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Huaraz, folie urbaine et mystique montagnarde 2/2
Le 29/06/07

Égarement dans la pampa

Quoi qu’il en soit, nous sommes finalement arrivés sur un petit plateau herbeux entouré de sommets enneigés, au cœur duquel nous avons aperçu une ruine.
Seules quelques fermes éparpillées habitaient ce décor champêtre et montagnard à la fois.

C’est à ce moment-là, en prenant conscience du trou perdu dans lequel nous étions arrivés que nous avons réellement pris la mesure de l’ignorance citadine de nos « compagnonnes » de voyage. Comme transportées dans un autre monde, avec leurs jeans tout propres et leurs petites chaussures à talons, elles semblaient perdues. À la limite, nous étions plus à l’aise qu’elles dans ce décor !

Nous ne savions évidemment ni à quel endroit devait avoir lieu la « cérémonie » ni quand exactement. Il me semblait que nous avions déjà perdu pas mal de temps avec toutes ces histoires de taxi, mais l’espoir faisant vivre, nous nous sommes tout de même dirigés vers la ruine où il nous semblait que quelques personnes étaient rassemblées.
Une quinzaine de Péruviens « de la campagne » étaient en effet affalés dans l’herbe : ils écoutaient attentivement celui qui, avec ses lunettes, semblait être le plus intellectuel d’entre eux. Une petite dame nous a indiqué qu’il s’agissait du « conseil municipal » ou du « Conseil des Anciens »...
Well, well, nous étions encore loin de retrouver nos compagnons de « turismo mystico » !...
Après quelques explications embrouillées, nous avons finalement suivi un petit garçon, de 6 ans peut-être, qui portait autour de son cou une caisse de friandises au chocolat, dont il essayait désespérément de nous refourguer quelques exemplaires avec ses petits yeux implorants. Les Péruviennes de la ville avaient cru comprendre que la cérémonie aurait lieu près d’une cascade dans la montagne, et c’est donc là qu’il nous emmenait...

Une heure de marche plus tard, nous étions passés près de 3 cascades, nous étions perdus dans un fouillis de dalles de pierres et de broussailles qui barraient le passage.

Tant pis pour la cérémonie

Pour tout vous dire, nous étions un peu agacés par l’attitude « étrangère » de nos Péruviennes qui ne semblaient pas capables de tirer des renseignements exacts de leurs compatriotes.
Avaient-ils vu d’autres gens ?
Étaient-ils au courant pour la « cérémonie sacrificielle » ?
Comment se faisait-il que nous n’ayons croisé personne du groupe ?
Étions-nous au bon endroit ?

Finalement au détour d’un chemin, alors que nous nous étions décidés à redescendre et à démarcher un habitant de ce plateau reculé, afin qu’il nous ramène en ville en taxi, nous avons rencontré une jeune Péruvienne qui, elle, avait réussi à s’assurer une place dans le minibus de la municipalité :
« Ah vous enfin ! La cérémonie a-t-elle déjà eu lieu ? »
« Oui, oui la cérémonie est terminée, elle s’est déroulée il y a quelques minutes sur le site archéologique au pied de la montagne »
(pendant que nous étions occupés à nous perdre dans la montagne)
« Mais ce n’était pas grand-chose vraiment non. Maintenant, nous allons gravir la montagne pour aller voir les cascades, vous venez avec nous ? »
« Arghhhhhhh ! »

Un cuy sur l’herbe

Affamés, un peu énervés et quasi certains de ne pas pouvoir rentrer à temps en ville pour attraper le bus de nuit qui devait le lendemain matin nous emmener à Lima, nous sommes redescendus au plus vite sur le plateau, en laissant derrière nous nos Péruviennes citadines, extasiées par la plus petite des cascades de la série.

Non loin du site archéologique, une petite toile de plastique bleu claquant dans le vent, toute seule au milieu de la pampa, nous a attirés comme un aimant.
Abritées du mieux qu’elles pouvaient, deux jeunes femmes, aux jupes colorées comme leurs joues, tenaient un petit stand de nourriture, peut-être prévu pour les « touristes de la ville » quand ils redescendraient de leur excursion du dimanche.
Profitant de l’aubaine, nous nous sommes installés sur l’herbe à côté d’un indigène au sourire avenant. Au menu, cuy (prononcez « couille » !), du cochon d’Inde grillé donc, des pommes de terres succulentes et du ceviche de cho-cho.
Excellent.

La conversation s’est vite emballée et en moins de temps qu’il nous en a fallu pour finir nos assiettes, les deux jeunes femmes, l’homme du début et d’autres indigènes nous entouraient.
Emmanuel s’est ostensiblement fait dévorer des yeux par la plus jeune de ces dames (elle devait avoir 15 ans et l’âge de se marier) et, quand il leur a appris qu’il avait passé la trentaine, elle n’a pas pu s’empêcher d’étouffer un cri de surprise :
« Non ! Ce n’est pas possible : tu as 18 ans, non ? ! »

Quant à moi, après avoir été un peu taquinée sur mon statut de femme mariée, j’ai beaucoup intrigué les hommes du coin, en leur expliquant qu’il existait des pays où une femme pouvait se marier avec 3 hommes à la fois, frères de surcroît. (À Kalpa en Inde, voir article « Notre virée en Himachal Pradesh 1/2 » et « Notre virée en Himachal Pradesh 2/2 »).
Mais, je crois que ce sont surtout mes cheveux blonds coupés courts qui les ont le plus intrigués. Ils n’arrêtaient pas de rire en les regardant et me demandaient sans cesse s’ils étaient naturels !

Dieu que ça fait du bien de pouvoir enfin retrouver ce sens de l’échange sincère où chacun de nous s’étonne de ce que l’autre soit différent !

Voyager dans le temps...

Plus tard, la confrontation muette entre villageois et groupe de « citadins » péruviens (venant d’une petite ville, je le rappelle située, à moins de 30 km de là) m’a complètement stupéfiée.
Et je me sens le besoin de répéter pour la centième fois :
Le bout du monde n’est pas au bout du monde !
Il est à la campagne !

Ces « touristes mysticos », que la municipalité avait emmenés en voyage pour la journée, nous ressemblaient en effet bien plus qu’à leurs concitoyens montagnards.
Et je me suis rendue compte en les regardant photographier avec curiosité les animaux de la ferme, les costumes des villageois ou les marmites de fer dans lesquelles on leur préparait leur brouet, que nous, citadins, cherchions tous un peu la même chose dans le voyage.

Nous sommes en quête d’un ailleurs où il nous serait possible de retrouver un temps perdu, une époque mythique, la source d’un ancrage qu’on ne possède plus.

Citadin de Huaraz ou d’Agen, en vérité je vous le dis, vous avez plus en commun que vous ne le pensez !
Vous, comme nous, êtes à la recherche dans ce monde contemporain qui nous échappe, d’un temps où on appartenait encore à un lieu, d’un endroit sur Terre où la communauté fait encore sens.

Nous, citadins du monde, voyageurs mobiles par essence, cherchons désespérément à rencontrer des gens pour qui le voyage n’a pas encore de sens.
Le voyage, comme l’écrit si bien Claude Levi-Strauss dans « Tristes Tropiques », est bien loin de n’être qu’un déplacement dans l’espace.
Il s’agit avant tout d’un déplacement dans le temps.
On recherche chez les autres ce qui fut chez nous autrefois.
Ce sont nos racines qu’on cherche à saisir en discourant avec ces paysans péruviens d’Oncopampa. C’est leur naïveté face aux choses de notre monde moderne qui nous fascine. Plus encore, c’est leur ancrage dans un espace qui pour nous ne signifie pas grand-chose d’autre que la valeur esthétique que le paysage lui confère, qui nous attire.
« Si si les cochons d’Inde viennent de la ferme là-bas, d’où voulez-vous qu’ils viennent ? ! »

... s’affranchir de nos repères sociologiques

Mais surtout j’ai compris la véritable dimension « sociale » du voyage, celle que décrit si bien Claude Levi-Strauss dans son ouvrage précédemment cité.
En observant les citadins absorber leur soupe épaisse, assis de manière un peu comique sur ces talus d’herbe rase, au milieu de porcelets qui couraient en tous sens, j’ai compris la nature intime de la confrontation que le décalage du voyage crée.

Ces gens qu’à Huaraz je considérais un peu comme de « pauvres Péruviens », de gens qui gagnaient très certainement beaucoup moins d’argent que j’en gagnais avant de partir, des gens qui vivaient dans une petite ville perdue dans les montagnes de la cordillère des Andes, étaient ici des nababs.
Leurs téléphones portables, leurs habits « internationaux » (jeans, T-shirt, et polaire), leurs lunettes de soleil... tout en eux tranchait dans ce décor où les habitants appartiennent à la terre.
Étrangers décalés, ils affichaient une pitié mal dissimulée pour les indigènes qui leur servaient leur repas de midi.
Nous aussi durant nos voyages nous avons expérimenté avec force ces changements de statuts sociaux qui nous font nous regarder soudainement autrement.
Vagabonds sauvages au Japon, après avoir été au Yémen des touristes mal dégrossis, nous sommes ici après 9 mois de voyage et sans ancrage, étrangement plus proche des villageois que des urbains.

Mais demain de retour à Paris, après avoir changé tant de fois de statut, après avoir été tant de fois différents au contact des autres, qui serons nous ?



Ca discute...

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