Encore un peu déçus de n’avoir pu faire la dangereuse « loop » de 200 km autour des grottes de Kong Lor (voir article « Kong Lor et sa grotte magique »), nous avons cette fois pris toutes les précautions nécessaires pour ne pas abandonner à la dernière minute. Manu a loué une moto à vitesses le jour de notre visite à Wat Phu, le « petit Angkor du Laos », tandis que je me la jouai solo en bateau et vélo (quand je suis seule, dieu que je bavarde avec tout le monde !!)
Rompu à tous les changements de vitesse et autres démarrages qui nous avaient fait un peu peur la dernière fois, mon homme, avec sa fière allure de motard japonais, m’a donc garanti un prompt départ pour le lendemain matin...
... C’était sans compter avec les aléas des motos de locations.
Déjà la veille, les histoires terrifiantes de motos chinoises louées pour le même périple par un charmant couple luxembourgeois en tour du monde comme nous (voir blog « version originale » sur le site de top-départ), nous avaient un peu refroidis : leur direction était cassée, leur réservoir avait entièrement fui dans la nuit, ni les clignotants, ni les rétros, ni le klaxon ne fonctionnaient... bref, l’horreur.
À notre tour, ce matin, c’est la batterie qui est à plat au moment du départ, et l’attente qui se prolonge indéfiniment... Mais l’attente valait le coup, et lorsque nous avons réussi à partir, l’un dernière l’autre sur cette petite Honda rouge flamboyant, nous avions, il faut bien l’avouer, très fière allure.
Rapidement, on a opté pour un rythme de rythme de croisière vraiment chouette. Manu, tout à sa concentration de conducteur, nous faisait naviguer sur les petites routes de campagne bien goudronnées, tandis que moi, pour une fois, j’avais carte blanche avec son bel appareil photo... Prendre des clichés à 70 à l’heure, essayer de capturer d’un coup d’œil tout ce quotidien si étrange qui défile sous nos yeux d’un coup d’accélérateur, c’est grisant ! Au fait, il faut bien avouer que je n’avais jamais pensé au safari-photo que d’une manière un peu méprisante, mais cette fois-ci je dois avouer que j’ai compris l’exaltation qui saisit le chasseur d’images.
Rassurez-vous cependant, mes proies n’étaient pas humaines, et je n’ai pas tenté de « voler leurs âmes » aux dizaines de Laotiens que nous avons croisés le long de ces routes, non. Mes proies étaient urbaines ou architecturales, mes proies étaient d’ambiance et de soleil, de gestes du quotidien mimés de loin, et de sourires partage sur la route.
Au cœur de la campagne du sud Laos, le long de la route, les rencontres sont donc nombreuses et les sourires ne font jamais défaut. Comme en Inde, la route est partagée, mais l’harmonie avec laquelle les piétons, les cyclistes, les vélo-moteurs et autres tuk-tuk ou tracteurs en tout genre cohabitent, est ’tout en douceur laotienne’.
De cette douceur des rencontres de la route, je retiens, ce soir, les colonnes de sourires des jeunes filles en chemises blanches et jupe-sarong bleu marine qui défilent le long de la route, à la sortie de l’école, et les silhouettes avachies d’hommes qui se reposent, le chapeau sur les yeux, au creux d’un tas immense d’affaires que l’on trimballe sur le tracteur familial, d’un village à l’autre.
Mais, en ce qui concerne les portraits rapprochés, ce n’est pas à 70 à l’heure que nous avons pu les prendre... malheureusement et heureusement à la fois. Les portraits de la rencontre, c’est dans de tout autres circonstances que celles du safari que j’ai eu l’occasion de les faire, et que j’ai eu tout le loisir de demander d’un œil interrogateur si mes photos ne les dérangeaient pas...
Lors de l’une de nos innombrables pauses réparation, post-crevaison bien sûr !
Eh oui, un voyage au Laos ne saurait être un vrai voyage si l’on n’expérimentait pas les crevaisons qui font partie du quotidien des conducteurs de deux roues. Nous pensions pourtant ne pas dépasser la limite de poids autorisée, n’étant « qu’à » deux sur la mobylette... Ici en effet, ce sont des familles au grand complet qui montent tous les jours sur la moto pour aller au marché ou revenir de la ville. Ici, il est en effet courant de voir l’homme avec la petite debout devant sur le guidon, la femme derrière lui et comprimés entre les deux parents un ou deux autres enfants ! Parfois même, d’énormes cochons, fraîchement morts d’au moins 100 kg, sont ficelés en travers du porte-bagage pour aller se faire découper en morceaux plus loin...
Mais, qu’il s’agisse de notre poids ou d’autre chose, quelque 30 km après notre départ, sur une route de campagne tout innocente, au moment de faire le plein, nous nous sommes rendus compte pour la première fois que nous étions à plat...
Stupeurs et tremblements... Que faire ?? La jeune femme préposée à l’essence nous rit au nez, nous désignant dans une échoppe de l’autre côté de la rue, un semblant de garage pouilleux...
Pendant qu’Emmanuel prenait des leçons de pose de rustine au fer à repasser, je me suis contentée d’observer la vie de l’« auvent-restaurant-quincaillier » voisin. C’est alors qu’une camionnette pick-up recouverte de fleurs et de dorures, est soudain apparue à un bout du village-rue. Elle s’arrêtait tous les 50 m pour reprendre en boucle, une litanie crachotée si fort que tout le village pouvait entendre l’entier de son discours à chaque stop.
Au troisième arrêt, deux moines en sont descendus et se sont dirigés vers l’auvent sous lequel je m’abritais en sirotant dans la chaleur poussiéreuse de midi un coca frais. Un peu gênée, j’ai eu peur qu’ils ne me demandent quelque chose que je n’aurais pas compris...
Mais je n’avais pas vu derrière moi les filles de la maison s’avancer doucement avec deux assiettes dans les mains, sur lesquelles quelques billets de 10 000 kips (environ 1US dollar) étaient disposés. Arrivées devant les moines qui portaient deux grands vases ouvragés, d’or et d’argent, elles se sont inclinées en portant l’assiette au dessus de leur tête. Le premier moine après un geste sommaire de remerciement s’est penché pour récupérer les billets de banque et les fourrager au cœur du récipient argenté. Le second s’est alors à son tour incliné sur les jeunes femmes agenouillées : en leur murmurant ce qui ressemblait fort à un mantra hindou, ou aux prières indistinctes de la cérémonie du baci dont notre grand-mère nous avait gratifiés à Kong Lor, il leur a déposé un fin bracelet de fils jaune d’or dans l’assiette vide, après l’avoir « béni » et avant de s’en retourner, d’un pas guilleret vers leur camionnette toujours aussi bruyante...
Le regard très heureux des jeunes filles à leur départ m’a fait comprendre qu’elles venaient d’accomplir un geste qui allait certainement faire progresser leur Karma ! Qu’il est étrange de pouvoir s’acheter ainsi avec certitude une part de vie meilleure, après celle d’aujourd’hui... (1) En fait de jeunes filles, il s’agissait de jeunes mamans, qui après cet épisode se sont regroupées avec d’autres sous l’auvent pour discuter autour d’un berceau suspendu que l’une d’elles balançait avec énergie...
Cet arrêt impromptu dans ce village du bord de la route, qui nous a projetés au cœur de la vie quotidienne des Laotiens de la campagne, s’est avéré être le premier d’une longue série d’arrêts forcés, au cours desquels on est allé à la rencontre, mine de rien, de nouvelles personnes, et d’un nouvel aspect de cette vie faite de petits riens, qui est si loin de la nôtre...
Une centaine de mètres à peine après notre première réparation, nous avons commencé à saisir le rythme : le pneu était déjà, et à nouveau, crevé ! Le second « garage » dans lequel nous nous sommes alors arrêtés était à première vue un peu moins pouilleux. Toute la famille était en effet réunie autour des instruments et des bassines d’eaux noires pour profiter de l’ombre de l’auvent. Les femmes et les enfants, silhouettes étranges dans cet univers de saleté crasse, nous souriaient tout en échangeant des regards en coulisse, dans cette lumière orange d’après-midi brûlant.
Plus tard encore, nous avons rencontré, souri, et plaisanté avec des petits enfants qui jouaient dans le cambouis avec un demi-tricycle qu’ils se disputaient.
Échangé des regards curieux avec ces femmes qui toujours se balancent sur une chaise sur le seuil de l’antre noire, en caressant les cheveux d’un bébé tout nu.
Éclaté de rire à la vue de ces dindons affreux, avec leur crête sanguinolente qui leur descend sur tout le visage, qui farfouillent partout entre les roues des motos.
Dérangé un petit vieux dans son séchoir à café en plein air, et qui n’y connaissant rien en crevaison... mais parvient tout de même à réquisitionner un jeune de passage sur la piste, capable, lui, de nous aider à colmater la plaie béante de cette chambre air qui n’en peut plus d’éclater toujours au même endroit...
Pourtant, on en a essayé des méthodes de réparation : on a testé celles qui fonctionnent 50 m et celles qui tiennent 20 km, on a appris la technique du fer à repasser, celle de l’ignition spontanée de la rustine, la technique radicale du changement de chambre à air, et celle de la rustine sur la rustine...
Le seul truc qu’on n’ait pas essayé et qui pourtant nous aurait sauvés - on s’en est rendu compte trop tard - aurait été, tout simplement, de changer de pneu !!
Et oui, c’est en effet notre pneu, tout vieux et tout usé, tout raboteux de l’intérieur, qui était le seul responsable de ces crevaisons à répétitions, abrasif qu’il était au point de nous user en moins de 30 km toutes les chambres à air du Laos...
(Heureusement, notre loueur de motos l’a joué fair-play à notre retour, quand on lui a annoncé nos 6 crevaisons en moins de 48 h, et il a même consenti à nous rembourser l’intégralité des réparations - ce qui est, plus que rare)
Les villages dans lesquels on s’arrête pour déjeuner ou réparer notre mythique pneu arrière sont souvent organisés de la même manière.
Très étirés le long de la route qui irrigue le pays, ils possèdent toutefois une centralité plus ou moins forte, articulée le plus souvent autour d’un vide, d’une grande esplanade de terre rouge, au centre de laquelle une maison commune, parfois l’école, trône.
D’autres fois lorsque cet espace central est plus allongé et moins géométrique, lorsqu’il s’enroule autour d’un arbre centenaire par exemple, il n’est pas rare d’apercevoir, à l’ombre du feuillage dense, un groupe de femmes qui pilent le grain ou les herbes à grands coups réguliers, côte à côte avec un groupe d’hommes ou d’enfants apathiques.
Sur le pourtour de cet espace qu’aucune clôture ne délimite, les maisons des habitants sont implantées en rectangles concentriques. Aucune délimitation espace privé - espace public ici non plus. Le dessous des maisons seul, semble privatif.
Sous ces pilotis de bois fin, posés sans joint sur des pierres à moitié enterrées, la vie de la famille se déroule au grand jour sur le mode productif. Les femmes y ont le plus souvent installé leur métier à tisser, tandis que celles qui ont affaire avec la préparation de viandes à dépecer et à fumer s’y affairent également. Bien sûr, les berceaux sont presque toujours là aussi, accrochés à une poutre sous le plancher, à portée de main, toujours animés d’un léger balancement.
(C’est étrange, d’ailleurs, à quel point les enfants présents dans ce pays sont calmes. Il est si rare d’entendre un enfant pleurer ! Même un nourrisson. Toujours sur la hanche d’un membre de la famille ou bercé énergétiquement par leur maman sous la maison, ils se fondent avec calme dans la vie quotidienne paisible du Laos.)
Le soir et pendant la mousson, le dessous de la maison - comme le premier étage des maisons tour du Yémen - sert également à héberger les animaux, cochons, poulets et autres dindons qui complètent la grande famille laotienne.
Dans certains des villages animistes que nous avons traversés durant ces deux jours à moto, sous les pilotis des greniers à riz (et plus rarement des maisons), des cercueils de bois, finement sculptés dans un tronc d’arbre, attendent que leur propriétaire vienne les habiter...
En ce qui concerne les maisons implantées le long de la route, nous avons été frappés de voir que les familles profitent presque toutes du retrait traditionnel de la bâtisse en cœur de parcelle (3 à 15 m) pour sortir la toile cirée et le petit auvent, et se créer une petite façade commerciale avec trois fois rien. Si quelques produits frais ornent parfois ces tables branlantes, la plupart du temps, ce sont des denrées non périssables (jamais périssables d’ailleurs, et couvertes de poussière même) qui sont suspendues en guirlandes au-dessus de la table. Des chambres à air, des savonnettes et autres pots en gelée se mêlent indistinctement dans ce fouillis auquel, il me semble, personne ne touche jamais...
À Tad Lo où nous avons passé la nuit, quelques cascades bruyantes nous font de l’œil au coucher du soleil. Contrairement aux merveilles géologiques qui battent des records de hauteurs (comme celles que nous allions visiter le lendemain, juste avant notre retour à Pakse), les cascades de Tad Lo sont vivantes et animées tout au long du jour d’un rythme quotidien intimement lié à la vie des villageois.
À notre arrivée en fin d’après-midi, nous avons croisé un certain nombre de femmes qui revenaient de la corvée d’eau avec leurs seaux symétriquement portés sur leurs épaules comme on porte tout ici.
À l’aube, ce sont les enfants qu’on amène à la rivière ici pour les débarbouiller avant leur journée de galipettes dans la terre rouge.
Le reste du temps, dans les bassins d’arrivée des cascades à Tad Lo, on pêche aussi, on lave le linge, on s’éclabousse.
C’est cette dernière option qui nous a tentés, grands enfants que nous sommes toujours pour être au cœur de cette histoire de tour du monde aujourd’hui !
À peine arrivés au sommet d’une de ces cascades, nos habits jetés sur une pierre, nous avons enfilé nos maillots de bain... et à l’eau !
On s’est baigné longtemps dans les eaux noires de cette cascade qui allait s’écraser quelques dizaines de mètres plus bas, sous la lune et les étoiles naissantes, juste après le coucher du soleil.
Mais deux jours de souvenir ici parfois sont trop denses pour en tenir compte dans ces « petits » articles dont j’abreuve le site.
Et je pourrais encore parler pendant longtemps des arcs-en-ciel délirants de la cascade de Tad Gniang,
des feux qui s’allument sur le bord de la route à la tombée du jour,
des escapades de Manu dans des cratères de 120 m après avoir trouvé des passages secrets dans la jungle,
du dernier petit verre de Lao-whisky qu’on nous a offert à la dernière crevaison à 6 km de Pakse dans la nuit noire du retour...
... mais ce serait trop long, et, si vous êtes déjà arrivés à la fin de cet article, c’est que vous êtes, soit nos parents, soit des forcenés que je tiens à féliciter !
Voir Photos :
2 jours de moto sur le plateau des Boloven (I)
2 jours de moto sur le plateau des Boloven (II)
non c’est toujours très interessant. En ce moment j’ai un peu plus de mal à vous situer mais cela ira mieux durant les vacances avec des cartes. Le plus dur est de résumer pour tout le reste de la famille éparpillée ces jours-ci(Corse, Marseille..)
c’est bien, j’ai l’impression d’être à votre place,de sentir le vent dans les cheveux.
Réalisé avec SPIP - article.html