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Minsk trip (2/3) : Le troisième jour
Le 18/03/07

Le grand départ

La nuit sera courte, le réveil sonne en effet à 5 h... C’est que nous avons prévu une très longue étape aujourd’hui, près du double de celle de la veille, et il nous faut arriver avant le coucher du soleil : 11 heures de route dont deux de pause ne seront donc pas de trop. Le départ à 7 h est relativement rapide, on maîtrise désormais le chargement, le démarrage et les lectures nocturnes de Manu commencent à porter leurs fruits :)
Mais on va rapidement être obligé de se rendre compte que les 300 km prévus aujourd’hui ne seront pas faisables : la petite portion en « mauvais état » qui devait ponctuer le cœur de notre parcours, est en très très mauvais état, et fait plus de 170 km !

La couleur des rizières

Tout commence bien pourtant. Les paysages vert-tendre des rizières qui dévalent les flancs de la colline jusque dans la vallée, sur fond de ciel noir orageux, sont saisissants. Les couleurs sombres des tuiles couleur rouille, des murs de bois fumé et de la route de terre s’éteignent contre le flanc de la montagne en arrière-plan. Seules les coiffes des femmes colorées sur la route de terre, tour à tour mouillée puis poussiéreuse, ponctuent agréablement ce paysage de fin du monde.
C’est qu’ici nous sommes définitivement loin de toute urbanité, nous sommes au cœur des villages des « minorités ethniques » comme on les appelle.

Au fait, je me méfie toujours un peu de ce terme, qui est trop utilisé par les « trek operators », et qui sert dans leur jargon à qualifier des « parcs ethniques à touristes ». Dans ces derniers, quelques villageois, qui sont en contact permanent avec la culture occidentale, sont pourtant forcés de porter des costumes traditionnels et de vendre des babioles qui pour eux n’ont plus aucun sens...
Les enfants y mendient tout en parlant presque à la perfection l’anglais, le français, l’allemand et l’espagnol (au minimum).

Mais ici, rien de tout ça. Ici, les femmes, hommes et enfants que nous croisons parlent leur dialecte, sont bien habillés et sont loin de mendier. (Au contraire, c’est plutôt nous, toujours un peu perdus, qui passons notre temps à mendier des bouts d’information !) Et c’est cette normalité justement qui est complètement exotique, c’est elle qui nous pousse à questionner notre normalité à nous, à nous demander pourquoi on a besoin de tant de choses et pas d’autres, qu’est-ce que le bonheur, etc.)

Les costumes sont tout brodés à la main de manière impeccable et leur tenue est, elle aussi, irréprochable. Les chemisiers des femmes, blancs pour la plupart, sont très près du corps sans pour autant être fait en tissu stretch. Et c’est le même sur mesure sans faute qui leur permet également de porter des jupes noires droites très ajustées. Les variations sont pourtant infinies sur ce modèle à priori rigide.
Aujourd’hui, c’est jour de marché. Et de plusieurs villages, de part et d’autre du point de rassemblement fatidique, un défilé de mannequins vivants, assis à l’arrière de vélos et de Hondas tout crottés, nous nargue un peu, nous tout sales dans nos habits de motards pas encore très doués...

Plus loin, les costumes du dimanche sont remplacés par des tenues de travail plus abîmées : dans quelques rizières nous apercevons en effet des centaines de villageois qui travaillent à repiquer le riz. (Il doit bien y avoir là l’équivalent d’un ou deux villages entiers... Peut-être qu’ils travaillent encore de manière collective ici, sur des propriétés collectivisées ?).
Tout le monde travaille les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux. Certains ont la chance d’avoir des bottes en caoutchouc, mais ils sont rares. Les femmes ont toutes la jupe trempée. Tous ont le dos plié en deux, cassé presque. Leurs gestes sont précis et mesurés. Tous synchronisés dans une harmonie parfaite et efficace. Plus loin encore des hommes solitaires poussent de lourds socs de charrue, derrière de poussifs buffles noirs et poilus, dans des rizières boueuses et inondées. Que nous aurions aimé vous faire part de cette rencontre intemporelle...
Ces images font écho en moi de manière étrange : c’est que je les ai déjà vues en noir et blanc, ces gestes saccadés... Mais c’était sur des images d’archives, dans les camps de « rééducation » sous le régime de Pol Pot...

Ici tout en couleur, la vie me semble différente : si le travail a l’air bien dur, les sourires sont pourtant très souvent au rendez-vous. Les femmes et les enfants n’hésitent jamais à nous saluer, tandis que les hommes nous regardent d’un air plus méfiant...
Heureusement, nous sommes à l’aise maintenant, et nous arrivons à leur rendre leur salut de la main gauche, sans rentrer dans le décor !

Motocross dans les nuages

... Enfin, ce n’est qu’un début parce que les choses se compliquent rapidement. Les lacets (environ 120 à 200 par kilomètre à parcourir, soit près de 3000 dans la journée !!) deviennent de plus en plus durs à suivre au fur et à mesure que la pente s’accentue, en descente comme en montée.
Aujourd’hui est en effet une journée bien plus montagneuse que notre carte abstraite n’a bien voulu nous le révéler avant le départ, puisque nous allons franchir 3 cols !

Bientôt, en plus du précipice sur le côté qu’il nous faut sans arrêt penser à éviter, nous retrouvons notre compagnon de route préféré : le brouillard blanc. Aujourd’hui en plus, il est glacé.
Manque de bol, il nous pénètre les os juste au moment où la route partiellement bitumée cesse. Malgré la présence à priori rassurante d’énormes engins de chantier, au travail tous les 200 mètres pour tenter d’aplanir la surface chaotique de « piste rouge » très pentue et en lacets, c’est bien sûr un véritable terrain de motocross de montagne que nous sommes obligés de nous élancer...
Sur 70 km, nous allons les croiser de temps en temps, ces sacrés engins qui surgissent du brouillard à la dernière seconde, au milieu des pierriers glissants et des flaques de boue, hérissées de rochers à moitié immergés...

Avec 5 mètres de visibilité, l’apprentissage du démarrage en côte au milieu d’un tas de cailloux se révèle plus complexe que nous ne l’avions anticipé. Et l’angoisse monte au fur et à mesure que la piste se rétrécit. Manu a, en outre, quelques problèmes de passage en première, ce qui est fort handicapant dans ce contexte délicat.
Quant à moi, je me découvre au bout de quelques instants des talents cachés de motocrosseur !... Mais le plaisir est mitigé : la peur omniprésente de tomber et de se perdre dans ce nuage opaque nous oblige à rester très très vigilants et surtout à ne pas se décourager.

Et, là, c’est le drame...

Mais malgré nos efforts, ce qui devait arriver arriva : Manu qui me suit à 10 m n’arrive pas à distinguer ma silhouette et se trompe d’embranchement dans la pente. Engagé sur une route glissante de chantier, il dérape quelques centaines de mètres plus loin et tombe. Il casse du même coup sa manette d’embrayage (clutch)...
De mon côté, plus haut sur la pente, je me suis arrêtée perdue dans le brouillard, dès que je me suis rendu compte de l’absence de mon coéquipier. Malgré la forte pente, je tente le demi-tour sur la route étroite, mais la boue me trompe et je dérape. La moto m’échappe elle aussi, et tombe.
Incapable de la redresser seule, cette moto mammouthesque, j’arrête en désespoir de cause une voiture qui passe par chance 5 minutes plus tard. Ce sont les Vietnamiens parlant anglais que j’ai rencontrés à un barrage plus haut : ouf !
Ils sont très serviables et me remettent en selle en deux temps trois mouvements. Et lorsqu’ils comprennent que je suis seule parce que mon « mari » s’est trompé de chemin à l’embranchement plus bas, l’un d’eux file en courant avec son petit costard tout repassé sur la boue du chemin pour aller le récupérer.

Mais, c’est un Emmanuel tout blanc et tout tremblant qui me rejoint enfin.
Quelques mètres après s’être engagé sur la voie de chantier très pentu, il a perdu le contrôle de sa moto et a méchamment dérapé. Son « clutch » (manette d’embrayage) s’est cassé lorsque le mastodonte a touché le sol, et il lui est désormais relativement malaisé de se débrouiller avec le petit bout qui reste...
Mais on a pas le choix. Maintenant, c’est marche ou crève. Il n’y a pas d’autre solution que de remonter en selle.

On continue donc en silence, mais je n’ai plus la même ferveur que dans les montées précédentes. Je tremble moi aussi, et j’achève ma grimpette par deux autres chutes au cours desquelles j’en profite pour déchirer mon pantalon indien fétiche, et casser mon clignotant gauche !

Quand enfin on parvient à passer notre premier col et que le fin bandeau de bitume surplombant la vallée reprend, nous nous reposons quelques instants, soulagés enfin de voir le fond de la vallée apparaître petit à petit à travers les bandeaux de brume qui s’effilochent.
Manu tremble encore... Il est à peine 9 h 30 et nous avons déjà l’impression d’avoir traversé l’enfer. Et pourtant, un rapide coup d’œil sur la carte nous indique que la section « difficile » n’a pas encore commencé !


Pour vous donner quand même une idée de ce à quoi ressemblaient nos motos, voici un lien vers un site de Hanoï : Minsk Club Vietnam

Suite : Minsk trip (3/3) : le troisième jour, suite et fin



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