur le génocide khmer rouge et l’agitation de la capitale Phnom Penh en pleine effervescence de Nouvel An chinois superposent trop rapidement à nos mémoires, fatiguées de tant d’images et de sentiments accumulés, une nouvelle couche d’histoire intense.

Les rizières flottantes de Siphandon

Dieu que le Laos était calme, et surtout en profond accord avec la nature, en comparaison avec nos premières impressions de la capitale cambodgienne !

De nos derniers jours à Siphandon, l’archipel des 4000 îles flottantes sur le Mékong, il me reste ce soir des souvenirs d’été rural, d’eau brillante et de bancs de sable doucement colonisés par une végétation sauvage.

À Don Deth où nous nous sommes établis après un cours trajet de barque (et un plus long trajet de minibus doublé d’une énième crevaison) le paysage est peu accidenté, couvert de rizières sèches, jaune d’or au soleil de l’après-midi naissant.

Je reste très surprise par l’ambiance de village et le calme extraordinaire de cette île, pourtant dans tous les guides de voyage : si les voyageurs semblent arriver nombreux chaque jour (plus d’une vingtaine), l’île semble les absorber sans peine au sein de sa végétation luxuriante, dans le charme discret des petits bungalows de bambous tressés.

À Don Deth, en effet, ce sont les étrangers qui se plient au rythme de l’île, et non l’inverse.

Ici, point de téléphone ou d’internet, point de restau-télé comme à Vang Vieng, parce que l’électricité n’est pas encore arrivée de manière permanente sur l’île... sauf entre 18 h et 22 h, au moment où les générateurs s’activent en ronronnant pour fournir aux terrasses de bois sombres, suspendues au-dessus des eaux noires, une lumière vacillante propice aux bavardages, et aux rencontres.

Sans fenêtre, ni réveil, on vit donc ici au rythme ancestral du soleil, comme les paysans qui nous entourent, réveillés à l’aube, et couchés peu après la disparition de l’astre à l’horizon. Les coqs bien sûr, et comme partout au Laos, ne se privent d’ailleurs pas de nous réveiller bien avant que le soleil ne se lève... mais ici ce n’est pas si grave.

Parce que le Mékong est là, frais encore de la nuit passée, tout près de mon lit, qui m’appelle.

Plongeon au lever du soleil

Ses couleurs, au lever du jour, oscillent entre les pastels verts de bleu et les tonalités sombres des eaux que le soleil n’a pas encore pénétrées. Sa surface brillante et lisse à peine effleurée par le passage d’une barque plate est très attirante : je me jette à l’eau, il est 6 h et demie du matin...

Je nage tout d’abord les yeux fermés... de peur d’apercevoir la vase ou des algues dissuasives. Mais l’eau se fait de plus en plus claire au fur et à mesure de ma progression. Au milieu du large fleuve, qui ressemble plus à un lac parsemé d’îlots sauvages qu’à une rivière, tellement la rive opposée me semble lointaine, un remous sous mes pieds m’alerte soudain... et si l’énorme et mythique poisson-chat du Mékong venait de se réveiller sous mes pieds ? Avec ses 300 kg et sa taille de grizzli (dixit le guide « footprint »), je ne pèserais pas lourd devant lui ! Mais mes frayeurs ce jour-là seront vaines et l’eau transparente me rassure.

Le banc de sable, sur lequel je me repose avant de repartir en sens inverse, me permet d’admirer la silhouette en contre-jour des maisons de bambou qui peuplent la rive. Les Laotiens sont réveillés depuis longtemps et s’activent sur l’île. Je distingue l’ombre des hommes qui déjà s’affairent à la construction d’un bungalow inachevé. Plus proche de moi, la silhouette des femmes qui se débarbouillent et se brossent les dents sur les bords du fleuve agite l’eau du rivage. Et sur le sentier derrière les maisons, je devine les enfants qui coursent déjà les poulets... La vie semble si simple vue d’ici...

Poisson en laisse et barques de laitues

Lorsque, de retour, je rejoins Emmanuel à la table du petit déjeuner, c’est une autre surprise : un homme, revenant certainement du marché, vient de plonger sous nos yeux, un gros poisson « en laisse », dans les eaux claires du fleuve. Attaché par une cordelette solidement nouée à un lourd morceau de bois échoué, le poisson se traînait avec malheur dans ses quelque 30 cm d’eau...

Nous avions déjà remarqué que les gens d’ici, comme en Thaïlande, achètent leurs poissons encore vivants, dans de grandes bassines que l’on trouve sur tous les marchés. Mais au Laos, une fois achetés, et transportés de quelques minutes à quelques heures dans des sacs plastiques transparents et remplis d’un peu d’une eau jaunâtre, ces poissons prêts à frire ne finissent pas au frigo, non !

Au Laos, et jusqu’au moment fatidique de la cuisson, le poisson, a pour mission de vivre et de s’agiter, le plus souvent dans le grand pot de terre à l’entrée de la maison.

À Siphandon, où on a la chance d’avoir la rivière au fond du jardin, c’est donc dans le Mékong qu’on attache son poisson en laisse !

Siphandon, c’est donc la fraîcheur infinie du matin. Juste après l’aube.

Mais Siphandon, c’est surtout un nom qui fait rêver des tropiques, et les révèle dans leur chaleur la plus étouffante.

Siphandon, après 7 h du matin, c’est donc surtout un climat qui incite à rester dans le hamac, à rêvasser, à lire les aventures d’un nabab indien en 2 volumes pendant des heures, terrassé que l’on est par la fournaise de ces après-midi étrangement calmes...

Même les Laotiens en conviennent, avachis qu’ils sont dès 11 h du matin sous leur maison, sur les paillasses de bois et les hamacs de bambou qui s’étirent entre les pilotis à l’ombre bienfaisante du soleil de midi.

Seules quelques femmes, accroupies devant des barques plates remplies de terre et protégées par un filet de pêcheur, prodiguent des soins presque amoureux à de jeunes pousses vertes pâle qui en émergent. Les variations sur ce thème sont innombrables, et la jardinière prend ici des allures tout à fait étranges, mais dont l’aspect pratique me parle aussitôt : quand il ne s’agit pas de barque, c’est sur de grandes tables en bois (1 x 2.5m) élevées à un mètre du sol que poussent salades et aromates en tout genre. Les vieilles femmes comme les plus jeunes n’ont pas à se pencher pour prendre soin de ces plantes essentielles à la cuisine de tous les jours, et l’agencement de ces meubles extérieurs donne un cachet tout particulier aux cours qui entourent les maisons laotiennes. Inspiration, Inspiration, quand tu nous tiens !

Don Deth, un paradis de calme, une oasis rurale au milieu d’un fleuve lent et millénaire, donc.

Certes.

L’aventure avec Manu

Mais c’était sans compter avec la soif d’aventure quotidienne de mon cher et tendre, capable, comme je m’en rends compte chaque jour un peu plus, de transformer le moindre site touristique en un terrain d’aventure sans fin.

Combien de fois ne m’a-t-il pas déjà entraînée dans des explorations infinies, où, folle que je suis, je l’ai suivi sur mes sandales lisses et trébuchantes... Heureusement qu’on ne finit pas tous les jours au poste de police - voir article « De la Lune au Poste » au Yémen. Ces escapades ne sont pas souvent relatées, mais une fois n’est pas coutume, je vais vous en parler...

À Tad Lo, quelques jours à peine auparavant, sur les pentes raides d’une jungle non balisée, il avait tenté de m’entraîner sur une piste descendant au fond d’un cratère de 120 mètres, où se jetait une cascade que les touristes observaient depuis le haut. Maintenant, à Siphadon c’est à vélo que nous avons préféré nous lancer à la découverte des îles voisines.

Tôt le matin, la découverte d’une première série de rapides, impressionnants sur l’île de Don Kong, nous a servi de prétextes à une aventureuse escalade au cœur des eaux bouillonnantes et des rochers glissants. Depuis la rive, quelques touristes nous regardaient interloqués, sans parvenir à nous rejoindre... Comment étions-nous parvenus jusque-là ?... Well, tout le monde n’est pas Emmanuel Battesti !

Mais, ce n’était que l’entrée en matière de cette journée terriblement chaude et moite.

Après avoir laissé passer la fournaise de midi à l’ombre d’une crique que les barques plates de pêcheurs avaient envahie, nous avons décidé de reprendre la route. Enfin la route... c’est un bien grand mot ! Sur ces îles où la voiture n’aborde pas, les sentiers se suivent et se ressemblent, à quelques exceptions près.

Et, pour ne pas changer, c’est donc pour les exceptions que nous avons opté !

Cahots de chemin de fer et grenouilles noires

L’ancienne voie de chemin de fer que les Français avaient autrefois tenté de bâtir pour rejoindre les deux îles de Don Deth et de Don Kong, dans une tentative de contrôle du Mékong, était bien marquée sur les cartes d’un pointillé, la distinguant graphiquement du sentier qui longeait la côte. Et pour cause, ce trait barré avec régularité voulait dire : n’y allez pas !!

Si les traverses avaient disparu, le ballast qui leur avait servi de lit était encore là, de cailloux bien aiguisés, également réparti sur le talus qui s’en allait mourir dans les fourrés.

Mais pourquoi renoncer à avancer quand la dynamique est là ? C’est donc contre toute logique que nous avons décidé de suivre sur plusieurs kilomètres cette voie cahoteuse et dangereuse pour nos vélos d’occasion... Une heure de secousses violentes sur nos petits vélos a failli avoir raison de notre détermination, mais, heureusement, contrairement à notre expédition à Tad Lo, nous avons évité la crevaison, et nous sommes arrivés entiers à l’extrême pointe sud de l’île.

Là bas, le sable succédant brusquement aux cailloux acérés, nous avons finalement abandonné nos valeureux destriers dans les dunes.

À nos pieds, la blancheur infinie des plages écrasées sous la chaleur tropicale humide de l’après-midi nous a éblouis. Un pêcheur, accompagné de ses enfants, a décroché une barque orpheline du rivage avant de s’éloigner à l’horizon. Sur ces bancs de sable échoués au pied des dunes plantées de bambou, le silence, l’eau immobile et trop chaude... et les puces noires.

À y regarder de plus près, nous avons été surpris. En fait de puces noires, il s’agissait de milliers de minuscules grenouilles qui sautaient à nos pieds. Je n’en avais encore jamais vu de pareilles. S’agissait-il de têtards à peine transformés ? Et dans ce cas, toutes ces petites grenouilles allaient-elles devenir ces affreux et énormes crapauds vert kaki que nous apercevions si souvent sur le bord des chemins ?

Ou bien s’agissait-il d’une nouvelle sorte de minigrenouille laotienne ?

Heureusement, notre ignorance en matière de biologie, nous a permis de préserver intact notre émerveillement d’enfant que le voyage est si prompt à faire jaillir...

Plus tard, quand la fascination de ces rivages qui s’étiraient vers le Cambodge, ponctués d’étranges constructions pyramidales au cœur de l’eau, s’est tarie, nous sommes remontés sur nos vélos afin de rentrer, plein nord, vers notre île.

Sur le chemin qui n’existait pas...

Mais pour ne pas revivre les affres de la descente de la voie de chemin de fer à vélo nous avons une fois de plus opté pour la solution la moins raisonnable : celle de prendre un chemin qui sur la carte, n’était même pas recensé.

Le paysage avait radicalement changé. Loin de la côte nord où les bungalows s’égrenaient le long de la sente principale, ici, point de peau blanche à l’horizon. Les quelques hameaux que nous avons traversés étaient de pêcheurs et d’agriculteurs. Les filets suspendus sur des portiques de bambous, les bottes de foin rangées devant les masures, et les enfants nus ont accueilli d’un regard surpris nos vélos de passage.

Un sentiment de fierté d’être les premiers touristes peut-être à emprunter ce chemin nous a vite envahi...

... Quelle idiotie !

Si le chemin n’était pas marqué, c’est qu’il n’existait pas en tant que chemin praticable, tout simplement !!

Au bout d’un ou deux kilomètres, nous nous sommes en effet retrouvés face à une gorge profonde, à priori infranchissable. Et pour cause ! Le « pont » censé permettre de franchir ce fossé n’était constitué que d’une travée de rails déglinguée, ceux là même qui autrefois servirent brièvement les ambitions françaises. Comment s’aventurer sur ces traverses mangées par la rouille et dont l’écartement (plus de 50 cm entre chacune) nous semblait impossible à franchir avec nos deux-roues ?

Une fois de plus, c’est Emmanuel qui nous a empêchés de renoncer. Je ne sais pas comment il parvient à voir, dans ce qui me semble être un rideau opaque et hostile de végétation, les brèches qui creusent les bois, les chemins possibles, et les « passages secrets »... Après s’être enfoncé dans la jungle, et au prix d’un de ces efforts d’exploration comme il les aime, il a donc fini par nous trouver un passage « escalade en vélo » ( !), afin de contourner la gorge. Les vélos sous le bras pour franchir les troncs qui jonchaient le sol, ou à bout de bras pour grimper les pentes trop pentues, nous sommes donc parvenus de l’autre côté.

Tout à notre effort, nous n’avions pas vu le temps passer. Déjà à l’horizon, le soleil déclinait et la nuit menaçait...

Avec un peu plus de fébrilité, nous avons continué à nous enfoncer sous les bois.

Peu après, le rire et les chants d’enfants en file indienne qui revenaient de l’école nous ont un peu rassurés : le sentier à peine esquissé que nous suivions menait bien quelque part ! Ouf, pas besoin de faire le demi-tour fatidique et de rentrer dans le noir total !

Leurs regards incrédules à notre passage m’ont laissé une impression étrange de m’être malgré tout trompée de chemin... Quelques centaines de mètres plus loin en effet, une gorge identique et le même pont de rail, face à nous, nous barraient la route... et cette fois-ci, pas de passage secret à l’horizon !

Mais nous étions allés trop loin, le soleil était trop bas sur l’horizon déjà, et il était hors de question de reculer. Alors, on s’est lancé au-dessus du vide, un vélo sous le bras, et l’équilibre dans l’autre...

Il faut croire que, dans ces cas, l’adrénaline a du bon et force la précision parce que la traversée s’est passée sans encombre. Juste quelques gouttes de sueur en plus !

Le sentier devenait toujours plus étroit. Le soleil n’en finissait plus de décliner. Que Don Deth me semblait loin de cette forêt tropicale !

Au détour d’un virage, quelque temps après, au moment où la confiance commençait à revenir, c’est cette fois un pont de bambou qui nous a surpris. Mais pas un pont suspendu, loin de là, un simple et unique bambou avait été jeté en travers du fossé, tandis que son petit frère de 3 cm de diamètre, suspendu quelque 60 cm au-dessus, semblait vouloir, lui, servir de garde-corps.

-  Ahhhhhrgh, on ne pourra jamais passer !!
-  Euh... On a le choix ?

Manu s’est donc avancé sur le vieux bambou qui a gémi sous son poids :

-  Je, je, je ne suis pas très très sûr de l’amorce, mais...
-  Euh... On a le choix ?
-  Euh...
-  Let’s go, alors !

Et, une fois de plus, peut-être parce que nous n’avions vraiment plus le choix, nous sommes passés. En équipe, cette fois : Manu au portage de vélo équilibriste et moi à la récupération des machines dans la pente de l’arrivée...

Un passage de barrière plus loin, vélos au dessus de la tête, et plusieurs taches de graisse plus tard, nous étions enfin sur une sente plus large !

La course contre la montre, et le coucher de soleil à travers les rizières desséchées que nous avions fini par retrouver, la traversée à toute allure d’un temple posé au milieu des champs, et le passage du pont caillouteux vers « notre » île, ont été accomplis au coup de pédale de charge.

Mais c’est avec un parfait timing que nous nous sommes finalement installés sur la terrasse de bois suspendue, baignée de rouge et d’or pour admirer le plongeon du soleil dans les eaux troubles du fleuve, fatigués de tant de chaleur.

Quelques heures plus tard, nous y étions encore, en compagnie d’une sacrée miss, rencontrée la veille, et dont les exploits à vélo justement n’avaient pas fini de nous faire rêver... (voir le site de Cécile à vélo)

De l’inspiration pour le Cambodge ? Je l’espère !



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