Depuis le temps qu’on en a entendu parler, la Machu Picchu au pied duquel nous accédons avec un jour d’avance, en la petite ville d’Aguas Calientes, est un mini évènement au cours de notre voyage au Pérou.
Même si, en un sens, ce site, pour lequel j’ai été obligée de voter avant même de l’avoir vu, et dont on placarde la photo-type sur les murs de toutes les villes péruviennes, souffre d’un sacré handicap : celui d’une célébrité trop médiatisée.
De plus, le fait d’être entrés en pleine saison haute, depuis peu, ne fait qu’aggraver son cas. Des hordes de touristes, fraîchement débarqués d’Europe pour leurs vacances annuelles, polluent mon rêve de voyage solitaire. Avec eux, nous sommes parqués dans des wagons surtaxés (57 dollars est le prix le moins élevé pour deux fois 2 heures dans un train poussif... Le prix « local » pour les Péruviens est d’à peine 10 sols l’aller simple !).
Mais, malgré ces tarifs rébarbatifs, les touristes « normaux » payent souvent le double de ce tarif « barato », les trains sont bondés et il nous est impossible de réserver celui que nous avions décidé de prendre. Il nous faudra donc arriver à Aguas Calientes de bon matin, mais la veille de notre jour de visite (pour 40 dollars de billet d’entrée, on n’a évidemment le droit qu’à une seule entrée sur le site).
Sous les nuages matinaux, et après un réveil brutal à 4 h du matin, je rumine mon sentiment « d’être obligée » d’aller visiter cette merveille du monde sous peine de passer pour inculte à mon retour : plus encore que cette pression financière qui me pèse, je redoute la même déception que celle qui nous a envahis sur le site du Taj Mahal...
Histoire de tromper l’ennui dans cette ville si humide que le froid nous pénètre jusqu’aux os, nous errons comme des âmes en peine le long de l’unique triste rue touristique, toute en pente et dont chaque rez-de-chaussée est affublé soit d’un restaurant, qui fait fort penser à ceux du Quartier Latin à Paris, soit d’un magasin de « souvenirs » hors de prix.
Nous nous échappons dans les ruelles parallèles, au désespoir d’arriver à trouver de quoi nous sustenter pour un prix modique. Heureusement, une petite tenancière indigène au menu fixe à 5 soles nous accueille finalement dans son antre. À l’intérieur, les visages sont aussi typés que ceux qu’on est en droit d’attendre au cœur de la cordillère des Andes. Les cheveux sont longs et les nez busqués.
Tout au fond de la salle, nous observons et nous respirons enfin.
Derrière les hordes de ponchos jaunes à mickey qu’on nous a promis, il y a quand même des hommes et des femmes qui vivent ici, descendants perdus d’un empire, aujourd’hui surmédiatisé.
L’après-midi se passe, effondrés sur une large pierre en léger surplomb sur la rivière qui creuse cette étroite vallée. Nous venons d’acheter un ouvrage universitaire qui nous semble de qualité, et nous sommes bien décidés à creuser au-delà des apparences et nous offrir un véritable background culturel avant la visite tant attendue.
L’auteur, un architecte péruvien, soutient une thèse largement défendue par ailleurs, sur la nature véritable de Machu Picchu : il s’agirait d’une cité universitaire de prestige, LA cité universitaire des incas en fait, au cœur de laquelle, les futures élites de la nation seraient éduquées aux sciences de l’astronomie, de l’agriculture et du culte des dieux...
L’ouvrage qui en espagnol doit être écrit de manière scientifique est traduit dans un anglais terrible (le sujet manque souvent, de la même manière qu’il est omis en espagnol), et il nous faut souvent de longues minutes avant d’arriver à pénétrer le sens d’un paragraphe sibyllin au premier abord.
Nous avons fini la très longue introduction à la visite du site proprement dit lorsque la nuit tombe et nous oblige à quitter notre havre de paix et à retourner au cœur de la ville touristique. Nous sommes restés si longtemps loin de l’agitation de cette dernière que nous ne nous sommes même pas rendu compte du trouble qui semble saisir certaines personnes que nous croisons. Mais nous n’allons pas tarder à comprendre...
Arrivés devant le guichet de vente des tickets d’entrée pour le lendemain, nous croisons un homme pressé à l’air un peu stressé. Il veut absolument nous revendre ses billets d’entrée...
Nous sommes méfiants : ne nous sommes-nous pas déjà plusieurs fois fait avoir par des revendeurs à la sauvette ?
Suspecte, je lui demande la raison de son choix précipité : n’est-il pas venu jusqu’ici pour visiter cette 7e merveille du monde, lui aussi ?
« C’est la grève ! Il n’y a plus de train demain ! Je dois absolument trouver un moyen de rentrer dans la journée ! Je ne peux pas me permettre de passer une autre nuit ici, mon avion part après-demain à l’aube de Cusco ! »
Et le vendeur officiel de confirmer :
« Oui oui, tout le Pérou est en grève, depuis hier et jusqu’à la semaine prochaine... »
« Non, non, je ne sais pas comment vous allez faire pour rentrer... »
Un peu paniqués, nous lui rachetons quand même ses billets : il n’est pas question, après toutes ces angoisses et ces sacrifices, que le Machu Picchu nous échappe !
Et puis, contrairement aux vacanciers « saisonniers », nous avons le temps, nous...
Nous verrons bien demain : au pire des cas, nous resterons une nuit de plus dans cette vallée sombre au creux de laquelle, on trouve aussi bien le calme, que l’enfer touristique.
La soirée est courte. Demain nous nous levons à 4 h, afin de monter dans la nuit noire les pentes abruptes du mont au sommet duquel se trouve le site. Le challenge est d’y être à l’ouverture, à 6 h, quand les cars de touristes américains en poncho fluos ne sont pas encore là pour gâcher la photo !
Le réveil est presque facile : nous commençons à sérieusement avoir l’habitude de nous lever avant les aurores.
La marche jusqu’au sommet l’est moins.
Nous ne disposons que de notre petite lampe de poche chinoise et le sentier est caillouteux. Pour rajouter à ma confusion, nous nous apercevons vite que nous sommes loin d’être les seuls. D’autres grappes de « jeunes » ont relevé le défi. Nous n’avons pas tout le même rythme et il est pénible de doubler ou de se faire doubler tout au long de cette longue heure et demie d’ascension au rythme forcée.
Lorsque le jour daigne enfin se lever, je suis trempée, à la fois par l’effort intense et la densité du nuage mouillé qui nous enveloppe.
Je suis exténuée, frigorifiée, affamée, et de mauvaise humeur.
Mais j’ai tord. Et Emmanuel a bien raison de chercher et de trouver des solutions à tous mes problèmes techniques.
Parce que la journée que nous allons passer sur ce site (il nous faudra près de 9 h pour tout visiter, nous sommes très très très lents en visite, ne l’ai-je pas déjà dit ?), s’inscrira définitivement comme un des moments forts de ce voyage au Pérou.
La suite : El Machu Picchu, maravilla del mundo 2/2
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